Les lamentations mélodisées des femmes kurdes : entre douleur et résistance

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Les lamentations mélodisées des femmes kurdes : entre douleur et résistance

Dans les vallées et montagnes du Kurdistan, une voix se transmet de mère en fille : celle des lamentations. Mi-chantées, mi-déclamées, elles pleurent les morts, les exils, les disparus. Mais derrière ces mélopées bouleversantes, une forme de résistance culturelle se crée.

Une parole portée par les femmes

Depuis des siècles, les lamentations, ou « dirê » en kurde, rythment les deuils, les mariages, les exils forcés. Elles sont presque exclusivement portées par les femmes, souvent âgées, qui trouvent dans cette forme orale un espace d’expression que la société patriarcale leur refuse ailleurs. En chantant les douleurs de leur village, de leur peuple, elles tissent une mémoire collective, à la fois intime et politique. Ce sont elles qui conservent les récits des massacres, des oppressions, mais aussi des amours contrariés ou des liens brisés par la guerre.

Dans un contexte d’oppression politique, de répression linguistique et d’effacement culturel, les lamentations chantées deviennent bien plus que de simples rituels. Elles sont un acte de survie, un moyen pour les femmes kurdes de dire : « nous sommes là », malgré les silences imposés, malgré l’exil. Ces chants ne sont pas seulement des expressions de douleur : ils sont des porteurs de mémoire, des véhicules d’histoires que l’on ne trouve ni dans les livres d’histoire ni dans les médias dominants.

Chanter pour transmettre

Dans les villages reculés comme dans les diasporas, des mères, des grand-mères, des sœurs chantent encore pour que les générations suivantes n’oublient pas. Elles racontent les noms des martyrs, les villages brûlés, les promesses trahies, mais aussi les instants de joie volés à l’ordinaire. Chanter, c’est garder vivante une langue, un imaginaire, une fierté d’être kurde dans un monde qui tente de les réduire au silence.

La transmission se fait sans partition, sans enregistrement, sans institution : elle passe par la voix, par la répétition, par l’émotion. En cela, ces chants sont profondément politiques. Car à travers eux, ce sont des siècles de luttes, de savoirs populaires et d’émancipation féminine qui traversent le temps. En chantant les deuils du passé, les femmes kurdes préservent l’espoir d’un avenir où leur parole ne sera plus tolérée uniquement dans la douleur, mais aussi reconnue comme une voix d’histoire et de dignité.


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