Qu’il est loin le temps où les médias d’extrême-droite se résumaient à quelques feuilles antisémites capables de rassembler au mieux un quarteron d’officiers nostalgériques en retraite ou une centaine de royalistes en goguette.
Les nouveaux médias de l’extrême-droite touchent désormais des centaines de milliers de lecteurs et d’auditeurs chaque jour. Modernes, diversifiés, ils forment une galaxie qui débat, se confronte, mais unit de larges masses dans un moule idéologique qui gagne du terrain.
Parfois proches, mais indépendants des partis politiques, les médias de l’extrême-droite actuelle veulent être le terrain de rencontre sur lequel se fera l’union des droites, capable de faire tomber la France sous un régime réactionnaire.
L’empire Bolloré comme catalyseur sur tous les supports traditionnels.
L’empire Bolloré illustre à lui seul l’investissement d’un projet idéologique conservateur sur tous les supports. La télévision sert de fer de lance avec Canal+, C8 et CNews, complétée par Europe 1 sur les ondes FM et Le Journal du Dimanche, Capital, Paris Match, Voici et Gala dans la presse écrite.
En relativement peu de temps, CNews a très largement élargi son audience et est en passe de devenir la première chaîne d’information en continu. Cette audience s’est construite autour du recrutement de figures connues dans le paysage médiatique français comme Laurence Ferrari, Pascal Praud ou Christine Kelly, utilisés comme couteaux suisses dans l’ensemble du groupe. Tous cumulent une émission quotidienne retransmise en télé et en radio avec une chronique, voire une rédaction en chef dans le cas de Laurence Ferrari, dans la presse écrite du groupe.
Les journalistes phares du groupe Canal+ occupent désormais une place centrale dans le débat politique à droite. Ils n’ont pas seulement un biais dans le traitement de l’actualité et le choix des chroniqueurs et invités pendant leur temps d’antenne ; c’est désormais sous leurs auspices que se confrontent les désaccords idéologiques à droite. On a ainsi pu voir Christine Kelly tenir le haut de l’affiche du Grand Débat des Valeurs organisé par Valeurs Actuelles, avant de se voir proposer la deuxième place de la liste LR aux Européennes.
Des journaux qui ont parfaitement pris le pli du numérique et des réseaux sociaux
L’empire Bolloré, malgré des désaccords profonds, échange avec une myriade de médias et de pages couvrant l’ensemble des réseaux sociaux avec une stratégie et des moyens numériques redoutables. Loin d’être concurrents, ces deux espaces médiatiques de la droite se renforcent mutuellement. Chacun est reçu chez l’autre à micro ouvert et les journalistes circulent d’un média à l’autre.
Valeurs Actuelles a particulièrement investi les formats vidéos. Sa chaîne VA+ compte plus de 400 000 abonnés sur YouTube. En 2022, lorsque son rédacteur en chef Geoffroy Lejeune est évincé pour sa proximité trop flagrante avec Eric Zemmour, il se recycle immédiatement dans le groupe Bolloré, devenant le symbole de la prise en main du JDD par son nouvel actionnaire. L’arrivée de l’ami d’enfance de Marion Maréchal à la tête de la rédaction provoque le tollé que l’on sait parmi les journalistes, mais Lejeune bénéficie du soutien indéfectible d’un actionnaire peu sensible à la liberté éditoriale de ses rédactions.
Les invités qui ont leurs ronds de serviette dans les médias Bolloré peuvent également s’offrir un long format chez Livre Noir, dont la chaîne YouTube spécialisée en entretiens fleuves cumule près de 400 000 abonnés. Le patron de la revue, Erik Tegner, est passé par l’UMP et le FN, mais la proximité de Livre Noir avec Reconquête est flagrante. Eric Zemmour et Marion Maréchal ont chacun eu droit à leur grand entretien et le sénateur Stéphane Ravier a fait l’objet d’un reportage dans les quartiers Nord de Marseille.
Comme Valeurs Actuelles, Livre Noir échange des bons procédés avec des médias plus traditionnels très marqués à droite. Les chroniqueurs Mathieu Bock-Côté et Charlotte d’Ornellas ont eu droit à leur entretien fleuve, tout comme André Bercoff, animateur de Sud Radio. Réciproquement, Mathieu Bock-Côté n’a pas manqué de faire la réclame du dernier numéro papier du magazine dans sa chronique sur CNews.
Etouffer les abonnés sous les crimes les plus odieux
Sur les réseaux sociaux, plusieurs pages d’extrême-droite ont ringardisé Le Nouveau Détective. De nombreuses pages cumulant des dizaines de milliers d’abonnés ont pour seule activité de relayer des dépêches ou des vidéos de crimes et délits, entremêlés de temps en temps de vidéos de Zemmour ou Bardella. Une page comme Occidentis peut relayer plus d’une dizaine de crimes par jour à plus de 100 000 abonnés sur Instagram.
Le RN et Reconquête sont alors présentés comme les seuls remparts à la criminalité anxiogène assénée en permanence aux milliers d’abonnés. Ces pages construisent le récit d’une société gangrenée par la violence dont seule l’extrême-droite aurait pris la mesure. Il est vrai qu’une certaine gauche a également théorisé que la sécurité était un sujet de droite, offrant sur un plateau d’argent un monopole à la droite sur une préoccupation légitime des Français.
Il existe pourtant des solutions de gauche pour la sûreté et la tranquillité publique, dont il ne sera jamais question sur ces pages, mais dont il faut avoir le courage d’aller porter le contenu pour contester le monopole idéologique que se forge la droite.
