Plus de 40 ans d’histoire politique du PKK au Moyen-Orient

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Plus de 40 ans d’histoire politique du PKK au Moyen-Orient

Le Parti des Travailleurs du Kurdistan (Partiya Karkerên Kurdistan – PKK) est probablement l’organisation politique kurde la plus connue à travers le monde. Il faut dire qu’il est difficile d’échapper aux images de son fondateur Abdullah Öcalan, “Apo” pour ses partisans, ainsi qu’aux drapeaux à l’étoile rouge régulièrement visible dans les rassemblements et manifestations. Classé comme organisation terroriste par l’Union Européenne, longuement attaqué par l’Etat turc, le PKK reste un objet politique central pour comprendre les luttes du peuple kurde tant en Turquie qu’en Syrie ou dans la diaspora.   

Une lutte armée en réaction à la répression (1979-1990)

Issu du creuset idéologique de la gauche marxiste de la Turquie des années 1970, le PKK initie ses activités avec une stratégie combinant légalisme et rapport de force armé. Le parti kurde se déployant alors dans les municipalités rurales d’une des régions les plus pauvres du pays, il doit faire face aux grands féodaux kurdes liés à l’Etat et n’hésitant pas à utiliser la violence physique pour maintenir leur autorité.

C’est la répression féroce d’un Etat turc intransigeant et de ses supplétifs locaux qui pousse le parti à entrer dans une stratégie de lutte armée : tandis que les élus du PKK sont brutalement assassinés, l’armée turque reprenant les rênes de l’Etat en 1980 emprisonne et torture des milliers de personnes, interdisant par la même occasion la moindre expression politique.

Durant vingt ans, le PKK va profiter d’un climat local et international favorable au développement d’une stratégie de guérilla. Formés dans les camps d’entraînement de l’OLP au Liban, les cadres du PKK parviennent à se construire un appareil militaire efficace pour les territoires montagneux du Kurdistan du Nord. Le discours social en opposition à l’Etat turc et aux notables féodaux locaux permet également au parti de s’implanter durablement auprès des masses populaires kurdes. Il développe un climat de sympathie en réaction à un État toujours plus répressif. Sa centralité politique n’est pas freinée par la politique turque qui va jusqu’à vider les villages kurdes jugés trop favorables au PKK. Au contraire, le parti et ses réseaux se développent également dans les villes. 

Entre régionalisation et crises internes (1990-1999)

Si le rapport du PKK avec les kurdes irakiens reste complexe, l’autonomie de fait obtenue par le Kurdistan irakien dès 1991 permet au PKK de trouver une arrière-base pour poursuivre sa lutte. Il doit cependant rapidement faire face à un système irakien bien plus ancré dans des dynamiques féodales hostiles à l’idéologie socialiste du parti. En 1994, la guerre civile kurde opposant les partisans du Parti Démocrate du Kurdistan (PDK) à ceux de l’Union Patriotique Kurde (UPK) piège le PKK dans un nouveau conflit. Il se retrouve à soutenir l’UPK, les combattants du PKK doivent faire face à un PDK allié à l’armée turque pour saper leur influence. Parallèlement, si le parti parvient à s’implanter en Syrie avec l’aval de Damas à la condition d’y limiter ses activités politiques, la Turquie obtient également l’expulsion de l’état-major du PKK de Syrie en 1998. 

La violence et la régionalisation des affrontements avec l’Etat turc rend les années 1990 la stratégie difficilement tenable sur le temps long. Le climat international marqué par l’hégémonie américaine et la chute du bloc socialiste profite à une Turquie sous perfusion économique occidentale. Déterminé à résoudre le conflit par les armes, le PKK doit faire face à des crises internes de plus en plus dures s’intensifiant avec l’arrestation de Öcalan en 1999. 

Réorientation stratégique et théâtre syrien (2000-)

Au tournant des années 2000, le PKK connaît un nouveau revirement stratégique. Il doit composer avec une population kurde plus urbanisée. Il décide d’opérer une mue idéologique pour tenter de maintenir son influence et retrouver des soutiens internationaux. L’abandon du marxisme-léninisme et l’adoption du « confédéralisme démocratique », imprégné par une pensée socialiste libertaire, transforme profondément le PKK dans son discours et sa structure. En 2005, la création de l’Union des Communautés Kurdes (Koma Civakên Kurdistanê – KCK) permet de coordonner les structures politiques et militaires des branches turques, irakiennes, syriennes et iraniennes et vient renforcer la dimension régionale du PKK. 

La libéralisation relative du régime turc, l’arrivée au parlement de premiers représentants kurdes et la prise de pouvoir d’Erdogan engendrent de premiers espoirs. Ils sont rapidement balayés par les bombardements de l’armée turque sur les bases irakiennes du PKK en 2004 et la reprise du conflit dès 2005.  Dans les années 2010, la déstabilisation de la Syrie renforce considérablement le PKK. Le Parti de l’Union Démocratique (Partiya Yekîtiya Demokrat – PYD), organisation-soeur syrienne du parti, parvient rapidement à prendre le contrôle de villes kurdes comme Kobané, Afrin et Qamichli. Le PYD et ses unités obtiennent ensuite une notoriété internationale dans leur lutte contre l’Etat islamique menant à la prise de Rakka en 2017, puis l’ensemble du Nord-Est syrien constitué en Forces Démocratiques Syriennes (FDS). 

Organisation à la fois politique et militaire, régionalisée à l’image du peuple kurde, le PKK est ainsi un acteur-phare des quarante dernières années de l’histoire de la Turquie et du Moyen-Orient. Largement capable de modifier sa stratégie en fonction des besoins, il aura cependant dû faire face à un Etat turc intransigeant qui n’a que peu bougé dans son rapport tant à l’organisation qu’à un Kurdistan septentrional perçu comme une périphérie instable.


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