Le candidat centriste à l’élection présidentielle équatorienne Fernando Villavicencio a été assassiné en pleine rue à Quito mercredi 9 août en fin d’après-midi, alors qu’il sortait d’un rassemblement politique.
Le président de la République Guillermo Lasso vient de décréter l’état d’urgence à travers le petit pays latino-américain, tandis que le scrutin est maintenu à la date du dimanche 20 août prochain.
Retour sur un crime politique
Le parti libéral Construye a désigné lundi le journaliste Christian Zurita pour remplacer Fernando Villavicencio, brutalement assassiné de trois balles dans la tête ce mercredi 9 août.
La scène de l’assassinat de Villavicencio, filmée par des témoins, circule activement sur les réseaux sociaux. Le candidat a été pris pour cible alors qu’il sortait d’une rencontre en plein cœur de Quito, la capitale. Un député, deux policiers et six autres personnes ont également été touchés au cours de la fusillade. L’une d’elles est morte le lendemain, des suites de ses blessures.
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La violence grandissante
Ce crime relève d’un rare niveau de brutalité politique au sein du pays, mais concrétise la montée en puissance de groupes criminels ultraviolents, dont l’activité est souvent liée au narcotrafic qui ravage toujours le continent.
Fernando Villavicencio était placé en deuxième position des intentions de vote du premier tour selon la plupart des instituts de sondage, derrière l’avocate de gauche Luisa Gonzalez. Le centriste, âgé de 59 ans, était connu pour son engagement contre la corruption et le crime organisé.
Suite au drame, le président de la République Guillermo Lasso a décrété un état urgence d’une durée de 60 jours, et un deuil national de trois jours, caractérisant l’assassinat de « crime politique à caractère terroriste » dont l’objectif est de « saboter le processus électoral ». La tenue du scrutin est cependant maintenue à la date du 20 août prochain.
L’implication de « groupes criminels organisés »
Le ministre de l’Intérieur Juan Zapata a confirmé récemment l’implication de « groupes criminels organisés » dans l’assassinat du candidat. Six Colombiens ont été arrêtés vendredi dernier tandis que l’assaillant avait été abattu le soir même du drame.
Le 10 août, le gang « Los Lobos » (les loups) a revendiqué la mort de Villavicencio et a directement menacé le candidat du Parti social-chrétien Jan Topić.
Faces caméra, cagoulés et lourdement armés, le groupuscule prétend avoir agi contre une classe politique équatorienne ultra-corrompue. Il semble cependant important de rappeler, une fois de plus, l’engagement de Fernando Villavicencio contre le narcotrafic, qui n’est probablement pas sans lien avec le fait qu’il ait été pris pour cible.
La semaine précédant son assassinat, Villavicencio affirmait d’ailleurs avoir fait l’objet de menaces de mort du narcotrafiquant Adolfo « Fito » Macias. Derrière les barreaux depuis douze ans, « Fito » est le dernier membre fondateur des « Choneros » toujours en vie. Ce gang formé dans les années 1990 est l’un des plus dangereux d’Équateur. « Los Choneros » n’hésitent pas à employer les pires brutalités pour s’emparer des routes de la cocaïne à travers le pays.
Trois jours après l’assassinat de Villavicencio, un raid d’envergure a été mené par près de 4 000 militaires et policiers au complexe pénitentiaire de Guayaquil, où est enfermé « Fito » et où lui et ses hommes contrôlaient au moins un bâtiment carcéral. Le narcotrafiquant a été transféré au centre de La Rocca, établissement de sécurité maximale au sein du même complexe.
Le président Guillermo Lasso a fait appel au FBI pour aider les services équatoriens dans l’enquête. Une délégation de la police fédérale américaine serait déjà sur place à l’heure actuelle.
L’Équateur, point de passage du narcotrafic en Amérique latine
Alors que l’un de leurs candidats vient d’être abattu de trois balles dans la tête en plein cœur de la capitale, la population équatorienne semble terrifiée. Les rues du pays sont quasiment désertes depuis la semaine dernière.
Malgré l’obligation du vote, près de la moitié des électeurs se montrait toujours indécise, à moins d’une semaine du scrutin, selon les instituts de sondage. Une grande partie des Équatoriens semble se lasser d’une classe politique corrompue, inefficace, voire complaisante à l’égard du narcotrafic qui ravage le pays.
Le crime organisé en Équateur a effectivement explosé au cours des récentes années. Le nombre d’homicides à Guayaquil, capitale économique du pays, a augmenté de 60 % sur la seule année de 2022. Au cours de la même période, 400 meurtres ont été recensés dans les prisons équatoriennes, faisant d’elles les plus dangereuses d’Amérique latine. Enfin, le taux d’homicides pour 100 000 habitants a été multiplié par 5 au cours des cinq dernières années, passant d’environ 5 en 2017 à près de 25 en 2022.
Fin juillet 2023, plusieurs mutineries avaient éclaté dans plusieurs prisons du pays, poussant Guillermo Lasso à décréter l’état d’urgence dans trois provinces. Les affrontements avaient fait plus d’une trentaine de morts, alors que les détenus étaient en possession d’armes dont la puissance de feu dépassait celle des agents de sécurité des prisons.
Si la violence ravage depuis quelques années l’Équateur, c’est parce que le pays est au carrefour du narcotrafic, partageant ses frontières avec la Colombie et le Pérou, les deux plus gros producteurs de cocaïne à travers le monde. Mais c’est aussi à cause de problématiques sociales.
Sous la pression du FMI et par le biais d’un président néolibéral, l’Équateur rogne en masse ses budgets publics depuis quelques années. Les conditions de vie des plus pauvres se sont effondrées sous la mandature de Guillermo Lasso. L’Équateur reste l’un des pays les plus inégalitaires d’Amérique à ce jour.
Un large mouvement social s’était constitué face à la politique de Lasso en juin 2022, revendiquant la baisse du prix des combustibles, le contrôle des prix agricoles, la hausse des budgets de la santé et de l’éducation, la suspension des projets de privatisation.