Le 5 novembre se tenait une marche pour l’organisation d’élection générale pour la Chambre des communes. Cette marche témoigne d’un véritable malaise dans la société britannique, qui ne semble pas se résorber avec l’élection du très libéral homme d’affaires Rishi Sunak.
Le trade-unionisme britannique est affaibli depuis les lois antisyndicales de Thatcher et la trahison du Labour avec le tournant du « new labour ». Pourtant, le pays est secoué par l’une des plus importantes grèves de la Grande-Bretagne depuis 40 ans. Ouvrant une vague d’espoir dans un pays miné par des années d’austérités.
Ainsi, depuis le 7 juin, le syndicat des cheminots et des dockers britanniques (National Union of Rail, Maritime and Transport Workers) appelle à la grève, notamment en soutien aux travailleurs du métro de Londres contre l’introduction du service de nuit.
Droit de grève ?
Cependant, cela n’est pas chose facile dans un pays où le droit de grève est l’un des pires d’Europe. Comme l’explique l’universitaire Marc Lenormand dans une interview à France Info :
En France, le droit à la grève est inscrit dans la Constitution. Ce n’est pas le cas au Royaume-Uni puisque dans les années 1980 et 1990, les gouvernements conservateurs ont introduit un cadre extrêmement restrictif. Cela veut dire qu’aujourd’hui, pour faire grève, il faut que les organisations syndicales fassent une campagne longue auprès de leurs adhérents, qu’ils organisent un scrutin et que ce scrutin vote majoritairement en faveur de la grève. Il y a même des seuils encore plus élevés dans certains secteurs puisque dans les transports, il faut non seulement au moins la moitié des adhérents et adhérentes consultés, mais aussi 40 % du corps électoral, c’est-à-dire de l’ensemble des travailleurs susceptibles de se mettre en grève.
En plus du cadre juridique britannique, le 23 septembre, le gouvernement démissionnaire de Liss Truss était même prêt à proposer l’interdiction du droit de grève, si celle-ci venait à s’éterniser. Et il avait par ailleurs organisé des remplacements par l’intermédiaire des plus précaires de la société britannique.
Une traversée du désert pour la lutte des classes britanniques
La propagande de guerre contre les travailleurs est encore tenace dans les milieux conservateurs et dans les médias.
Dans une interview sur la chaîne Sky news rendue célèbre par la bêtise de la présentatrice, celle-ci est obnubilée de faire admettre au secrétaire de la RMT (Syndicat des cheminots et des dockers britanniques) que le but des piquets de grève était d’empêcher les non-grévistes d’aller travailler. Que leur action serait forcément antidémocratique et violente ! Comparant alors des piquets de grève pacifiques à la grève des mineurs de 1984 considérée comme « une mauvaise violence ».
C’est un thème récurrent de la propagande contre les travailleurs. Thatcher n’hésitait pas à parler à propos des mineurs de 84 de « menace intérieure » et « d’ennemi de la démocratie ».
Le nouveau gouvernement des tories ne rompt pas avec la criminalisation de la classe ouvrière, au contraire, il en donne les mots d’ordre. Avec la nomination de la très réactionnaire Suella Braverman au ministère des Affaires intérieures, celle-ci a déjà fait des grévistes des parias de la démocratie (« menaçant la sécurité publique »).
Et le Labour ?
D’autre part, malgré la volonté de redorer son image auprès de la classe ouvrière britannique, le Labour n’est pas en reste.
Tous les syndicalistes se rappellent la politique de trahison menée par Blair qui n’a fait qu’essayer de rassurer les milieux d’affaires, promettant notamment de ne pas revenir sur les lois antisyndicales de Thatcher limitant très sérieusement le droit de grève. Alors que c’était au cœur de la politique du Labour qui avait par exemple en 1971 abrogé le Industrial Relations Act.
La crise du Labour vient d’une transformation de son discours adoptant un discours de plus en plus complaisant avec les classes dominantes et en rupture avec la tradition trade-unioniste.
Enfin, les affaires de corruption, particulièrement en Écosse, ont conduit à l’effondrement du parti dans les villes historiques du Labour. Je pense singulièrement à Glasgow avec l’émergence de la question écossaise et du parti national écossais. Ou encore l’émergence du mouvement populiste UKIP dans les classes populaires.
Le malaise de la classe travailleuse a pu déjà être exprimé dans les grèves sauvages de 2008 et la vague de mécontentement de 2010 à 2012.
Le labour semble alors mal placé pour se présenter actuellement comme une alternative aux tories.
Dans un débat organisé par la BBC en juillet, Mick Lynch était ainsi face à la « baronne » de Darlington Jenny Charpman, membre de la chambre des lords. Le secrétaire de la RMT critique la politique du Labour, comme une politique contre la classe ouvrière. Chose qui ne manque pas d’énerver et d’offusquer la Baronne, disant qu’il ne pouvait pas la juger sur son parcours de vie et qu’elle pouvait avoir servi en faveur de la classe ouvrière.
Pourtant, Lynch répond : « je ne vous connais même pas ! ». Démontrant ainsi que le fond du problème soulevé n’était pas personnel, mais politique. Cette séquence exprime ainsi tout le malaise de cette classe ouvrière qui ne se reconnaît plus dans le centrisme mou du parti travailliste.
Une grève populaire contre les tories
Quel meilleur endroit pour lancer la vague d’espoir des grèves des cheminots britanniques que le gala des mineurs de Durham ? Plus grand événement de masse de la classe ouvrière britannique depuis 1871.
Il ne reste plus aucune mine à présent dans cette région frappée par la désindustrialisation ni aucune classe ouvrière. Pourtant, c’est bien sur la grande tribune de l’édition 2022 du gala en juillet que Mick Lynch a lancé la fameuse phrase : « la classe ouvrière est de retour ! »
En effet, la classe ouvrière était de retour et les piquets de grève s’étendaient. De la grève des postiers, à la grève des enseignants, des imprimeries et des dockers, etc. Depuis le 5 novembre, les infirmières ont voté à une majorité l’organisation d’une grève avant Noël.
La grève a été et continue d’être très largement reprise dans un pays où le droit de grève est pourtant sévèrement encadré. En juin dernier, les grèves étaient soutenues par 45 % des Britanniques contre 37 % en opposition. En août, 48 % des Britanniques soutiennent les grèves pour 30 % en opposition.
Dans un pays où l’inflation était pour le mois de septembre de 10 %, les propositions d’augmentations des salaires, d’embauche massive, d’une révocation du gouvernement en place par des élections générales : tout cela porte pour les dépossédés de l’époque Thatcher.
Ainsi, la classe ouvrière ayant gagné son pari, il sera difficile à présent de ne pas composer de nouveau avec celle-ci comme actrice de la vie politique britannique et force consciente de son rôle dans le mode de production capitaliste.
Rishi Sunak, l’homme miracle ?
Alors que le RMT est actuellement en négociation depuis le 4 novembre avec les « rail bosses », que faut-il attendre des débouchés et perspectives de la classe ouvrière britannique ?
Tandis que les tories ont élu leur nouveau premier ministre et les whigs préparent leur prise de pouvoir, il est de plus en plus absurde de penser que les problèmes du peuple britannique vont se résoudre par la réforme et encore moins par la régression.
L’actuel président du Labour Keir Starmer, dans un discours en septembre, a fait part qu’il refuse toujours à Jeremy Corbyn de réintégrer le groupe travailliste.
Et malgré ses assurances de ne pas marginaliser la gauche du parti, il est évident que celle-ci semble toujours à l’écart de la direction. Les concessions, notamment sur les revendications de la gauche sur la nationalisation de l’énergie, ne peuvent que provoquer une difficulté de cohérence d’un parti en numéro d’équilibriste entre le parti du capital et parti du labeur.
Du côté de la gauche communiste extra-parlementaire, elle fut une force largement présente dans les grèves, d’Édimbourg à Londres. Du parti communiste britannique, au parti socialiste écossais. Avec bien évidemment l’aile gauche du labour.
Il paraît alors que l’unité par l’action des trois forces avec les syndicats offre la perspective pour une réelle alternative en Grande-Bretagne. À savoir si ce troisième pôle verra le jour ou non.
Il est cependant évident que les ouvriers et ouvrières de la RMT sont les éléments les plus conscientisés de cette classe ouvrière de retour pour enterrer une fois pour toutes l’héritage de Thatcher.