Mercredi 8 janvier, une commémoration était organisée au siège du PCF en hommage aux journalistes de Charlie Hebdo assassinés il y a 10 ans. L’actuel rédacteur en chef de Charlie Hebdo, Gérard Biard, participait à l’événement et a accordé cette interview à l’Avant-garde.
Pourquoi avoir choisi de venir au siège du Parti communiste pour cet hommage ? Qu’est-ce qu’évoque pour vous le PCF ?
Le PCF, d’abord par son histoire, c’est des combats, c’est la Résistance. Et puis, depuis quelques années déjà, c’est aussi une forme de résistance à ce qu’une partie de la gauche est en train de devenir aujourd’hui. C’est-à-dire que c’est aujourd’hui un parti, en tout cas avec Fabien Roussel, qui affirme fermement l’histoire de la gauche, son attachement à la laïcité, à la liberté d’expression, à la liberté de conscience, à l’universalisme, à l’universalisme des droits. Donc ça fait sens de venir ici, et puis on est invité.
Lors de la table ronde aux côtés de Natacha Polony, Richard Malka et Fabien Roussel, vous avez haussé le ton en déclarant que ceux qui prétendent que Charlie n’est pas de gauche devraient d’abord balayer devant leur porte. Charlie est-il un hebdomadaire de gauche ? Et quelle est sa place aujourd’hui dans le combat progressiste ?
Historiquement, Charlie a toujours été de gauche. Cavanna le définissait comme le journal de la raison contre tous les dogmes, qu’ils soient religieux ou politiques. C’est un journal de gauche qui a toujours porté des idées de gauche : l’écologie, quand ce n’était pas à la mode, les droits des femmes, la lutte contre l’extrême droite, la lutte contre les discriminations. Politiquement, c’est ça. Et aujourd’hui, parce qu’on attaque une idéologie religieuse, et une idéologie religieuse, politique et totalitaire, c’est tout juste si on ne nous accuse pas d’être dans la fachosphère.
Donc, à un moment, il faut bien rappeler ce que c’est que la gauche, et dire aux gens qui nous accusent : « Vous, vous êtes de gauche ? Vous êtes sûrs que vous êtes de gauche ? Parce que moi, je ne crois pas. » Voilà, c’est ça aussi Charlie Hebdo. C’est un journal satirique, c’est un journal politique. C’est un journal qui a été créé pour exercer les libertés. Cavanna et Choron l’ont fondé pour lire ce qu’ils ne pouvaient pas lire ailleurs et pour réagir à cette espèce de société corsetée, un peu rance, qu’était la société des années 1960 et du gaullisme. Charlie Hebdo, ça s’est créé contre ça.
Donc ce n’est pas pour rien que le livre qu’on a sorti sur nos amis qui sont morts s’appelle Charlie liberté. Nous, ce qu’on fait, c’est exercer nos libertés, point final. Donc, après, vous qui êtes de gauche, faites-en autant, sinon vous n’êtes pas de gauche.
Hier, un sondage Ifop publié par Marianne annonçait que 64% des 18-24 ans et 71% des 25-34 ans considèrent aujourd’hui qu’on ne peut pas rire de tout. 31% des 18-24 ans estiment que Charlie n’aurait pas dû publier les caricatures du prophète Muhammad en 2006. Comment pouvons-nous lutter, aujourd’hui, contre le retour du fait religieux et la montée de l’intolérance chez les jeunes ?
En faisant de la pédagogie, déjà. Je parlais tout à l’heure de l’association “Dessinez Créez Liberté”. Quand on va dans les écoles, les lycées, les collèges, quand on leur explique ce que c’est que la caricature, le dessin de presse, le droit au blasphème. On explique ce que ça veut dire de blasphémer, que ce n’est pas insulter un croyant ou les croyants. Le blasphème, c’est s’en prendre au pouvoir de Dieu, c’est contester un pouvoir, c’est l’exercice de la démocratie. Quand on leur explique tout ça, évidemment qu’il y en a toujours, parce qu’ils sont jeunes, parce qu’ils subissent des pressions sociales, des pressions familiales, qui disent non et résistent.
Mais globalement, majoritairement, quand on leur explique, ils comprennent. Sur l’initiative de la région Grand Est, il y a 14 lycées qui ont fait, pour le 7 janvier 2025, un Charlie Hebdo. On les a un peu aidés, on leur a expliqué comment on fait Charlie Hebdo. On l’a fait avec eux, et on a vu le résultat : ils ont fait Charlie Hebdo. Le Charlie Hebdo des lycéens. Avec leurs idées, avec leurs sujets, avec leurs propres dessins, leurs propres textes, leurs propres caricatures. Mais ils n’ont rien fait d’autre que Charlie. Quand on leur donne la possibilité, quand on leur dit que c’est possible, ils le font.