Le matin du 21 avril, lundi de Pâques, les cloches de Rome résonnent sans fin. Le verdict est sans appel. Le pape est mort.
Deux jours plus tard, l’Élysée ordonne la mise en berne des drapeaux français sur la façade des bâtiments publics. Un geste lourd, une faute grave : faire plier l’emblème républicain devant un chef religieux étranger, c’est piétiner un siècle de laïcité. C’est ce même drapeau tricolore que le Vatican, depuis Pie VI, n’a cessé de combattre, celui d’un peuple libre, affranchi du trône comme de l’autel.
François a pourtant su se démarquer. Premier pape non européen, il est sans doute l’un des pontifes les moins réactionnaires qu’ait connus l’Église. Mais derrière cette façade d’ouverture demeure une réalité inchangée : celle d’un monarque absolu, régnant au nom d’un dogme figé, hérité d’un autre temps.
Un pape « de gauche » ?
François était effectivement moins conservateur que ses prédécesseurs. Certains vont jusqu’à arguer qu’il s’agissait d’un « pape de gauche ». Qu’en est-il réellement ?
Premier jésuite à la tête de l’Église, François se voulait proche des plus précaires, il prônait une Église sobre, humble : « Une Église pauvre pour les pauvres. » Il tente de réformer la banque du Vatican, gangrenée par de nombreux scandales de corruption et de liens avec la mafia. Dès 2009, alors archevêque de Buenos Aires, il dénonçait les inégalités économiques comme des violations des droits humains. Il se défendait d’être communiste face à la presse argentine. Mais il affirmait avoir « rencontré de nombreux marxistes qui étaient des gens bien. » En soi, une position dans la continuité de la doctrine sociale de l’Église, défendant une critique des injustices économiques sans jamais rompre avec l’ordre établi.
Chef d’État pacifiste, il n’a cessé de plaider pour la paix en Ukraine, a reconnu l’État de Palestine dès 2015 et dénoncé le blocus américain à Cuba où il s’est rendu à deux reprises. Il s’est aussi illustré par un fort engagement en faveur des migrants, avec un premier voyage à Lampedusa en 2013, et un discours éloquent à Marseille en 2023 : « Nous ne pouvons plus assister aux naufrages provoqués par le fanatisme de l’indifférence. » Une phrase prononcée sous les yeux d’un Emmanuel Macron et d’un Gérald Darmanin probablement médusés, alors qu’ils préparaient leur très xénophobe loi asile immigration.
L’art de moderniser l’immobilisme
Malgré ces quelques prises de positions honorables, François s’est montré fondamentalement réactionnaire. Il s’est ainsi opposé à l’avortement, y compris en cas de viol, n’hésitant pas à qualifier les médecins pratiquant l’IVG de « tueurs à gages ». Une rhétorique d’une violence rare, alignée sur la frange la plus obscurantiste du clergé.
Sur la question de l’homosexualité, François est souvent présenté comme progressiste par une partie de la presse bourgeoise. Dès 2013, il déclarait : « Si quelqu’un est gay et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour le juger ? », puis affirmait en 2023 que « l’homosexualité n’est pas un crime ». Mais ces propos, bien que plus ouverts que ceux de ses prédécesseurs, rappellent surtout l’arriération d’un dogme. La France a dépénalisé l’homosexualité en 1791 : c’est il y a deux siècles et demi que ces phrases auraient été audacieuses et à la pointe du progrès. Ces frémissements verbaux s’accompagnent souvent de rétropédalages brutaux. En 2018 François suggérait que l’homosexualité chez les mineurs relevait de la psychiatrie, se faisant défenseur des thérapies de conversion.
Plus globalement, derrière les beaux discours, François n’a jamais profondément réformé l’Église. Il a notamment évoqué la pédocriminalité dans l’institution, mais a rejeté l’approche indépendante de la commission Ciase. Il n’a pas non plus remis en cause le célibat des prêtres.
Une soutane moderne, un dogme d’un autre âge
Finalement, François est d’abord resté un homme d’Église. Issu de ses courants les moins réactionnaires, mais avant tout un homme d’Église. Une Église à la tête d’un dogme arriéré dont une part conséquente des positions sociétales restent et resteront anachroniques.
Après les attentats de Charlie Hebdo, François s’était contenté de rappeler que « tuer au nom de dieu » est une « aberration ». Tout en ajoutant qu’« on ne peut insulter la foi des autres ». Il affirmait que la liberté d’expression ne saurait justifier le « blasphème », relativisant ainsi l’horreur. Dans ce contexte, de tels propos relèvent d’une indécence froide et obscène ; inacceptable.
Pour ce qui est de sa succession, le pire reste à craindre. Voilà une semaine que la droite et l’extrême droite ne cessent de mettre en avant la figure du cardinal guinéen Robert Sarah, digne héritier de l’Inquisition, radicalement homophobe et anti-immigration. L’archevêque de Marseille, Jean-Marc Aveline, semble quant à lui écarté, notamment en raison de son âge et de sa faible maîtrise de l’italien.
Dans les faits, François a nommé 108 des 135 cardinaux électeurs : son successeur devrait donc s’inscrire dans sa lignée. Des profils comme l’Italien modéré Pietro Parolin ou le Philippin Luis Antonio Tagle, sont aujourd’hui donnés favoris.