Les questions éducatives n’occupent pas une place centrale dans les débats des élections législatives anticipées. Pourtant, l’école reste un sujet clivant, tant il dessine une ligne de démarcation très nette sur les perspectives laissées à la jeunesse.
Sélection sociale : Bardella encore pire que Macron
À travers les quelques mesures présentes dans les dernières pages des programmes, le candidat de l’extrême droite semble avoir deux obsessions : la sélection sociale et l’autorité.
Avec Parcoursup et MonMaster, Emmanuel Macron aura institutionnalisé la sélection sociale en privant chaque année des milliers d’élèves des classes populaires de l’enseignement supérieur. Si Jordan Bardella ne propose évidemment pas de supprimer ces plateformes, il propose même d’aller plus loin. Le parti d’extrême droite souhaite en effet trier les élèves dès le CM2, en supprimant du collège unique au profit d’un “collège modulaire”.
Les élèves passeraient ainsi un concours d’entrée pour le collège et les “moins bons” seraient ainsi envoyés dans un “collège professionnel”, actant ainsi dès l’âge de 10 ans leur destinée sociale et professionnelle. Une telle mesure nous renverrait plus d’un demi-siècle en arrière, à une époque où cohabitaient collège général et collège professionnel. Sans surprise, Jordan Bardella insiste aussi sur la nécessité d’un recentrage des apprentissages “fondamentaux” au nom de la lutte contre les inégalités.
Un slogan populiste — lui aussi repris pas le gouvernement – qui s’inscrit à rebours de toutes les préconisations scientifiques et dont le réel a déjà prouvé l’inefficacité, la France étant déjà un des pays consacrant la plus grande part du temps scolaires aux “fondamentaux” sans que les inégalités sociales se réduisent, bien au contraire.
Quand les profs réclament des moyens, l’extrême droite parle d’autorité
Alors que tous les acteurs éducatifs s’accordent à dire que l’urgence est dans un investissement financier massif, Jordan Bardella semble lancé dans une course infinie aux propositions les plus démagogiques autour d’un “autorité” supposément perdue, à chaque fois fantasmée.
Ainsi, après l’expérimentation des uniformes que Gabriel Attal souhaite prolonger, voilà le RN qui propose de rendre obligatoire le vouvoiement à l’école. Une revendication parfaitement farfelue, tant cette pratique est déjà la norme dans le second degré et dans le premier degré, à l’exception des classes de maternelles. Pour l’extrême droite, l’autorité du professeur ne passe pas donc pas par plus de moyens pour nouer une relation de confiance et de respect entre professeurs et élèves, mais par des mesures symboliques et démagogues, aux effets nuls ou anecdotiques.
Il faut dire le RN n’envisage à aucun moment d’augmenter les budgets de l’Éducation nationale. Au contraire, son obsession pour “le rétablissement de l’ordre dans les comptes publics” risque de se traduire par une cure d’austérité imposée à tous les services publics, y compris celui de l’école. En revanche, le parti d’extrême droite promet de préserver “les spécificités” de l’enseignement privé.
Deux visions de la jeunesse diamétralement opposées
Au-delà des quelques mesures égrenées dans les courts programmes des candidats, c’est la question plus large du rôle de l’école et de la place donnée à la jeunesse qui est en jeu. À ce titre, il est alarmant de constater que Jordan Bardella partage une vision encore plus radicalisée que Gabriel Attal : une école pour trier, mais aussi pour punir.
Au mois de mai, Gabriel Attal présentait à Viry-Châtillon un plan pour l’école qui détournait totalement le rôle de formation et d’émancipation de l’école au profit d’une vision autoritaire.
On croirait que ces annonces ont servi de base à Jordan Bardella pour rédiger son programme éducation, tant celui-ci en reprend des grandes mesures en proposant de les pousser encore plus loin. Ainsi, les “stages de ruptures pour jeunes à la dérive” du Premier ministre deviennent dans le programme du Rassemblement national des “centres spécialisés pour les élèves perturbateurs et harceleurs”, qui entérineraient ainsi l’exclusion de toute une partie de la jeunesse du droit à l’éducation, et ce bien avant 16 ans. Gabriel Attal proposait la mise en place de la mention “élève perturbateur” sur les dossiers des élèves à la manière d’un casier judiciaire ?
Jordan Bardella propose la mise en place de “peines planchers” dans les sanctions disciplinaires. Ces emprunts au langage de la justice ne doivent rien au hasard et confirment la vision d’une école dont le rôle n’est plus l’apprentissage, mais bien la mise au ban des jeunes considérés comme “problématiques”.
À l’inverse, le programme d’autres forces comme le Parti communiste français renvoie à la vision historique de la gauche, dans les pas des grandes figures progressistes telles que Jean Zay ou Henri Wallon. De la suppression de Parcoursup à la baisse du nombre d’élèves par classe en passant par la gratuité totale du matériel scolaire se dessine une cohérence dans l’objectif historique que la gauche assigne à toute politique éducative : l’augmentation du niveau de connaissances et de qualification dans toute la société.
Ce n’est clairement pas le cas du Rassemblement national qui assume, lui, vouloir faire rentrer de manière précoce les jeunes sur le marché du travail. Il y a quelques jours, le député Jean-Philippe Tanguy assumait en interview vouloir inciter la jeunesse à ne pas faire de trop longues études pour se consacrer à des métiers essentiels, par exemple dans l’artisanat.
S’il est vrai qu’il existe une forme d’élitisme vis-à-vis des études supérieures qui laissent souvent de côté la voie professionnelle, le RN pose le problème à l’envers. Plutôt que de proposer de mettre au travail au plus vite les jeunes dans un seul objectif de main d’œuvre pour le patronat, l’enjeu est de revaloriser l’ensemble des formations, en supprimant notamment la réforme du baccalauréat professionnel — dont l’extrême droite ne dit rien – et en augmentant la durée des formations pour augmenter la qualification des travailleurs.
Cela passe aussi par la mise en place d’un véritable service public de l’orientation et la fin de la sélection permettant à chaque jeune de choisir son avenir librement, dans le domaine qu’il souhaite.
Peu présentes dans les débats, les questions éducatives touchent pourtant au cœur du projet de société des trois principales forces en présence de ces élections législatives. Tout républicain devrait alors s’alarmer du programme du Rassemblement national tant il représente un danger existentiel pour l’école publique, plus immense encore que les pires gouvernements précédents.
Si Jordan Bardella est finalement assez peu bavard sur l’école, le RN a eu l’occasion de dérouler lors des élections un programme bien plus complet lors des élections présidentielles de 2022 qui permet de mieux se rendre compte du danger : contrôle politique sur les programmes, fin de la liberté pédagogique, instrumentalisation de l’EMC, fin de l’éducation à la vie sexuelle et affective…
Fait assez rare, certains hauts fonctionnaires du système éducatifs prennent la parole depuis plusieurs jours pour alerter sur la menace qui plane sur l’institution. Dans une pétition publiée la semaine dernière, des chefs d’établissements, inspecteurs pédagogiques, d’académie et généraux promettent de ne pas obéir à des lois qui seraient “en opposition avec les valeurs républicaines qui fondent [leurs] métiers et justifient [leurs] engagements. Espérons qu’ils n’auront pas à mettre en pratique ces menaces.