C’est en passant du rock au rap et par le chant traditionnel que nous allons voir comment quatre femmes aux destins si éloignés s’engagent, en faisant du chant une ode à la liberté, à la femme et à la résistance culturelle au Moyen-Orient.
Entre art et identité, quand l’art défie les normes
Dans le monde musical, certaines voix féminines s’élèvent non seulement par leur talent, mais aussi par leur engagement à défendre la liberté et l’identité culturelle. Parmi elles, Mayah Alkhateri, alias Kiss Facility, et Nemah Hasan, connue sous le nom de Nemahsis, incarnent cette lutte artistique.
Mayah Alkhateri, artiste émiratie d’origine égyptienne, forme avec le producteur Salvador Navarrete le duo Kiss Facility. Mélange audacieux de shoegaze, d’indie rock et d’influences arabes, leurs musiques reflètent les racines culturelles de Mayah. Cette fusion vise à subvertir et à défier les conceptions traditionnelles de l’identité et de la liberté.
Mayah décrit son projet comme « le son pour les femmes du Moyen-Orient qui sont opprimées et ont dû mener une double vie les éloignant de leurs rêves… Kiss Facility est une source d’amour et une zone de confort pour toutes les femmes arabes et toute personne qui s’y identifie. » À travers sa musique, elle offre une bouffée d’air frais, une invitation à embrasser son identité sans entrave.
De son côté, Nemah Hasan, alias Nemahsis, est une chanteuse canadienne d’origine palestinienne. Elle a attiré l’attention avec son single What If I Took It Off for You ?, une ballade abordant les attitudes sociales envers les femmes musulmanes. Douce voix de la résistance, son EP « eleven achers » explore son parcours et son héritage religieux, offrant une introspection sur les défis et les triomphes de son identité. Ayant grandi dans une famille où la musique était interdite, Nemahsis utilise son art comme une arme pour remettre en question à la fois les stéréotypes, mais aussi pour encourager une compréhension plus profonde de la complexité de l’identité musulmane contemporaine.
Chanter sous menaces, résister sous oppression
Mais dans ce combat d’émancipation pour la liberté d’expression des femmes, certaines artistes paient le prix fort de la censure et de la répression face à des régimes réactionnaires. Asayel Slay et Nûdem Durak en sont des exemples.
En 2020, la rappeuse saoudienne Asayel Slay publie « Bnt Mecca » – « La Fille de La Mecque », un clip où elle célèbre les femmes de sa ville natale, les décrivant comme fortes et courageuses. Cette initiative artistique, loin d’être saluée, déclenche une vague de critiques réactionnaires de la part des autorités saoudiennes qui vont aller jusqu’à la censure. Le gouverneur de La Mecque ordonne son arrestation, estimant qu’elle a offensé « les coutumes et les traditions du peuple de La Mecque ». Cette réaction, démontrant la misogynie ainsi que le racisme envers la rappeuse d’origine érythréenne en Arabie, souligne aussi l’hypocrisie d’un État qui, d’une part, prétend promouvoir les droits des femmes, mais, d’autre part, réprime violemment toute expression artistique féminine sortant des normes établies. Cette contradiction révèle la soumission du régime saoudien aux intérêts capitalistes, où les pseudo-réformes ne servent qu’à améliorer l’image du pays pour attirer les investissements étrangers, sans réelle volonté de changement social profond.
Nûdem Durak, chanteuse kurde, incarne quant à elle une autre facette de cette répression. En 2015, alors qu’elle n’a que 22 ans, elle est condamnée à 19 ans de prison pour avoir chanté en kurde, sa langue maternelle, et pour avoir défendu la culture de son peuple. Accusée à tort d’appartenir au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), elle est en réalité coupable aux yeux de l’État turc d’avoir voulu préserver et promouvoir l’identité kurde à travers son chant. Son emprisonnement illustre la violence d’un régime fasciste qui cherche à annihiler toute forme de dissidence, en particulier lorsqu’elle émane de femmes issues de minorités opprimées. Toujours enfermée aujourd’hui, elle ne pourra plus jamais chanter.
Ces artistes, qu’elles soient célébrées ou réduites au silence, incarnent une lutte essentielle : celle de la liberté d’expression face aux diktats patriarcaux et autoritaires. D’un côté, Mayah Alkhateri et Nemahsis utilisent la musique pour revendiquer leur identité et briser les stéréotypes, tandis qu’Asayel Slay et Nûdem Durak subissent de plein fouet la répression pour avoir osé chanter leur vérité. L’art reste un espace de résistance, mais aussi un champ de bataille où la liberté a un prix. Pourtant, malgré la censure et les entraves, ces voix continuent de résonner, portées par la détermination de celles et ceux qui refusent de se taire.