Pour Attal, l’école, c’est la prison 

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Pour Attal, l’école, c’est la prison 

Gabriel Attal connait-il les missions de l’école ? C’est la question que l’on peut légitimement se poser en écoutant les récentes annonces du Premier ministre pour lutter contre la violence entre les jeunes. 

Dans son discours de Viry-Châtillon, celui-ci a désigné l’école comme la solution à beaucoup de maux de la société, mais en la détournant de son rôle de formation. Une vision autoritaire et dangereuse, qui fait planer la menace d’un changement de mission des enseignants, aux antipodes de celles de formation de citoyens libres et éclairés. 

Vers des “collèges casernes” ?  

Gabriel Attal souhaite d’abord que les jeunes passent le plus de temps possible à l’école. En revanche, ce n’est pas pour plus apprendre ou pour rattraper les milliers d’heures perdues à cause des professeurs non remplacés. Simplement, pour qu’ils ne soient pas dehors. Exit donc son rôle émancipateur, l’école est là pour que les jeunes se tiennent sages et ne “traînent pas”. C’est le sens de la proposition visant à faire rester les collégiens dans leurs établissements de 8 h à 18 h.

On pourrait se réjouir que le Ministre se donne pour ambitions que les élèves puissent rester plus longtemps à l’école pour avoir plus de cours, faire du sport, des activités culturelles, faire leurs devoirs à maison. C’était d’ailleurs le sens de la proposition du candidat communiste Fabien Roussel aux élections présidentielles. Celui-ci voyait dans l’augmentation du temps scolaire une mesure d’égalité entre les élèves. Mais pour cela, encore faut-il recruter des professeurs, ce qui implique d’aller à l’encontre de la logique austéritaire actuelle du gouvernement. 

En proposant cette mesure sans mettre en face des moyens, Gabriel Attal condamne les collégiens à de longues journées d’attentes, entre heures de cours et temps d’études, pour “remplir” des journées désormais plus longues. Le chef du gouvernement ne conçoit donc cet allongement du temps scolaire que pour contraindre physiquement les élèves à l’intérieur de leur collège, et éviter ainsi qu’ils ne soient dehors. 

D’ailleurs, la volonté de réserver cette mesure aux quartiers prioritaires révèle bien cette vision purement sécuritaire. Pourtant, tous les moyens devraient être mis pour réconcilier les élèves en difficultés avec l’école, le Ministre propose donc de faire celle-ci une punition.  

Internat ou prison ? 

Pour celles et ceux à qui une journée entière passée au collège ne suffit pas, ils y resteront la nuit et pendant les vacances ! Façon “Les choristes”, le jeune (?) Premier propose la mise en place de “stages de ruptures” durant les congés scolaires ou l’année scolaire dans le cadre d’internats “éducatifs”. 

Le principe est de proposer à des jeunes “à la dérive” d’aller passer deux semaines en centre fermé. Au programme : cours de rattrapage, nettoyages de tombes de soldats tombés à la guerre ou encore sport et culture. Une sorte de SNU revisité, mais réservé cette fois aux jeunes ciblés par le gouvernement. S’y mélangeront donc professeurs, policiers, militaires et éducateurs sportifs dans un inquiétant mélange des genres qui en dit long, encore, sur le rôle que souhaite attribuer le Premier ministre à l’école.  

Ici, le chef du gouvernement ne fait que ressortir une méthode de redressement des élèves vieille de presque 200 ans, et qui n’a jamais vraiment fait ses preuves. Passée progressivement de mode, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, avait initié leur relance en 2010 avec les “internats de réinsertion scolaire”, sans qu’aucun résultat probant n’ait été obtenu. 

Le Premier ministre a pu inaugurer un premier dispositif de ce type à Nice quelques jours plus tard, donnant lieu à une séquence qui pourrait être simplement gênante si elle n’était pas problématique d’un point de vue politique. On y voit un Gabriel Attal au milieu de jeunes visiblement peu satisfaits d’être là, rouler des mécaniques et semblant très satisfait de pouvoir exercer une autorité évidemment incontestée. Maniant de manière assez grossière l’excès de fermeté puis la sympathie, le voici se satisfaire que ces mauvaises graines ne soient pas contentes d’être là (“si vous étiez trop contents d’être là, ça ne serait pas utile pour vous.”), montrant ainsi tout son mépris pour des enfants dont les rêves, les aspirations, les difficultés et le libre-arbitre ne semblent pas être un sujet. 

Si le principe de l’internat n’est pas une mauvaise chose en soi et peut-être une mesure éducative intéressante pour extraire des jeunes vivants dans des conditions difficiles à leur domicile, le dispositif est une nouvelle fois détourné par le gouvernement pour n’en faire qu’un outil de sanction. 

Un casier judiciaire pour chaque élève

Dans le projet de Gabriel Attal, si l’école doit devenir une caserne, Parcoursup doit servir de casier judiciaire. C’est le sens de la proposition d’inscrire dans les dossiers des élèves la mention “élève perturbateur”. 

Ainsi, le chef du gouvernement réussi l’exploit de créer un nouveau critère de sélection et de discrimination pour les élèves avec Parcoursup. Cette proposition viendrait, de fait, condamner des élèves ayant pu être “perturbateurs” dans leur scolarité à l’assumer jusqu’au bout, sans tenir compte de leurs évolutions. 

Une mesure vivement dénoncée par Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU, sur le réseau X, en prenant pour exemple des élèves en difficulté rencontrés dans sa carrière  : “S’ils avaient eu une mention « élèves fauteurs de trouble », combien ne seraient pas arrivés là où ils en sont ? Ce truc-là, c’est renoncer à l’idée d’Éducation, c’est abandonner l’idée que nos élèves grandissent, évoluent. Parce qu’ils sont humains”. 

Au-delà de l’injustice que représente une telle mesure, celle-ci apparaît totalement démagogique, car tout à fait possible aujourd’hui. En effet, la plateforme de sélection compile déjà des “avis” des enseignants sur le comportement des élèves. Avis d’ailleurs particulièrement scrutés par les formations les plus sélectives. 

Alors que Parcoursup expulse chaque année plus de 80 000 jeunes de l’enseignement supérieur, la mise en avant encore plus forte du comportement des élèves risque fortement de faire exploser ce chiffre, achevant alors l’œuvre de ségrégation sociale entreprise par ce gouvernement en matière d’éducation. 

Pire, le Premier ministre a évoqué l’idée de tenir compte du comportement des élèves pour pondérer les notes obtenues au baccalauréat. Une manière de faire de la note non pas le reflet — déjà très imparfait – des compétences et des connaissances des élèves, mais un nouvel élément de sanction. Une proposition qui, en plus d’être parfaitement discriminante, est contraire au droit, puisqu’elle vient mélanger des dispositifs disciplinaires (sanctions) et pédagogiques (notes). 

À travers cette mesure se dessine donc le projet dangereux d’un gouvernement qui souhaite détourner l’école de sa mission pour en faire l’outil d’une politique uniquement répressive envers des jeunes délinquants. 

Si la question des violences entre jeunes et de la délinquance est un vrai sujet, alors elle mérite d’être traitée sérieusement. Elle mérite que l’on s’attarde sur les causes profondes qui poussent des jeunes à décrocher, à devenir violent. Non pas pour alimenter une prétendue “culture de l’excuse”, mais pour y apporter des réponses efficaces et non démagogiques. Elle mérite aussi que l’on écoute les professionnels de l’enfance et de l’éducation, les maires, les chercheurs, qui plaident depuis des années pour plus de moyens pour pouvoir accompagner et encadrer des jeunes. 

Problème : cela coûte de l’argent, et cela ne rapporte pas gros dans le socle électoral macroniste. Alors, une fois de plus, ce sont les jeunes, et la société toute entière, qui en payeront les pots cassés. 

On attribue à Victor Hugo la célèbre maxime “ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons”. Gabriel Attal, lui, semble l’avoir lu de travers. Il n’ouvre pas d’écoles, mais veut en faire des prisons. 


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