Depuis le premier janvier sont étendues à l’ensemble du territoire les Cours criminelles départementales (CCD). Fruit de la réforme Dupond-Moretti sur la « confiance en l’institution judiciaire », ces CCD ne jugeront que les infractions graves, passibles de 15 à 20 ans de prison, mais elles ne sont composées que de cinq magistrats professionnels et sans jury populaire.
Elles sont expérimentées depuis 2019 dans 15 départements et déjà décriées à l’époque. Le gouvernement ne semble pas avoir pris en compte les divers constats faits par la profession, par les associations de magistrats, par les parlementaires. En 2021, les sénateurs communistes, socialistes et quelques dizaines de républicains demandaient tout bonnement la suppression de l’article de loi :
« Aujourd’hui on écarte le peuple des CCD, et demain, on nous demandera de l’écarter des cours d’assises » expliquait alors Cécile Cukierman, sénatrice communiste.
Un dispositif qui ne remplit pas ses objectifs
Si les objectifs annoncés peuvent paraître justes — tout du moins dans une certaine mesure — il n’en reste pas moins qu’ils ne sont pas atteints au sortir de ces trois années d’expérimentation.
L’objectif de désengorger les cours d’assises, en récupérant une partie des affaires aujourd’hui jugée par cette juridiction, n’a su être rempli que dans un département sur les quinze. Sur ce point, le rapport d’évaluation de novembre 2022 semble annoncer un délai de douze mois pour un jugement, ce qui est proche du délai moyen en cours d’assise.
Il s’agissait aussi de « lutter contre le phénomène de correctionnalisation, notamment en matière de viol ». Encore une fois, l’objectif n’a pas été atteint. Depuis la loi Perben II de 2004, les viols peuvent en effet être correctionnalisés, en somme, être requalifiés en délit d’agression sexuelle ou d’atteinte sexuelle sur mineur. Ce qui suppose de fait une régression de moitié de la peine encourue.
Sur ce point, des syndicats d’avocats rappellent que la procédure criminelle est longue, traumatisante, et que c’est « souvent avec l’accord des victimes, par résignation ou pour des raisons stratégiques que l’on correctionnalise ».
Il est donc question de moyens, humains et financiers avant tout, ce que revendique la profession depuis des années.
Le jury populaire, un simple héritage ?
Héritage de la Révolution française, certes, mais héritage vivant, les jugements sont le fruit d’un procès où l’écoute et la pédagogie — jurés non professionnels oblige — permettent d’appréhender une situation en toutes ses mesures.
De nombreuses voix se lèvent devant la contradiction de la réforme Dupond-Moretti, se voulant répondre à la crise de confiance citoyenne dans l’institution judiciaire en écartant toujours plus les citoyens de cet espace.
Pas à une contradiction près, le ministre de la Justice s’enfonce donc. Alors même que des tribunaux, dont celui de Bobigny, préviennent d’ores et déjà qu’ils ne seront pas en mesure d’organiser une Cour criminelle départementale.
Autre contradiction. Un tel dispositif requiert des moyens supplémentaires, ce qui ne semble pas être à l’ordre du jour. En réalité, dans les 15 départements pilotes, c’est la mobilisation de magistrats du civil dans ces CCD qui ont permis de tenir difficilement le cap. Problème déplacé, certes, mais au détriment des affaires familiales, de l’instruction et de l’ensemble de ces dossiers.
Pourquoi le gouvernement s’évertue-t-il dans cette démarche alors que tout semble montrer que les résultats de l’expérimentation sont mauvais ?