L’acier est omniprésent dans notre quotidien. On le retrouve dans les voitures, les bâtiments, les ponts, les routes, les câbles de conduction électrique… Aucun autre matériau n’offre un tel éventail de propriétés mécaniques et de résistance à des coûts aussi compétitifs. Sans acier, impossible de répondre aux besoins de notre société.
En pleine guerre commerciale, dépendre de l’étranger pour une matière aussi stratégique est un pari risqué. L’Europe, et la France en particulier, doivent conserver la capacité de produire leur propre acier. Cela implique de maintenir une industrie sidérurgique vivante, innovante, et résiliente face aux chocs géopolitiques et économiques.
Un secteur industriel polluant
Mais cette dépendance a un prix : la sidérurgie est le secteur industriel le plus émetteur de CO2 au monde. À elle seule, la production d’acier représente plus de 7 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone. En moyenne, on estime qu’une tonne d’acier produit émet entre 1,8 et 2 tonnes de CO2.
Ces émissions sont en grande partie incompressibles. Elles sont liées non seulement à la combustion de combustibles fossiles, mais aussi aux procédés précédant la fabrication d’acier. La chaux, issue de pierres calcaires, est génératrice de CO2. Et le coke, utilisé comme combustible dans les hauts fourneaux, est du charbon minéral préalablement brûlé.
Ces émissions étant incompressibles, les technologies de captage de CO2 sont indispensables pour limiter les rejets dans l’atmosphère, responsables du dérèglement climatique actuel.
Les trois voies de production de l’acier
Pour produire de l’acier, pas de recette miracle. Il y a trois ingrédients principaux : du minerai de fer, un combustible, et de la chaux qui sert à éliminer les impuretés. Ce qui varie, c’est le moule.
La première méthode, majoritaire aujourd’hui, repose sur les hauts fourneaux, comme à Dunkerque. On y brûle du coke pour extraire le fer du minerai. Ce procédé est extrêmement polluant, mais technologiquement maîtrisé. Et le carbone produit peut être capté par diverses technologies.
La deuxième voie consiste à utiliser des fours à arc électrique. Moins émetteurs de CO2 en apparence, ils dépendent fortement du mix énergétique local : si l’électricité provient du charbon, le gain carbone est illusoire.
Cette méthode repose sur le recyclage d’acier existant. Or, les stocks de déchets métalliques sont limités, et tendent à diminuer avec les politiques de réparation et de réutilisation. Par ailleurs, l’acier recyclé est parfois de qualité inférieure, ce qui limite son usage dans certaines constructions exigeantes.
La troisième voie, plus récente, repose sur la réduction directe du fer (DRI), une technologie en cours de développement. Elle vise à remplacer le coke par de l’hydrogène, un gaz qui capte l’oxygène du minerai de fer pour ne rejeter que de la vapeur d’eau. En théorie, c’est le Graal de la sidérurgie décarbonée. En pratique, la technologie reste peu mature, coûteuses, et l’hydrogène vert est encore peu disponible à grande échelle.
Trouver l’équilibre et préserver les synergies
Produire de l’acier vert ne relève pas simplement d’une volonté politique mais aussi des réalités industrielles. Ainsi, l’avenir de l’acier ne se joue pas dans une opposition binaire entre anciennes et nouvelles technologies, mais dans l’articulation intelligente de ces trois filières. Les hauts fourneaux doivent coexister avec les fours électriques et le DRI. Chacune a ses forces et ses limites. Miser sur un seul procédé serait une erreur stratégique.
D’autant plus que la production d’acier génère des sous-produits utiles : le “laitier” des hauts fourneaux, par exemple, est un substitut précieux au sable, une ressource également en voie de raréfaction, dans la fabrication du ciment. Or, le laitier issu de la réduction directe du fer n’a pas les mêmes propriétés, et ne peut être utilisé de la même manière. Autrement dit, décarboner l’acier via le DRI pourrait paradoxalement rehausser l’empreinte carbone du ciment.
Une transition technologique à soutenir par la recherche
La décarbonation de la sidérurgie ne se décrète pas : elle s’organise, s’anticipe, se construit. Elle nécessite des investissements massifs en recherche et développement, pour rendre matures les technologies de demain, notamment celles liées à l’hydrogène ou au captage du CO2. Elle implique aussi une planification industrielle de long terme, capable de répondre aux besoins actuels, sans sacrifier ni l’environnement, ni l’emploi, ni la souveraineté.
Or, les choix industriels actuels sont bien loin d’aller en ce sens. À Dunkerque, ArcelorMittal prévoit de fermer progressivement les hauts fourneaux. Certes, ceux-ci sont polluants, mais ils représentent aujourd’hui la seule filière primaire pleinement opérationnelle en France. Les démanteler aboutirait à une perte de compétence, de capacité productive et d’autonomie stratégique.
À quoi sert la chaux ?
La chaux est produite à partir de pierre calcaire chauffée à très haute température. Elle est utilisée dans tous les processus de fabrication de l’acier. Bien qu’elle soit l’un des éléments à l’origine de la grande production de CO2 de la sidérurgie, elle reste un élément indispensable. Elle désulfure, déphosphore et capte les impuretés contenues dans le fer. Dans les hauts fourneaux, c’est elle qui forme le laitier, réutilisé pour produire du ciment bas-carbone.
En France, plus de la moitié de la chaux produite est destinée à la sidérurgie. Un bouleversement dans la production de chaux peut enrayer toute une chaîne industrielle. Mais cette production pourrait être menacée, tant par les choix de certains groupes industriels que par l’absence de planification publique.
Pourquoi capter le carbone ?
Certaines émissions de CO2 sont incompressibles. C’est-à-dire que, peu importe le processus, elles ne peuvent pas diminuer. C’est le cas de celles générées par l’utilisation de chaux.
Pour éviter que ce CO2 se retrouve dans l’atmosphère, des technologies existent pour le capter à la source. Les effluents gazeux sont ensuite transportés puis stockés dans des réservoirs géologiques. Ils sont ainsi isolés durablement de l’atmosphère et stockés de manière pérenne dans le sous-sol. Des technologies permettent également de faire passer le CO2 de l’état gazeux à l’état liquide pour ensuite le valoriser. Mais si ces solutions paraissent prometteuses, elles sont encore peu matures et très coûteuses.