« Le débat se focalise beaucoup sur la définition juridique du viol, on doit aller au-delà »

publié le dans
« Le débat se focalise beaucoup sur la définition juridique du viol, on doit aller au-delà »

Après le vote sur la définition du viol au Parlement européen, un débat se poursuit sur la notion de consentement. Avant-Garde s’est entretenue avec Shirley Wirden, responsable de la commission féminisme du Parti communiste français, pour comprendre les enjeux du débat.

Pourquoi y a-t-il un débat sur la définition juridique du viol ?

À la base, il y a la volonté d’harmoniser la définition juridique du viol en Europe avec l’ambition de mieux prendre en charge les victimes et de mieux leur rendre justice. Aujourd’hui, justice n’est pas rendue aux victimes. La France a notamment été épinglée plusieurs fois sur des défaillances en cette matière.

Toutes les féministes sont d’accord sur la volonté de rendre justice et d’avoir une meilleure prise en charge judiciaire. Le taux de classements sans suite est trop élevé, celui des condamnations est trop faible, c’est scandaleux. Une directive interministérielle appelait même à utiliser les classements sans suite pour désengorger les commissariats !

Beaucoup de viols ne passent pas en cour d’assises, mais vont au tribunal correctionnel. Le PCF a demandé d’interdire cette correctionnalisation des viols, car elle requalifie le viol en délit, alors qu’il constitue un crime. Quand il y a 1 % des plaintes qui aboutissent à une condamnation, on est clairement devant une atteinte aux droits des femmes.

Le gouvernement a cru utile de proposer des assises spéciales sans jury populaire pour raccourcir les délais de procédure…

La cour d’assises a une portée spécifique, elle juge des crimes, devant elle l’accusé doit rendre compte à la société. L’argument donné aux victimes pour les faire accepter la correctionnalisation est la rapidité. En réalité, c’est surtout un avantage pour les administrations et pas pour les victimes.

On instrumentalise la dureté d’une procédure en faisant croire que l’intérêt des victimes est la correctionnalisation du viol, alors que c’est l’intérêt de l’administration. Le PCF propose justement de créer comme en Espagne des juridictions spécialisées, dédiées aux violences sexuelles, pas simplement des « pôles ». Il y a besoin d’une formation très spécifique en la matière, avec une connaissance des psycho traumatismes. C’est beaucoup d’investissements à la base, mais on sait que ça porte ses fruits en Espagne.

Il faut en fait protéger les femmes en amont des procès, je pense notamment aux féminicides qui sont précédés souvent de plaintes classées sans suite. Appuyons-nous sur des modèles en Europe qui ont fait leurs preuves.

C’est donc un problème de définition ou un problème plus large ?

On pense, au PCF, que le débat se focalise beaucoup sur la définition juridique du viol, alors que l’enjeu se place dans le primo-accueil des victimes, dans tout le parcours judiciaire de la victime.

Si on prend l’exemple de Shaïna qui a été violée, agressée et brûlée vive à Creil, dont la journaliste Laure Daussy retrace le parcours dans La Réputation, on voit qu’elle a subi les défaillances de la justice : elle n’a pas été examinée par les bons spécialistes, son dossier stigmatise son attitude, etc. Tout un ensemble de stéréotypes a conduit à ce qu’elle ne soit pas protégée dès le dépôt de plainte, dès les examens et les interrogatoires.

Si on pouvait ne parler que de la définition juridique du viol, ça voudrait dire que tout le reste fonctionne.

De plus, la France a ratifié la convention d’Istanbul, sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes, qui contient déjà la notion de consentement. La France ne rejette donc pas totalement cette notion.

Les enquêteurs et les professionnels de la justice s’appuient donc déjà sur la notion de consentement ?

Oui, ils le font. Le viol constitue le seul crime dont il faut que la victime se justifie. En pratique, il y a une « présomption de consentement ». On part du principe que la victime était d’accord, elle doit expliquer en quoi elle n’était pas d’accord. Il faut prouver l’absence. C’est très difficile.

On n’essaie jamais de prouver qu’une victime d’homicide n’était pas d’accord. Même si quelqu’un te demande de le tuer, tu n’as pas le droit de le faire. En fait, on est dans une société très sexiste, empreinte de culture du viol, où la culpabilité pèse sur la victime de viol.

Comment mieux protéger les victimes ?

Il faut toute une révolution judiciaire. Beaucoup d’expertes, de chercheuses, d’associations, nourrissent le débat sur la définition du viol. Toutes ne sont pas d’accord. Il faut instruire ce débat, prendre le temps d’écouter. On ne peut pas changer souvent la définition du viol. C’est un bouleversement de société. Il ne faut pas se précipiter.

Il y a quand même des conceptions plus ou moins libérales du choix. Le modèle anglo-saxon est porté sur un choix individuel, idéaliste. Nous avons au contraire une conception matérialiste : les conditions objectives ont une incidence sur les choix que nous faisons. Poser son consentement s’inscrit dans un certain contexte. Ce que précise d’ailleurs la convention d’Istanbul.

Nous proposons d’affiner le contexte dans la définition du viol : parler du phénomène de coercition ou d’emprise, être un peu plus précis sur ce qui définit la menace, la surprise et la contrainte. Qu’est-ce qui amène une femme à céder, pour survivre dans un certain rapport de forces ?

On considère que les actes de prostitution sont des viols tarifés. On a un désaccord avec celles et ceux qui disent que la prostitution est un choix éclairé. Au regard du contexte social dans lequel on est, une société profondément sexiste et patriarcale, on estime que le consentement n’est pas possible dans une situation de prostitution.

Il y a d’ailleurs eu une évolution sur le consentement des mineurs.

Oui, il n’y a pas de consentement possible avant 15 ans. C’est une avancée importante. On se trouvait auparavant dans des procès où était posé le potentiel consentement d’un enfant. Ce n’est plus possible.

Certaines féministes disent qu’on peut élargir le type de circonstances où le consentement est impossible. Il y a bien sûr débat. Mais il y a des réflexions sur les situations hiérarchiques par exemple.

Comment interpréter le vote négatif de la France sur l’harmonisation de la définition européenne du viol ?

La France a fait valoir son désaccord avec la nouvelle définition. Il y a certes la question de l’indépendance des États. En tout cas, on peut dire qu’il n’y a pas de politique volontariste de la France pour répondre aux différentes études et observatoires qui la poussent à réagir. La France n’est pas à la hauteur en matière d’accès aux droits, de services publics. Il y a une indigence intellectuelle évidente quand le chef de l’État tient les propos sur Depardieu (l’auteur le rend fier, alors qu’il est accusé de violences).

On a changé trois fois de secrétaires d’État à l’égalité. Isabelle Rome, qui était reconnue, soutenue par les féministes, a été remerciée. Le sujet n’est pas pris au sérieux et il n’y a pas de volonté d’instruire le débat. D’ailleurs, le budget alloué par l’État n’augmente pas proportionnellement au nombre de plaintes, c’est donc au détriment de la qualité du service public.

Est-ce qu’il y a un intérêt extra juridique de la notion de consentement ? Mène-t-elle à une réévaluation des relations intimes ?

Cela a effectivement fait avancer le débat. Comment, dans nos relations intimes, on s’assure de l’assentiment de l’autre ? On a ainsi plaidé la communication comme partie intégrante du jeu de séduction.

Je crois qu’on est à une nouvelle étape. Dans le consentement, il y a quelque chose de très passif. Mais les femmes ne sont pas là seulement pour acquiescer ou non face à une sollicitation. Elles sont motrices de leur propre désir, elles ont la capacité de le manifester, de le verbaliser. Parler de désir, c’est un progrès. Si l’homme est toujours à l’initiative du rapport sexuel, il y a quelque chose de déséquilibré. On a besoin d’autres conceptions, où les femmes sont maîtresses de leur désir.

Cela demande une éducation à la vie sexuelle et affective qui n’est pas faite aujourd’hui. Il faut sortir des schémas de l’industrie pornographique dont toute une génération a été abreuvée et où on voit un système de domination violent où il y a une relation déséquilibrée. Il faut continuer à travailler la notion de consentement, mais on peut aller un petit peu plus loin dans la manière de se réapproprier une sexualité émancipée et équilibrée.

Les femmes n’ont pas seulement à consentir au désir masculin…

Non, mais pour cela il faut avoir la maîtrise de son propre corps. On s’améliore sur la connaissance du clitoris par exemple. Si les femmes ne maitrisent pas les signaux de manifestation de leur propre désir, c’est difficile de le communiquer. Les hommes n’ont pas non plus une grande connaissance du corps et du désir féminins.

Rappelons que les violences sexuelles n’ont pas de rapport avec la sexualité. L’agresseur n’est pas simplement un ignorant, il a une volonté de domination. Le « non » peut même être un moteur de désir pour des violeurs. L’éducation à la vie sexuelle fera progresser la société dans son ensemble dans son rapport à la sexualité, mais ce n’est pas une formule magique pour la lutte contre les violences.

Il faut notamment travailler sur la protection de l’enfance, car l’absence d’écoute et de réaction des adultes a causé des dégâts sur la psychologie de personnes qui peuvent devenir elles-mêmes auteurs de violences.

Il y a plusieurs champs sur lesquels il faut travailler pour repenser les rapports femmes hommes : les inégalités sociales et économiques, l’éducation, etc. On est bien au-delà de la simple question de la définition juridique du viol.

Sur l’aspect répressif, que faut-il améliorer ?

Est-ce que la répression est vraiment utile à la société et aux victimes ? C’est une question qui se pose. Gisèle Moreau disait, lors du procès d’Aix-en-Provence de 1978 qui a permis la criminalisation du viol, que la solution ne passe pas seulement par le volet répressif, mais par un changement de société qui transforme les rapports sociaux et donc les rapports intimes.

L’idée d’une justice restaurative est intéressante. À titre personnel, je ne crois pas que la prison soit une solution à quoi que ce soit. En quoi ça permet de profondément s’interroger sur les raisons qui ont poussé à faire preuve d’autant de violence ? De plus en plus de victimes veulent faire appel à une justice restaurative, c’est un sujet auquel il faudrait réfléchir davantage.

Pour l’heure, le PCF veut prioritairement revoir de fond en comble la prise en charge judiciaire des victimes, avec le principe que la charge ne doit pas reposer sur la victime. Le débat judiciaire ne doit pas se concentrer sur la manière dont la victime a manifesté son absence de consentement. Ce n’est ni à la victime ni à l’accusé de prouver la culpabilité ou l’innocence, c’est au procureur de la République : c’est la société qui est contre l’accusé. Il ne faudrait pas que la société regarde quelle a été l’attitude de la victime, au lieu de regarder la responsabilité de l’auteur des violences.


Édition hebdomadaire

Mêmes rubriques