Navette parlementaire : gagner une bataille, perdre la guerre
C’est le 11 juillet 2025 que l’audiovisuel public a senti passer le vent d’un boulet tiré… en 2015.
La réforme sur « l’audiovisuel public et la souveraineté audiovisuelle » arrive en effet à l’aboutissement d’un processus politique entamé il y a dix ans, et grandement accéléré ces deux dernières années sous la houlette de la ministre de la Culture, Rachida Dati. C’est par le recours à l’article 44-3 de la Constitution que cette proposition de loi a franchi l’épreuve du Sénat : le “vote bloqué” y a mis un terme aux débats le 11 juillet dernier.
Pourtant, le 30 juin, l’Assemblée nationale avait rejeté cette loi dès son entrée en discussion. Mais après la joie des grévistes de Radio France ce jour-là, une lecture attentive des débats parlementaires offre une vision plus nuancée que celle d’une victoire.
En effet, la motion de rejet n’a été adoptée que dans une Assemblée désertée par la droite et le centre. Ce vote a mis fin aux débats avant qu’ils aient réellement commencé : la gauche s’est ainsi privée elle-même de la possibilité de défendre ses amendements, qui auraient pu transformer profondément le texte.
Résultat : le projet est arrivé au Sénat sans la moindre modification, laissant les mains libres à une majorité de droite pour l’adopter sans opposition possible.
Le contrôle de l’information comme seul objectif
Après son adoption par le Sénat, l’objectif principal de la réforme reste inchangé : regrouper tous les médias publics sous une seule bannière afin d’uniformiser leur gestion.
Une holding doit ainsi agréger France Télévisions, Radio France et l’Institut national de l’audiovisuel (INA), sous l’autorité d’une gouvernance unique — un PDG unique — chargé de l’ensemble.
Un des arguments avancés est celui de la « simplification administrative », en pleine période de restrictions budgétaires. Pourtant, cette réforme ajoute une strate administrative supplémentaire entre l’État et les opérateurs de l’audiovisuel public. Pour la simplification, c’est donc raté.
Et si l’on supprime des postes côté rédaction, aucun effort ne sera consenti pour étoffer ou améliorer l’offre éditoriale. Le public ne verra donc aucune amélioration, mais une hausse des coûts de gestion, chiffrée à 150 millions d’euros selon les syndicats.
Alors, pourquoi cette réforme ?
L’instauration d’un PDG unique vise un contrôle accru sur les lignes éditoriales des médias publics, faisant peser une menace directe sur la pluralité de l’information et l’éthique journalistique.
Le projet prévoit que ce PDG soit nommé par l’Arcom, instance dont le président est lui-même choisi par le Président de la République, tandis que 6 de ses 9 membres sont désignés par les présidents des deux Chambres. On est loin d’un modèle d’indépendance absolue.
Et ce n’est pas tout : un amendement gouvernemental prévoit que le PDG de la holding soit également PDG de chacun des membres du groupe, avec voix prépondérante au Conseil d’administration.
Cette concentration de pouvoir organisationnel au sommet du service public de l’audiovisuel jette les bases d’une prochaine étape : comme dans d’autres secteurs publics, l’ultime horizon semble être la privatisation.
Les 14,1 millions d’auditeurs quotidiens de Radio France et les 42,9 millions de téléspectateurs mensuels uniques de France Télévisions seront donc bientôt confrontés à une transformation profonde de leur service public de l’information — contre l’avis des syndicats et d’une grande partie des élus.
Il ne reste désormais qu’un ultime passage à l’Assemblée nationale, prévu à l’automne. Ce sera l’occasion pour les parlementaires de gauche de s’opposer à cette réforme, et de rappeler que le service public est le patrimoine de celles et ceux qui n’en ont pas.