Eric Zemmour et Marine Le Pen se plaignent de ne pas avoir suffisamment de parrainages pour candidater à l’élection présidentielle. Pourtant, les maires peuvent être légitimement réfractaires à l’idée de permettre aux partisans de la thèse du « grand remplacement » de concourir. En effet, ces deux candidatures appuient leurs propos sur la thèse complotiste et xénophobe du « grand remplacement ».
La thèse d’extrême droite affirme l’existence d’un processus de substitution de la population européenne par des populations non européennes. Ses propagateurs tentent de masquer le racisme d’une telle proposition par de prétendues observations démographiques objectives. Il ne s’agirait que d’un constat. Cependant, elle soutient l’idée qu’une conspiration des élites (« mondialistes ») soutiendrait et organiserait le processus. L’immigration serait utilisée pour islamiser l’Europe, comme le suggère le roman Soumission de Michel Houellebecq. La conséquence politique de cette théorie est la « remigration », c’est-à-dire un retour forcé des immigrés vers leurs pays d’origine. En termes crus, elle implique des épurations ethniques. Depuis dix ans, l’auteur qui répand cette idée en France est Renaud Camus, condamné pour provocation à la haine et à la violence contre les musulmans en 2014.
Des déclarations…
Les références à cette thèse xénophobe sont délibérées et répétées. Nous n’en donnerons que quelques exemples, tant l’espace médiatique est saturé par ces idées. En janvier 2021, sur CNews, Éric Zemmour estimait que « vouloir la remigration ce n’est pas être raciste, c’est considérer qu’il y a trop d’immigrés en France, et que cela pose un vrai problème d’équilibre démographique et identitaire. » Depuis qu’il est candidat, il n’a eu de cesse de répéter ce thème, notamment le mois dernier sur Europe 1. Le polémiste est un multirécidiviste de la haine. Condamné pour provocation à la discrimination raciale en 2011, pour provocation à la haine religieuse en 2018, condamné de nouveau en 2020, il est actuellement poursuivi pour provocation à la haine et injures raciales.
Des responsables politiques dans l’entourage de Marine Le Pen ont également mentionné l’expression complotiste. Robert Ménard, maire de Béziers, évoquait en 2016 « le grand remplacement en cours ». Julien Rochedy parlait en 2013 d’« un grand remplacement de population à cause d’une immigration massive » dans un communiqué du Rassemblement national.
L’ancien président Nicolas Sarkozy avait repris à son compte certains éléments en 2016 : « La démographie fait l’histoire, et non le contraire, estimait l’ancien président. (…) L’axe du monde est clairement passé vers l’Afrique et l’Asie. Il nous faut réagir, ou on disparaîtra. »
… aux actes
Des terroristes comme Brenton Tarrant, auteur des attaques terroristes de Christchurch de mars 2019, se réclament de cette théorie. Il avait mis en ligne un manifeste intitulé The Great Replacement, un document de revendication et de propagande sur le « remplacement » de la population européenne par l’immigration. En fait, le catastrophisme du « grand remplacement » permet de justifier d’avance les violences commises contre ceux et celles qui constitueraient la menace.
Cette rhétorique sur le « remplacement » du peuple français ressemble aux discours antisémites. En effet, cette vision alarmiste sur le thème du déclin national en reprend de nombreux éléments. Edouard Drumont dans La France juive accuse les juifs de vouloir « détruire cette France d’autrefois qui a été si glorieuse pour la remplacer par la domination d’une poignée d’Hébreux de tous les pays ». Des idées reprises par Maurice Barrès, voyant une menace dans « l’envahissement » de « nouveaux Français ». On pouvait lire dans Le Figaro en 1920 : « Le Gouvernement occulte des Trois Cents […] qui constitue la véritable Internationale, a décidé de remplacer la race française en France par une autre race ». Une telle propagande a donné naissance à la collaboration avec l’Allemagne nazie, à la déportation et à l’extermination des juifs.
Dire en permanence qu’une partie de la population menace notre existence, met en péril notre survie, notre sécurité physique, nos enfants. C’est un discours au service d’un projet violent, préparant le terrain de la haine. Cette rhétorique est au cœur de toutes les entreprises génocidaires du siècle dernier. Le candidat communiste Fabien Roussel a déclaré comprendre les maires qui ne souhaitent pas parrainer l’extrême droite. Il a jugé cela impensable de la part d’élus de gauche.