Suite aux élections générales de mars 2018, l’Italie est maintenant dirigée par un gouvernement d’alliance entre le Mouvement 5 étoiles et La Ligue (anciennement Ligue du Nord). Cette union a permis au leader de la Ligue, Matteo Salvini d’accéder au poste de Ministre de l’Intérieur, son slogan de campagne : « Les Italiens d’abord » laissant peu de doutes sur ses orientations politiques en matière de politique migratoire.
L’italie en première ligne
Une xénophobie et un refus de l’autre qui se sont violemment matérialisés le weekend du 9 et 10 juin quand Salvini a décidé de refuser l’accès à ses ports à l’Aquarius qui transportait alors 629 exilés sauvés des eaux de la Méditerranée. L’Italie est soumise depuis l’intensification des migrations entre la bande subsaharienne et l’Europe à un nombre d’arrivées de plus en plus important sur son territoire.
En 2016, sur 352.000 exilés arrivés en Europe 181.000 sont arrivés en Italie soit 51%. Cette situation est le résultat de plusieurs facteurs liés. Premièrement le renforcement des contrôles à la frontière de la Ceuta entre l’Espagne et le Maroc rendant cette voie d’accès à l’Europe de plus en plus difficile. Deuxièmement la chute du régime de Kadhafi qui par le biais d’accord avec l’Union Européenne contrôlait une grande partie des flux de migrants voulant passer par la Libye. Sa chute a entrainé une balkanisation du pays et a permis le développement de nombreuses milices dont la principale source de financement est maintenant le trafic d’êtres humains.
La Libye est donc maintenant devenue la quasi unique voie d’accès à l’Europe pour l’ensemble du continent africain. De ce fait l’Italie est maintenant le pays européen le plus proche et c’est donc « logiquement » que les embarcations de fortune chargées d’exilés tentent de rejoindre la terre la plus proche.
Une politique davantage dans la continuité qu’il n’y parait
Lors de la campagne électorale Salvini s’est engagé à expulser 500.000 migrants d’Italie et à stopper toutes arrivées dans le pays. Après l’Aquarius, Salvini continue d’interdire les débarquements dans les ports italiens. Si Salvini mène maintenant une politique ouvertement xénophobe et raciste, non seulement contre les exilés d’Afrique mais aussi contre les Rroms qu’ils souhaitent ficher, cette politique s’inscrit en partie en continuité de celle menée par le précédent gouvernement.
En 2017, Marco Minniti, prédécesseur de Salvini à l’Intérieur, a réussi à faire chuter le nombre d’arrivées en Italie de près de moitié en 2017, elles sont en baisse de 80% depuis début 2018. Cet ancien membre des services secrets a signé de nombreux accords avec le gouvernement provisoire libyen mais aussi avec des milices afin qu’ils bloquent les migrants sur la rive sud de la Méditerranée.
Ces accords, soutenus par l’Union Européenne, ont abouti à la création de centres de rétention en Libye, souvent de simples hangars ou usines désaffectées. Ces centres sont surpeuplés, environ 50cm² par personne, sans accès à l’eau, à un médecin ou à des sanitaires. Médecins sans frontière fait état de cas de malnutrition aiguë, mais aussi d’un arbitraire et d’une violence quotidienne : torture, viol, trafic d’êtres humains, racket.
Une politique honteuse qui nourrit l’exploitation la plus sauvage
Il n’est pas rare de voir le matin des « entrepreneurs » payer un garde et venir chercher une vingtaine de migrants pour les faire travailler gratuitement dans les champs. L’entrée dans ces centres se fait sans système d’enregistrement ni suivi de dossier, les exilés peuvent y rester de longues périodes ou être transférés de centre en centre puis disparaître d’un seul coup.
Les exilés qui arrivent à rejoindre l’Italie sont eux aussi parqués dans des centres de triage, si les conditions sont meilleures qu’en Libye, les difficultés sont nombreuses. Gérés par des coopératives ou des associations, l’Etat ne verse quasiment plus la trentaine d’euros quotidiens qu’il s’était engagé à payer pour fournir le minimum vital aux réfugiés. De nombreux exilés échappent à l’accueil des associations et vivent dans des camps de fortune, ils sont alors livrés à la prédation des mafias locales et d’entrepreneurs esclavagistes. Dans les fermes de Calabre ce sont des milliers d’ouvriers originaires d’Afrique qui récoltent les fruits, les tomates, les pommes de terre et gardent les troupeaux.
Travailleurs clandestins, sans contrat et souvent sans salaire, ils vivent entassés dans des blocs de bétons ou sous des tentes sans eau ni électricité et travaillent 10 à 15 heures par jour pour quelques euros. Certains sont même vendus à des exploitants agricoles. L’Italie compterait 2,5 millions de travailleurs immigrés en situation irrégulière dont le travail représente 9% du PIB du pays.
L’Aquarius révélateur des contradictions de la politique migratoire européenne actuelle
La récente crise politique déclenchée par le sort malheureux de l’Aquarius a mis en exergue la duplicité et le cynisme de l’Union Européenne et de sa politique migratoire qui laisse l’Italie et la Grèce prendre en charge la quasi-totalité des exilés. La Suisse, l’Italie et l’Autriche ont fermé leur frontière avec l’Italie depuis maintenant plusieurs années. La plupart des pays du Nord refusant d’accueillir une partie des exilés arrivés en Italie. A titre d’exemple, la France s’était engagée à accueillir 9816 demandeurs d’asile débarqués en Italie, elle n’en a actuellement pris en charge que 640.
La politique européenne en matière de migration se structure en deux grands axes. Un premier autour de l’agence FRONTEX, qui devrait voir son budget encore renforcé dans les mois à venir et du contrôle des frontières extérieures de l’Union. L’Union souhaite créer des « plateformes régionales de débarquement » dans des états frontaliers afin de se décharger des exilés mais aussi de mettre en place des centres de triage dans les pays du Sud de la Méditerranée. Ces « pays tiers sûrs » recevraient en échange une aide économique européenne, l’union se livre donc à un chantage clair : euros contre migrants.
A croire qu’aucune leçon n’est tirée de la catastrophe humanitaire libyenne et qu’il est plus important d’empêcher ces personnes d’arriver en Europe que d’éviter des crimes contre l’Humanité. Le deuxième grand axe est le règlement de Dublin, cet accord européen prévoit qu’un exilé ne puisse demander l’asile que dans le premier pays européen où il est arrivé. Concrètement, à leur arrivée en Europe les réfugiés sont inscrits dans un immense fichier européen avec photos, empreintes digitales et surtout premier pays d’arrivée, en cas de contrôle ils sont automatiquement déportés vers ce premier pays.
Des divergences européennes sur fond d’accord sur la fermeture des frontières
Ce mécanisme entraîne de fait la concentration des exilés dans les pays du Sud de l’Europe, en effet il est difficile de se rendre au Luxembourg par exemple sans traverser un autre pays européen. Ce système, dénoncé par de nombreuses associations, et aussi critiqué par des états comme l’Italie, L’Espagne ou la Grèce qui souhaiteraient une répartition automatique des demandeurs d’asile entre pays européens.
Cependant les 4 membres du groupe de Visegrad (Hongrie, République tchèque, Pologne, Slovaquie) dirigés par des gouvernements de droite extrême et d’extrême droite s’y opposent formellement, souhaitant conserver leurs frontières totalement hermétiques à l’image de la Hongrie et ses murs de barbelés pour bloquer la route des Balkans. Il semble alors que le seul point d’accord entre pays de l’Union soit simple : refouler et empêcher toute arrivée d’exilés, construire une Europe Forteresse, refouler en mer et laisser mourir consensus réaffirmé ce weekend lors d’un mini sommet européen où les seuls points d’accord étaient une nouvelle fois le renforcement de Frontex et la multiplication des hotspots .
L’Italie de Salvini et l’Union Européenne font donc le choix d’emboiter le pas aux autres pays gouvernés par l’extrême droite en Europe, de fermer ses frontières à tout prix quitte à livrer les exilés aux milices libyennes dans les conditions inhumaines qui sont désormais bien connues. Reste à savoir quels seront les résultats du sommet européen prévu pour ce weekend même si les pays de l’Est ont déjà annoncé leur inflexibilité sur le sujet, de son côté Salvini est en voyage en Libye afin de renforcer encore la collaboration afin de stopper le départ des migrants.