Mort de Fernand Devaux, Jeune Communiste pendant la guerre…

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Mort de Fernand Devaux, Jeune Communiste pendant la guerre…

Fernand Devaux est décédé le 30 mai 2018 à l’âge de 96 ans. Sa vie, ses combats, auront marqué de très nombreuses personnes. Des milliers et des milliers de jeunes ont appri de Fernand. Fernand était un camarade, un passeur de mémoire, un constructeur d’avenir. Portrait d’une personne en or qu’on aurait aimé être éternel.

Il avait 15 ans quand, en 1937, Fernand Devaux adhère à la Fédération Nationale des Jeunesses Communistes de France (JC). A 16 ans il adhère à la cellule d’entreprise du Parti Communiste Français de son usine. Dès le début de son engagement militant, Fernand s’investi entièrement, notamment pour la défense des acquis du Front Populaire. Il sera d’ailleurs nommé secrétaire des Jeunesses Communistes de Saint-Denis, ville dans laquelle il a grandit, en 1938.

Quand en 1939 les mouvements communistes (PCF et JC principalement) sont interdits en France, Fernand entre tout naturellement, comme la majorité de ses camarades, en clandestinité. La guerre éclaire éclate et la famille de Fernand se réfugie à Guingamp, terre familiale et de naissance, mais dès juin 1940 Fernand reprend du service à Saint-Denis. Il reconstitue la JC locale, toujours en lien avec la direction clandestine. Tracts, papillons… pas de répits face à l’occupant. A Saint-Denis, comme ailleurs, les Jeunesses Communistes s’activent vivement contre l’occupation.

Le 2 septembre 1940, Fernand est arrêté avec trois de ses camarades lors d’une distribution de tracts. A partir de là, son calvaire est lancé. Écroué, puis libéré, puis de nouveau arrêté parce qu’il n’a pas cessé de militer, il est interné administrativement à partir de novembre 1940. Il n’a que 18 ans. Il est envoyé au camp d’internement d’Aincourt (Val d’Oise, 95). Il est transféré quelques mois plus tard avec d’autres prisonniers au camp de Rouillé (Vienne, 86). Le 22 mai suivant, à la demande des nazis, il est de nouveau transféré, avec 156 autres prisonniers, au camp de Compiègne (Oise, 60), géré par la Wehrmacht. Son activité militante n’est pas néant, puisque qu’il rejoint le réseau clandestin interne du PCF.

D’avril à fin juin 1942, sous ordre direct de Hitler, les nazis sélectionnent plus d’un millier d’otages communistes et une cinquantaine d’otage juifs en réponse aux actions armées de la résistance communiste et les regroupent à Compiègne. Ils seront 1.170. Fernand fait parti de ceux-là. Le 6 juillet 1942, le convois part de Compiègne pour la Pologne. Deux jours et demi plus tard, le train de marchandises arrive au camp de Auschwitz (Pologne).

C’est ce que l’on appelle le convoi des 45000 (non pas que tout chiffre 45000 correspond à ce convoi, mais que tous les membres de ce convoi ont été tatoué dans les 45000). Fernand, ou “Nounours” comme l’appelait ses camarades, devient le matricule 45472 et porte le triangle rouge marqué d’un “F” pour “prisonnier politique français”.

Fernand restera à Auschwitz I, et sera assigné au Kommando de la “Huta”, un des plus meurtriers dans ce qui est déjà l’antichambre de la mort, qui s’occupe des travaux de terrassement, d’installation des canalisations… Malgré la situation, Fernand continue de résister. Avec quelques camarades ils essaient de construire une organisation communiste clandestine à l’intérieur du camp. La tâche est difficile, voir impossible, car dans son Kommando les espérances de vie sont extrêmement faibles. Les camarades meurent un à un. Puis il est affecté à un nouveau Kommando, puis un autre, puis un autre…

En août 1942, le typhus touche Fernand. En janvier 1943 son état s’aggrave, il est amené à l’infirmerie. En avril 1943, il frôle la mort avec quelque uns de ses camarades. Grâce à un résistant communiste allemand, devenu le nouveau chef de block, ils évitent la sélection. En juillet 1943, à peine 140 déportés 45000 sont encore en vie contre 1170 à leur arrivée (ils seront 129 survivants à la libération).

Après une période de quarantaine, entrecoupée de remise au travail, qui lui sera bénéfique, s’en vient le temps des déplacements successifs. Le 7 septembre 1944, il est transféré, avec une trentaine de 45000 au camp de Gross-Rosen, camp satellite de Sachsenhausen, en Allemagne. Puis le 10 février 1945, ils sont 18 à être envoyés au camp de Flossenburg à Hersbrück (Bavière). Puis le 8 avril, il sont 6 à faire partis de la marche forcée qui les amènera le 24 avril au camp de Dachau (Bavière). Le 29 avril 1945, l’armée américaine libère le camp de Dachau.

Le 1er mai 1945, une délégation française conduite par Fernand Grenier se rend au camp de Dachau ; ceci permettra à Fernand de faire savoir à sa famille qu’il est encore en vie. Encore en vie, mais toujours pas libre. Les américains mettent sous quarantaine le camp rongé par le typhus. Le 13 mai, Fernand et un de ses camarades, Georges Dudal, s’évadent pour rentrer en France. Ils y arriveront le 19 mai, et seront transférés au Lutetia, où était regroupé tous les déporté-e-s. Les camarades qu’ils avaient laissé à Dachau… sont déjà là ! Fernand parlait souvent de se souvenir avec ironie. L’impatience de rentrer, et la crainte de cette nouvelle quarantaine, les ont poussé à rentrer par eux-mêmes mais sont au final arrivés après ceux laissés à Dachau, et avec en prime l’expérience de manger des escargots crus pour survivre à la faim. Le 20 mai 1945, Fernand rentre enfin chez lui, à Saint-Denis, dans sa famille.

Et son histoire ne s’arrête pas là. Dès août, il reprend son travail, son militantisme. Il faut oublier, passer à autre chose, puisque personne ne les croit… Il trouve bientôt l’amour, et s’installe en 1947 à Saint-Ouen (93). Mais revient le temps du besoin mémoriel, de ne pas garder pour soi ce qu’on a subi, ce qu’il en a été. Dénoncer. Ne plus taire, pour que les gens sachent ce qu’est l’horreur du fascisme, et du nazisme. Fin des années 1980, ils participent à la rédaction d’un livre retraçant l’histoire du convoi des 45000 (Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 262).

En 1996, il participe à la création de l’association “Mémoire Vive des convois 31000 et 45000” (les 31000 est le convoi des femmes partis le 24 janvier 1943). Il participe à la création de l’association “Mémoire d’Aincourt”. Il est membre actif de l’Amicale de Chateaubriant-Voves-Rouillé-Aincourt. Il intervient dans de nombreuses écoles, dans de nombreuses conférences. Il fait de nombreux témoignages vidéos, mais aussi papiers. Il initie et fait parti de nombreux voyages mémoriel, que ce soit en Alsace, pour le Strudthoff, ou en Pologne, pour Auschwitz-Birkenau.

En juillet 2017, Fernand faisait parti du voyage mémoriel en Pologne dans lequel étaient présent-e-s sept jeunes communistes de Nanterre et Saint-Denis. De Fernand ils en retiennent quelque chose de fort : un résistant de toujours, un remarquable passeur de mémoire, qui a su transmettre avec une grande pédagogie et attention des choses très dures, très violentes, mais nécessaire. Fernand était de celles et ceux qui faisaient de la mémoire un rouage essentiel à la construction d’une société meilleure. Connaître le passé, pour comprendre le présent, pour construire l’avenir.

Plus qu’un camarade, c’est un constructeur d’avenir que nous avons perdu.

Nous adressons toutes nos sincères condoléances à sa famille et à ses proches.


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