Fortes chaleurs au travail : un décret encore frileux

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Fortes chaleurs au travail : un décret encore frileux

La multiplication des vagues de chaleur rend chaque été plus dangereux pour des millions de travailleurs. Face à cette urgence, le gouvernement a adopté le décret n°2025-482 du 27 mai 2025, censé renforcer la protection des salariés exposés aux fortes chaleurs. Mais ce texte, présenté comme une avancée, est-il vraiment à la hauteur des enjeux sanitaires, sociaux et écologiques posés par le réchauffement climatique ?

Ce que change le décret

Jusqu’ici, la réglementation relative au travail par fortes chaleurs reposait principalement sur l’obligation générale de sécurité inscrite dans le Code du travail, complétée par quelques décrets et recommandations de l’INRS ou du ministère du Travail. Aucun texte n’imposait de mesures précises ou automatiques, ni ne reconnaissait explicitement la chaleur comme un risque professionnel à part entière.

Le décret n°2025-482, qui entre en vigueur ce mardi 1er juillet 2025, marque donc une évolution. Il inscrit officiellement la gestion du risque lié à la chaleur dans la réglementation, avec de nouvelles obligations formalisées.

Désormais, les employeurs doivent agir dès qu’une alerte de vigilance chaleur est émise par Météo-France. Ils sont tenus d’adapter l’organisation du travail, d’aménager les horaires, de prévoir des pauses supplémentaires, de fournir de l’eau fraîche en quantité suffisante et d’informer les salariés sur les risques et les gestes à adopter.

Le risque chaleur doit également être intégré au Document Unique d’Évaluation des Risques Professionnels (DUERP), contraignant les entreprises à anticiper et planifier des mesures de prévention. Ces exigences s’appliquent à tous les secteurs, mais ciblent particulièrement les métiers les plus exposés, comme le BTP, l’agriculture ou la logistique.

Contrairement aux dispositifs précédents, le décret donne une base légale à des mesures qui relevaient jusqu’alors de simples recommandations, ce qui pourrait en faciliter la mise en œuvre et le contrôle. Toutefois, il ne définit toujours pas de seuil de température précis à partir duquel le travail doit être interrompu, une revendication portée par la CGT. Ce flou laisse une trop grande marge d’interprétation aux employeurs.

Un début… largement insuffisant

Si la reconnaissance officielle du risque chaleur constitue une avancée, le décret reste très en deçà des besoins réels. L’absence de seuils chiffrés de température rendant obligatoire l’arrêt du travail vide l’obligation de « température adaptée » de sa portée juridique et empêche les salariés d’engager des recours efficaces.

Rien n’interdit concrètement de faire travailler à 40 °C, alors que l’OMS recommande de ne pas dépasser 28 °C pour une activité physique. Le texte ne prend pas non plus en compte les effets différés de la chaleur, tels que la fatigue, la perte de vigilance ou les risques d’accidents liés.

Plusieurs reculs sont également à noter par rapport au projet initial : suppression des pauses rémunérées, abandon des obligations de zones ventilées ou de consultation systématique du médecin du travail. Tout repose sur l’évaluation du risque par l’employeur, alors que les moyens de contrôle de l’inspection du travail restent dramatiquement insuffisants.

Dans ces conditions, la rentabilité continue trop souvent de primer sur la santé des salariés. Ce manque d’ambition est d’autant plus préoccupant que le réchauffement climatique va s’accélérer. Selon les projections du GIEC, la France pourrait atteindre +2 °C dès 2050 et +4 °C à la fin du siècle, entraînant une multiplication et une intensification des vagues de chaleur.

D’ici 2100, certaines régions françaises pourraient connaître des températures estivales dépassant régulièrement les 40 °C, rendant indispensable une adaptation en profondeur des normes de protection des travailleurs.

Des équipements encore inadaptés

Un autre problème majeur réside dans l’inadaptation des équipements et des tenues de travail aux fortes chaleurs. Vêtements épais, casques non ventilés ou chaussures lourdes, conçus pour la sécurité ou la productivité, se transforment en pièges lors des épisodes caniculaires.

Investir dans la recherche et le développement de matériaux et d’équipements adaptés aux nouvelles réalités climatiques devient urgent. Sans cette évolution, la prévention restera partielle et les travailleurs continueront de subir les conséquences du réchauffement climatique dans leur chair.

Si ce décret introduit des avancées notables, il illustre néanmoins les limites d’une approche qui se contente d’adaptations à la marge, quand ce sont des transformations structurelles qui s’imposent.


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