“Tout se passerait comme si le système scolaire ne cherchait pas tant, dans la relation pédagogique, à éduquer qu’à conjurer la sexualité.”
La mixité sexuelle scolaire reste une idée relativement neuve, elle ne découle pas d’une volonté politique, mais d’une démocratisation de l’enseignement qui l’impose notamment par manque de structures. Elle s’impose et, comme en grammaire, le masculin devient le neutre. L’élève, dans sa position d’élève, n’est pas sexué, il est apprenant ; or l’élève est un enfant, puis un adolescent, avec une identité en construction dont la composante genrée est un déterminant important.
La neutralité est une fable : à l’école, le genre est partout, des recherches sociologiques nombreuses en témoignent depuis plusieurs années et le thème a le vent en poupe. Dans cette construction identitaire, le secondaire, période où les pairs deviennent prioritaires pour l’enfant, va constituer la période des amourettes, ou “crush” aujourd’hui. La constitution de ces premières relations ne se fait pas en dehors de la société ; au contraire, la période exacerbe les inégalités. La sociologue Isabelle Clair parle de deux figures repoussoirs des cours de collège : “la pute et le pd”, les filles devant “protéger leurs réputations” et donc rester “sages, mais pas coincées” ; les garçons, eux, doivent à tout prix coïncider avec les attendus de leur genre, voire doivent les surjouer pour ne pas être mis au ban. Dans la cour de récréation, les élèves s’imposent un contrôle social fort, renforcé désormais par les réseaux sociaux. Les déviances à l’ordre social sont punies d’un isolement, voire de brimades, ou, plus exceptionnellement, par des agressions, qu’elles soient physiques ou sexuelles. Toujours pour Isabelle Clair, la parade pour échapper à la stigmatisation est la mise en couple : respectabilité pour les unes et assurance d’être un homme, “un vrai”, pour les autres.
Cette conjugalité précoce est ignorée par l’institution scolaire et, de fait, elle fait partie de l’adolescence et n’altère pas la qualité d’élève, sauf lorsque cette relation dysfonctionne. Photos de nus qui “tournent” (sont diffusées) dans l’établissement, jeu de “l’olive” (doigts dans les fesses), harcèlement post-séparation, etc. Les situations de violences sexuelles s’invitent en réalité assez régulièrement dans les établissements scolaires, si tant est qu’on les reconnaisse comme telles. À ces violences physiques s’ajoutent un climat exacerbé de violences verbales qui sont quasi intégralement constituées d’insultes sexistes : “salope”, “fils de pute” (la mère porte la honte), “enculé” (celui qui est pénétré, donc qui s’apparente à une femme), etc. Jean-Pierre Durif et Patricia Mercader, psychologues, ont enquêté auprès de personnels et ont observé des situations de vie scolaire : ils postulent qu’en réalité les agressions sexuelles ne sont pas une exception, mais sont constitutives de l’expérience du second degré ( Durif-Varembont, J. & Mercader, P. 2019). Les enquêtes de climat scolaire du ministère montrent qu’environ 6% des élèves du secondaire subiront une agression sexuelle ou un viol par un autre élève au cours de l’année scolaire. Les chiffres sont stables depuis dix ans et montrent systématiquement une surreprésentation des filles et un décalage important entre la déclaration d’incident scolaire par les chefs d’établissements et les chiffres d’enquête de victimation auprès des élèves.
Quelles réponses face aux violences sexuelles à l’école ?
L’Éducation nationale bénéficie d’un cadre très clair : la circulaire Royal de 1997. Elle prévoit un signalement auprès du procureur de la République, un signalement aux autorités de la protection de l’enfance ainsi qu’en interne une protection de la victime et une sanction de l’auteur dans l’établissement, jusqu’à son exclusion de l’établissement.
Dans les faits, la réalité est plus complexe. On distingue une différence claire entre l’agression sexuelle et le viol, quand bien même ces deux violences font partie d’un continuum. Dans le premier cas, l’agression est souvent minimisée : « juste une main aux fesses », « un jeu d’enfant » ; leur spécificité de violences sexuelles est niée, vue comme une violence « ordinaire », de la banalité quotidienne des établissements, tant du côté des équipes scolaires que des élèves qui les remontent peu. Dans le second cas, les équipes vont majoritairement externaliser le traitement des viols, le plus souvent en faisant appel aux parents, sans forcément avoir recours au signalement ; la sanction interne n’est quasiment jamais mise en place, le viol étant vu comme relevant du privé. D’autre part, dans les deux cas, ces violences sont vues au prisme des stéréotypes genrés : les garçons “jouent” car ils sont vus comme immatures, les filles, même au même âge, “provoquent” et on cherche leur responsabilité dans les violences subies.
En réalité, ce traitement : banalisation, minimisation, tabou, stéréotypes genrés, etc. semble similaire aux traitements réservés aux victimes « adultes » de violences sexuelles. Tout comme les “grands”, là aussi, l’école fait face à un manque de personnels médico-sociaux formés à la prise en charge de ces cas. L’école n’échappe pas au patriarcat. La mise en lumière des violences sexuelles réalisée par Metoo n’a pas permis de tenir compte de cet apprentissage précoce du patriarcat et de la violence ; au contraire, interrogés, les chefs d’établissements disent que ce mouvement leur inspire une méfiance de peur qu’on « signale tout et n’importe quoi ».
Et maintenant ?
Si ces violences font système, elles appellent une réponse globale. Depuis 2001, la loi prévoit trois séances d’éducation à la vie sexuelle et affective tout au long de la scolarité. Ces séances ne sont pas mises en place. L’association Nous Toutes a réalisé une enquête en 2021. Celle-ci démontre que seulement 13% de ces séances ont lieu et que, lorsqu’elles ont lieu, elles sont centrées sur l’aspect biologique de la sexualité. L’extrême droite a lancé une offensive sur cette question, mais le manque de moyens est bien plus efficace que les réactionnaires contre l’éducation sexuelle et affective ! Manque de moyens pour rémunérer des associations compétentes, surcharge des équipes éducatives, casse des classes au lycée : quand le bateau coule, la prévention paraît secondaire.
L’autre manque, c’est celui de la formation des équipes à l’éducation à l’égalité et aux traitements de violences sexistes et sexuelles. Partout, les formations se raréfient et, quand elles ont lieu, c’est sur les temps hors scolaires, n’engendrant pas l’engouement. D’autant plus que la mode est aux fondamentaux, l’ambition de former un citoyen capable d’agir sur son environnement, de réflexivité, est loin ; les formations pour les équipes éducatives suivent cette tendance. Regarder sa classe, sa cour de récré avec ce que le centre Hubertine Auclert appelle “les lunettes de genre” permet pourtant d’apporter un regard nouveau et utile aux éducateurs dans la prise en charge non seulement des violences sexuelles entre élèves, mais aussi dans la prise en charge de l’élève dans sa globalité et de la classe.
Nicole Belloubet, éphémère ministre de l’Éducation, avait dès 2001 établi 30 propositions contre les violences sexistes et sexuelles à l’école ; elle était alors rectrice de l’académie de Toulouse. Ces propositions ne sont à ce jour toujours pas appliquées.
Ces séances ne seront pas suffisantes face à un patriarcat présent dans toutes les sphères de la société, mais elles apportent un savoir citoyen, des valeurs républicaines qui sont soi-disant si chères à nos différents gouvernements. Elle propose un contre-discours aux futurs citoyens, un autre possible. Toutefois, l’école ne fera pas sa révolution de l’égalité sans que la société ne change. Et à l’inverse, pas de changements sociétaux sans prise à la racine. Quelques jours après la journée internationale contre les violences faites aux femmes, il est important de répéter que la seule répression ne suffit pas, nous avons besoin de prévention dès le plus jeune âge. Il ne s’agit pas uniquement de déplorer un monde de violences patriarcales, il faut désormais le transformer.