À Lannion, après les ouvriers, les techniciens, c’est au tour de la recherche d’être délocalisée.
La financiarisation des télécommunications
En France, nous avions Alcatel pour les téléphones et les réseaux. Puis il y a eu la fusion avec l’américain Lucent en 2006 et le rachat par le concurrent finlandais Nokia en 2016.
A cette époque, un engagement a été pris par Nokia auprès de l’Etat français pour maintenir des effectifs en France et surtout maintenir les activités de recherche et développement (R&D) jusqu’à 2020 (M. Macron, ministre de l’économie, en était le signataire).
Depuis 2006 et la fusion d’Alcatel et Lucent, de nombreuses restructurations ont eu lieu, devenant le symbole du mythe de l’entreprise “sans usines”. Les années 2010 ont été difficiles pour le groupe qui a dû faire face à une concurrence importante dans le domaine des télécommunications avec l’arrivée des smartphone et de la 4G. Très affaibli, après de nombreuses aides publiques et plans sociaux (déjà dénoncés pour leur manque de vision stratégique), le groupe est finalement racheté par Nokia.
Un quatrième plan de licenciements
La suite la voici: un nouveau Plan social pour sauvegarder l’emploi (PSE), un quatrième.
Pourtant, le groupe international se porte bien. Une bonne trésorerie, un Chiffre d’Affaires qui augmente, des contrats, un télétravail (pas encore terminé) qui a bien fonctionné pendant la crise du Covid.
Le cynisme de l’entreprise est hallucinant quand on connaît les sacrifices fait par les salariés, l’argent public touché au travers du Crédit d’Impôt Recherche (CIR) et du nombre de salarié embauché dans les 3 dernières années, en accord avec les engagements pris au moment du rachat.
Au final, le projet est la suppression de 1.233 postes dans la R&D en France (33% des effectifs), dont 402 à Lannion (Côte d’Armor) qui seraient délocalisés. Car oui, ceux ne sont pas des activités qui s’arrêtent faute de marchés, mais bien des activités qui sont déplacées vers la Hongrie, l’Inde, le Canada ou l’Allemagne pour des questions de compétitivité.
Lannion, un site historique gravement menacé
Avec ce plan, ce sont 51% des emplois lannionais qui sont délocalisés, remettant en cause l’avenir de ce site historique selon les syndicalistes.
Lannion, petite ville de la campagne bretonne est reconnue mondialement depuis les années 60 avec les installations des centres de recherche d’Alcatel (devenus Nokia) et ceux du CNET (devenus Orange Labs) pour la télécommunication.
Ces sites ont contribué à la recherche en télécommunication de manière significative (minitel, réseaux de fibre optiques,…).
Malgré cette excellence reconnue, le capital, au travers de la privatisation d’Orange (2004) et du transfert d’Alcatel vers l’américain Lucent puis vers le groupe finlandais (2015), a contraint violemment les budgets au nom de la rentabilité. Petit à petit, les dogmes du “projet”, de la “flexibilité” ont transféré les sujets de recherche vers des “hubs” de plusieurs milliers de salariés en région parisienne et à l’étranger.
Ce fait est visible par la diminution des effectifs, de plus de 2.200 salariés sur le site de Lannion en 1990 à moins de 800 aujourd’hui. Ce plan, s’il est mené à terme mettra en cause la pérennité du site.
Or cette fermeture annoncerait le départ de centaines d’ingénieurs et chercheurs qui participent activement à la vie du territoire, compromettant nombre de collaborations existantes et à venir avec Orange et surtout, mettant en péril l’avenir des étudiants de l’IUT et de l’école d’ingénieur de Lannion (ENSSAT) pour qui, Nokia est le second employeur localement…
J’ai pu discuter avec des syndicalistes qui m’ont expliqués que certains jeunes, employés il y a moins de 2 ans dans les nouveaux pôles cyber-sécurité et 5G, seraient contraint de quitter le site ou le groupe avec ce nouveau plan. Pour ces jeunes, c’est la stabilité de l’emploi après de longues années d’études vient d’être mis en cause par une direction soumise aux volontés de ses actionnaires et de leur vision à court terme de rentabilité.
A une époque où la 5G, la cyber-sécurité et les réseaux sont des enjeux cruciaux de souveraineté et de sécurité; A une époque où la précarité touche de plus en plus de jeunes diplômés; A une époque où la recherche de pointe sera nécessaire pour opérer la transition écologique; A la veille d’une crise économique et sociale sans précédent, le message envoyé par la direction de Nokia est révoltant.
Il est du ressort de la puissance publique d’absolument stopper ce plan de liquidation de la recherche en faveur de la profitabilité économique. Pour ça, l’Etat peut faire respecter et poursuivre les accords de 2016 ou bien conditionner les achats de matériel Nokia à la condition que la R&D ait été faite en France.
Nous pouvons compter sur les syndicats, qui mobilisés et organisés peuvent mener les négociations ardemment avec la direction pour ne transiger sur aucun points et maintenir l’activité en France.
Enfin, les forces politiques locales et les citoyens peuvent apporter un soutien indéniable à cette lutte par des actions et des manifestations. Ce fut le cas le 4 juillet avec près de 5,000 personnes rassemblées à Lannion et le 8 juillet devant l’ambassade de Finlande.
Cette lutte ne fait que commencer et comme pour d’autres grandes entreprises qui licencient massivement, ces luttes doivent être gagnantes pour l’avenir du tissu industriel et productif français.