Auto-dissolution du PKK, l’abandon de la stratégie de lutte armée

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Auto-dissolution du PKK, l’abandon de la stratégie de lutte armée

À la suite d’un congrès exceptionnel, le Parti des travailleurs du Kurdistan (Partiya Karkerên Kurdistan – PKK) a annoncé son renoncement à la lutte armée et son autodissolution ce lundi 12 mai 2025. Dès février, la déclaration Abdullah Öcalan, en faveur d’un abandon de la lutte armée, faisait déjà du remous dans les rangs du parti à l’Etoile rouge. Loin d’être un coup de tonnerre inattendu, cette décision s’inscrit dans une reconfiguration stratégique qu’opère le mouvement kurde depuis plusieurs années.

Un Etat turc renforcé capable de mieux contrôler ses territoires

Depuis quarante ans, le PKK parvient à mettre en échec l’armée turque. Affrontant régulièrement milices, armées et gendarmes d’Ankara, il a pu profiter de l’instabilité de l’Irak dès 2003 et de la Syrie en 2011 pour étendre son influence au-delà de la Turquie. Parallèlement, le mouvement kurde semble gagner du terrain sur le plan électoral. Le Parti Démocratique des Peuples (HDP), suivi du Parti de l’égalité et de la démocratie des peuples (DEM Parti), parvient à devenir des forces politiques structurantes dans le paysage institutionnel turc. Ils élargissent leurs rangs dans les milieux progressistes et minorités de Turquie. En quelques années, les Kurdes ont donc réussi à se tailler une place dans un paysage politique turc largement épris de nationalisme. L’état-major du PKK considère ainsi que son combat et ses succès auprès de la population kurde de Turquie placent les revendications du peuple kurde au cœur du débat public. Il brise ainsi un tabou jusque-là entretenu par la violence étatique. 

Ce double-mouvement qui pourrait être interprété comme un triomphe cache pourtant une fébrilité : en quelques décennies, le développement économique de la Turquie a considérablement renforcé son appareil d’Etat. Le PKK se retrouve à affronter un Etat turc de plus en plus efficace dans sa répression, employant des des technologies modernes, comme les drones, ou la surveillance de masse. Parallèlement, si le mouvement politique kurde s’est électoralement renforcé, il compose avec des couches moyennes qui s’avèrent plus réticentes à la violence politique

L’ancrage de plus en plus fort de la Turquie dans le Centre capitaliste tend à limiter les possibilités de lutte armée, ou du moins à complexifier sa mise en place. 

Une projection régionale limitée par la reconfiguration du Moyen-Orient

Les bases arrières du PKK en Irak et en Syrie, pays où l’explosion des institutions étatiques a permis la prolifération de milices armées et donc de stratégies de guérillas, apparaissent aujourd’hui fragilisées. 

En Irak, le PDK et l’UPK ont pleinement gagné le contrôle d’un Kurdistan irakien autonome gouverné selon des logiques féodales peu compatibles avec le projet du PKK. Ceci, tandis que la reprise du Nord du pays par un Etat irakien renaissant et des milices chiites locales laisse peu de place au parti. En Syrie, si la constitution des Forces Démocratiques Syriennes sous l’égide du YPD semble donner un nouveau souffle au mouvement, celles-ci sont aujourd’hui dans une posture critique. La prise de Damas par le HTC et l’arrivée de l’armée turque au Nord rend tributaire l’organisation d’arbitrages américains entre les différentes factions dont toutes cherchent à se rapprocher des États-Unis. 

Un contexte instable qui mène à une réorientation stratégique 

Le PKK se retrouve ainsi à affronter un Etat turc renforcé sur le plan régalien, dans une région en recomposition à ses dépens. S’il est facile d’attaquer cette auto-dissolution et de l’analyser comme un abandon définitif de la lutte armée au profit d’aventures électorales, la prudence est de mise.

D’abord parce que le cycle d’intégration de la Turquie au Centre capitaliste demeure inachevé. La crise économique et politique que connaît actuellement le pays, les difficultés du régime à renouveler sa base sociale sont autant d’éléments qui pourraient amener à un affaiblissement à moyen terme de l’appareil coercitif actuellement triomphant. 

Ensuite, car le nouvel ordre régional qui marque le Moyen-Orient est lui-même instable et en pleine recomposition, tant l’Etat irakien que le nouvel Etat syrien restent fragiles et la présence américaine est loin d’être sécurisée. 

Enfin parce que le PKK n’est ni à sa première réorientation, ni à son premier coup de tonnerre : la dissolution du PKK ne met en rien fin à des réseaux de solidarité de militants armés et formés par des décennies de conflits, le mouvement a toujours su s’adapter aux nouveaux contextes du fait d’une structure efficace et d’une implantation locale solide. 

Si les perspectives de dépôt des armes en Turquie et d’intégration à une armée étatique naissante en Syrie pourraient sonner le glas de la lutte armée, celle-ci ne doit ni être vue comme la fin du combat politique lancé par le PKK, ni une institutionnalisation définitive. 

Repli stratégique ? Tentative d’intégrer le système institutionnel turc ? Réelle transformation de fond ? Ce sont le contexte et les contraintes structurelles qui ont amené le PKK à se lancer dans la lutte armée puis à l’abandonner. Seul le temps pourra nous dire vers quoi s’oriente un peuple kurde résolument progressiste et aspirant à une existence propre.


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