Voilà une semaine qu’est annoncée la panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian. Une entrée profondément symbolique au vu de l’histoire et du parcours de ces immigrés, communistes et résistants.
Pierre Ouzoulias, Sénateur communiste, bataille depuis des années pour ce qu’il a qualifié de « réparation historique ». Nous lui avons posé quelques questions.
Passé la joie, l’émotion et la fierté, tu qualifies cette annonce de « réparation historique ». Peux-tu nous en dire plus ?
En effet, je vis cette décision comme une réparation historique, car elle vient effacer l’absence criante de reconnaissance officielle du rôle joué par les étrangers et les communistes dans la résistance. Il se trouve que Manouchian, en tant que membre des FTP-MOI, incarne cette double dimension. Il était plus que temps que l’action héroïque de son groupe soit pleinement reconnue par la République française. J’aurais préféré que cette décision intervienne plus tôt, mais c’est ainsi. On ne va pas bouder notre plaisir, singulièrement dans la période qui est la nôtre. Missak Manouchian va faire son entrée au Panthéon, accompagné de son épouse, Mélinée. Cela signifie beaucoup sur le plan symbolique, historique et politique.
Si je te parle de « nation politique », qu’est-ce que cela t’évoque ?
Une nation héritée de la Révolution française, qui réunit des citoyennes et des citoyens de toutes les origines, autour de valeurs républicaines universelles. Une nation ouverte et fraternelle. Une nation aux antipodes de celle prônée par les tenants d’une nation ethnique, obsédés par l’origine, la couleur de la peau et la religion de celles et ceux qui la fondent.
Missak Manouchian et ses camarades étaient de grands connaisseurs de l’histoire de notre pays et plus particulièrement de celle ayant trait à la Révolution française. À travers leurs actions, ils ont mis leurs doigts sur le fil tissé par les soldats de l’an II. Ils se sont battus pour les idéaux proclamés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ils ont aussi fait la démonstration que l’on pouvait être tout à la fois patriote et internationaliste. C’est l’une des leçons à tirer de cette décision. Se dire républicain ne devrait pas être une formule vide de sens.
La République laïque et sociale que j’appelle de mes vœux, avec beaucoup d’autres, elle s’incarne par des valeurs. On ne peut pas célébrer Manouchian lorsque l’on défend la préférence nationale. C’est d’ailleurs pour cela que Marine Le Pen est restée silencieuse après l’annonce officielle de la panthéonisation. Elle est l’héritière de Vichy et d’une vision ethnique de la nation. Nous sommes les héritiers de Manouchian et d’une vision politique de la nation.
Bien que le Panthéon soit le plus haut lieu de la mémoire nationale et républicaine, il est empreint de rapports de forces depuis 1789. En cela, l’entrée des Manouchian est une victoire ?
Oui, le Panthéon est un haut lieu de notre histoire républicaine et c’est pour cela qu’il a été l’objet d’autant de querelles. Église puis temple laïque, avant de refaire à nouveau le même chemin, cet édifice a vu certains hommes reposer en son sein avant d’en sortir. Je pense évidemment à Mirabeau ou à Marat. Cela veut dire qu’entrer au Panthéon est très important du point de vue de la mémoire collective, car, les Françaises et les Français considèrent que cette institution est celle qui doit jouer ce rôle dans l’espace social. Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler que des centaines de milliers de personnes ont assisté à des transferts de cercueil au Panthéon. Et, comme la politique est consubstantielle à toute décision mémorielle, on comprend d’autant mieux pourquoi les rapports de force sont nombreux et parfois violents avant qu’une telle décision soit prise. Nous le voyons aujourd’hui avec Gisèle Halimi. Ce fait était encore plus prégnant quand les panthéonisations étaient débattues par voie parlementaire.
Missak et Mélinée Manouchian vont donc reposer dans ce lieu si particulier, aux côtés d’illustres résistants, mais aussi de Jaurès, Hugo et Rousseau, pour ne citer qu’eux. Cela signifie qu’ils s’inscrivent dans une continuité historique chère à nos cœurs. C’est une victoire que nous devrons célébrer en faisant vivre cette histoire que nous avons eue, nous autres communistes, tendance à mettre de côté.
« Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. » Voilà ce qu’il écrivit dans sa dernière lettre avant d’être fusillé. Près de 80 ans plus tard, comment ces mots résonnent en toi ?
Ils résonnent avec beaucoup d’émotion dans le cœur du petit-fils de résistant que je suis. Mon grand-père, Albert Ouzoulias, m’avait raconté qu’il pensait devoir la vie à Epstein et Manouchian, eux qui n’avaient jamais parlé après leur arrestation. Si tel avait été le cas, alors tout l’édifice de la résistance communiste se serait écroulé. Ces femmes et ces hommes étaient faits d’un bois exceptionnel. Ils ne sont pas seulement des illustres figures. Ils sont des exemples à suivre pour l’avenir. Je suis également très heureux pour les Arméniennes et les Arméniens qui attendaient cette décision depuis longtemps. Enfin, à titre personnel, je me dis que, quoi qu’il arrive dans ma vie désormais, je pourrai me retourner et me dire que j’ai aidé, à ma modeste place, à rendre justice à Missak Manouchian, à sa femme ainsi qu’à tous ses camarades. C’est bien peu de choses comparativement à ce qu’ils ont accompli, mais je m’en contenterai !