Y a-t-il une place pour les communistes au Panthéon ?

publié le dans
Y a-t-il une place pour les communistes au Panthéon ?

L’annonce le 22 août dernier par l’Élysée de l’entrée de l’artiste et résistante Josephine Baker au Panthéon a fait grand bruit, elle sera l’une des rares femmes (5 actuellement) à reposer parmi les 80 personnalités panthéonisées aujourd’hui.

Un choix qui fait globalement consensus dans l’opinion générale et politique tant à droite qu’à gauche, bien que son image d’artiste de cabaret puisse surprendre au milieu de ce club de réputation plus austère davantage peuplé aujourd’hui de militaires, de personnalités politiques, de scientifiques ou bien d’écrivains.

La mise à l’écart des femmes et du monde du travail

Néanmoins, ce n’est pas sans relancer le débat de l’accès au Panthéon d’autres personnalités, notamment des femmes, car très sous-représentées aujourd’hui. Les communistes pourraient surement souhaiter voir le même honneur rendu aux résistantes Marie-Claude Vaillant-Couturier ou Martha Desrumaux, ou bien, comme le souhaite une pétition du journal l’Humanité datant du 28 janvier 2021, de faire entrer au Panthéon l’ancien ministre du Travail et fondateur de la Sécurité sociale Ambroise Croizat.

Mais pourquoi cette indifférence des pouvoirs publics à l’entrée de ces personnalités ouvrières et résistantes, dont pour l’essentiel, en dehors de leur engagement communiste, on n’osera pas remettre en question le grand mérite et l’implication dans le rayonnement national de la France ?

Sur le fronton du Panthéon, il est écrit « Aux grands hommes, la Patrie reconnaissante », doit-on en déduire que Marie-Claude Vaillant-Couturier, par exemple, ne ferait pas partie des grands hommes (ou des grandes femmes en l’occurrence) ? Ou bien que la Patrie ne lui est pas reconnaissante ?

Panthéoniser et rendre inoffensif ? 

Une première réponse pourrait nous venir de l’analyse de Lénine qu’il exprime dans son introduction de l’État et la Révolution publié en 1917 : 

Du vivant des grands révolutionnaires, les classes d’oppresseurs les récompensent par d’incessantes persécutions ; elles accueillent leur doctrine par la fureur la plus sauvage, par la haine la plus farouche, par les campagnes les plus forcenées de mensonges et de calomnies. Après leur mort, on essaie d’en faire des icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d’entourer leur nom d’une certaine auréole afin de “consoler” les classes opprimées et de les mystifier ; ce faisant, on vide leur doctrine révolutionnaire de son contenu, on l’avilit et on en émousse le tranchant révolutionnaire.

Bien que Lénine évoque ici le cas de Karl Marx et au regard des hommages qui lui sont rendus par les socialistes allemands, force est de constater que la citation rappelle bien des cas nationaux, internationaux, récents comme anciens :

Il faut à ce titre se rappeler que le transfert de la dépouille de Jean Jaurès au Panthéon en 1924 avait elle-même été l’objet de polémique et que le Parti Communiste s’y était vivement opposé à l’époque : d’une part par respect pour les dernières volontés du défunt, mais surtout pour ne pas que la figure de Jaurès se fasse « récupérer » politiquement par la République et par un gouvernement de centre-gauche de l’époque qui ne cherchait, par ce geste, qu’à maladroitement tenter de cacher la compromission totale par laquelle ses membres avaient voté les crédits de guerre et participé à l’Union Sacrée durant la Première Guerre mondiale.

On peut se rappeler comment plus récemment, les enjeux mémoriels ont été manipulés à l’échelle nationale en 2007 sous Sarkozy avec la polémique qui a entouré la lecture à l’école de la lettre de Guy Môquet, pour faire de ce dernier une figure nationale romantique et tragique dépouillée de son caractère communiste. On était bien dans la « mystification » et une réécriture romancée et dépolitisée de la résistance française.

Un autre exemple récent et international, celui de l’enterrement de Nelson Mandela en 2013, traité dans tous les médias occidentaux comme un événement tragique et une douleur commune pour un dirigeant réputé consensuel et apprécié de toutes tendances. Effaçant totalement, d’une part, le caractère révolutionnaire et socialiste de ses combats passés, mais niant également les campagnes de calomnies l’ayant accompagné de son vivant dans les années 80 et 90 et l’ayant repeint en dangereux terroriste dans de nombreux pays, dont la France. On est loin de l’icône consensuelle actuelle. Ici encore, la citation de Lénine est pertinente.

En ce sens, et si l’on suit Lénine sur ces propos, il ne s’agit pas tant d’une mauvaise chose qu’Ambroise Croizat ou d’autres révolutionnaires et figures du mouvement ouvrier ne rejoignent pas le club des panthéonisés. Peut-on réellement souhaiter et risquer d’émousser leur tranchant révolutionnaire ? C’est bien parce que la Patrie est gênée par leur aura révolutionnaire et qu’elle ne peut en faire des figures inoffensives qu’elle s’acharne à les faire oublier en les ignorant plutôt qu’à leur rendre les honneurs qui sont dus à leurs grandes qualités et la justesse de leurs combats.

Un important combat mémoriel

D’un point de vue politique, les enjeux de mémoire et d’Histoire sont importants, ils en disent d’ailleurs toujours plus sur l’époque actuelle que sur les époques passées. C’est précisément par ces enjeux qu’il faut établir dans quelle mesure l’entrée au Panthéon de telle ou telle personnalité peut, ou non, servir les intérêts de la classe laborieuse de notre temps.

À l’heure où l’on dégrade le programme du CNR et où l’on détricote les conquêtes du mouvement ouvrier une à une, demander l’entrée de personnalités comme Ambroise Croizat, Martha Desrumaux ou Marie-Claude Vaillant-Couturier représente une provocation ouverte, et c’est surement pour cela qu’elle restera lettre morte et ignorée par le gouvernement. 

Si jamais ce n’était pas le cas, il faudrait être certain de s’assurer de maîtriser tous les aspects de cette entrée, car on ne peut vouloir l’honneur pour nos héros et héroïnes au prix du sacrifice de leur caractère profondément révolutionnaire. 

Nous voulons qu’ils et elles soient honorés en révolutionnaires et pas autrement, dans toute la portée subversive que cela représente. 

Si la République ne le fait pas, c’est que ce rôle est d’abord et surtout le nôtre.


Édition hebdomadaire

Mêmes rubriques