Partout à travers le monde, ces dernières années, des mouvements anti-avortement ont vu le jour et se sont renforcés et structurés, exerçant une influence croissante sur les gouvernements. Ces mouvements s’élèvent pour faire reculer les droits humains en matière de sexualité et de reproduction. Cette évolution est inquiétante alors que l’OMS estime que près de 40 000 femmes décèdent chaque année des suites d’un avortement clandestin.
Ce constat nous rappelle que dans la grande majorité du monde, le droit à l’avortement date de moins d’un siècle et que le droit des femmes à disposer de leur corps est loin d’être acquis.
En France, où en est-on ?
En France, les campagnes d’affichage des anti-droit, les menaces reçues par le planning familial ou les « marches pour la vie », qui rassemblent annuellement quelques milliers de militants “pro-vie”, illustrent une remise en cause parfois violente de ce droit par une minorité.
Sur le territoire, la répartition inégale des médecins pratiquant l’IVG et les tensions d’approvisionnement dont fait parfois objet la pilule abortive rendent déjà l’avortement difficilement accessible pour certaines femmes. Le délai moyen entre la première demande d’IVG et sa réalisation peut varier de 3 à 11 jours selon les régions et 17,2 % des avortements sont réalisés en dehors du département de résidence.
Depuis 2022, le président de la République Emmanuel Macron a entamé un processus de constitutionnalisation du droit à l’IVG.
Dans son discours à l’occasion de l’hommage à Gisèle Halimi du 8 mars dernier, il rappelait sa promesse de « changer notre Constitution, afin d’y graver la liberté des femmes à recourir à l’interruption volontaire de grossesse, pour assurer solennellement que rien ne pourra entraver ou défaire ce qui sera ainsi irréversible ».
Près d’un an après la validation du premier texte par l’Assemblée nationale, comment a évolué ce projet controversé ?
Le 24 novembre 2022, l’Assemblée nationale votait de justesse un texte selon lequel « La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ». Ce texte prévoyait la création d’un nouvel article, le 66-2, de la Constitution.
Il était alors question d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution, et ainsi de reconnaître son caractère fondamental, mais également de consacrer un principe de non-régression qui rendait inconstitutionnelle toute atteinte à ce droit.
La possibilité de recourir à l’IVG serait ainsi élevée au rang des libertés fondamentales individuelles.
Au-delà de la France, une telle modification aurait indéniablement eu un impact international important. C’est d’ailleurs ce qu’attendait Emmanuel Macron qui confiait le 8 mars vouloir « adresser aussi un message universel de solidarité à toutes les femmes qui voient aujourd’hui cette liberté bafouée ».
Après avoir été approuvé par l’Assemblée nationale, le texte a été transmis au Sénat. Malgré de nombreux désaccords, ce dernier a finalement adopté le 1 février 2023 une proposition de loi. Malheureusement, cela s’est fait après d’importantes modifications. Pour de nombreuses associations qui soutenaient cette inscription, c’est le début de la désillusion.
Au début de l’année, les sénateurs ont donc validé un texte consacrant « la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ». Un compromis qui souhaite se placer à l’équilibre entre « les droits de la femme enceinte de mettre fin à sa grossesse et la protection de l’enfant à naitre après un certain délai » selon Philippe Bas, sénateur Républicain.
Liberté ou droit, qu’est-ce que ça change ?
Un droit, on le possède. C’est une forme d’obligation positive qui ne peut subir de restriction et vis-à-vis duquel l’État doit tout faire pour qu’il puisse être exercé. La liberté est un principe bien plus flou. Certes, elle serait garantie par la loi, mais cela n’empêche pas de modifier le cadre de son exercice ou d’y ajouter des restrictions. Ainsi, la liberté est garantie par la loi qui en fixe les limites. Elle n’impose aucune obligation à l’État.
Le texte proposé est le suivant : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme, qui lui est garantie d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. ».
L’accès à l’IVG ne bénéficierait donc pas de son propre article, mais figurerait dans un nouvel alinéa de l’article 34, qui définit le domaine de la loi.
Il s’agit de la consécration de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui se réfère systématiquement à l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » pour examiner un texte relatif à l’IVG.
Les limites définies par la loi en trois exemples
Le temps de recours.
Fixé à 10 semaines de grossesse par la loi Veil en 1975, le délai qui permet de recourir à une IVG est successivement passé à 12 puis 14 semaines en 2022 pour l’IVG instrumentale et de 5 à 7 semaines, la même année pour l’IVG médicamenteuse. Si cette évolution montre une amélioration de l’accès à l’avortement, le texte voté par le Sénat laisse libre de réduire cette période de recours.
Le maintien de la double clause de conscience.
Fermement défendue par l’Ordre des médecins, la clause de conscience permet aux membres du corps médical de refuser la pratique de tout acte médical autorisé par la loi mais contraire à des convictions éthiques ou personnelles tant que l’urgence vitale n’est pas engagée.
Concernant l’IVG, les médecins bénéficient d’une clause spécifique, instaurée par la loi Veil qui précise qu’un « médecin ou sage-femme n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse ». Les associations de défense de l’IVG dénoncent la portée symboliquement stigmatisante de cette double clause. Sa suppression ne menacerait en rien le droit des médecins de refuser cet acte et permettrait de faire évoluer le regard que l’on porte sur ce soin.
Des restrictions possibles.
Inscrire dans la liberté de recourir à l’IVG n’empêche pas d’y opposer des restrictions. Tant qu’une loi en délimite l’objet, celles-ci ne seront pas reconnues comme une menace à la liberté. Dans le cadre de ce texte, la possibilité d’avorter pourrait très bien être réduite aux situations où la grossesse est issue d’un viol ou la vie de la mère menacée.
La proposition de loi adoptée par le Sénat est donc loin d’être suffisante pour protéger l’accès à l’IVG.
Pour finir, il est important d’observer que l’extrême droite se montre en bonne position pour les prochaines élections et qu’une majorité parlementaire peut permettre une nouvelle révision de la Constitution, voire son abolition. Si Marine Le Pen, cheffe de file du Rassemblement National, juge aujourd’hui cette inscription inutile car « aucun mouvement ne demande la remise en cause de l’IVG », il ne faut pas oublier qu’elle affirmait en 2012 que de nombreuses femmes utilisaient l’avortement comme « un moyen de contraception ».