Le 21 décembre dernier, la Cour de justice européenne annonçait que le projet de Super Ligue était conforme au droit européen en matière de concurrence, redonnant force à ce projet. A quels impératifs répond-il ?
Des corps mis à rude épreuve
Depuis la Coupe du monde 2022 et, surtout, depuis le début de la saison 2023-2024, de nombreux joueurs et entraîneurs se plaignent de matchs trop nombreux. La saison dernière, une équipe comme Manchester City a disputé 55 matchs toutes compétitions confondues, auxquels s’ajoutent les 6 matchs de Coupe du monde. Avec un rythme pareil, le corps des joueurs qui, certes, ne disputent pas tous les matchs, ne peut pas tenir.
Compte tenu du faible temps de pause (deux jours entre chaque match) et de l’intensité du jeu, la plupart des joueurs devant être présents aussi bien en attaque qu’en défense selon les phases de jeux se trouvent davantage exposés aux blessures.
Le projet de Super Ligue viendrait donc farcir un calendrier déjà surchargé, mettant en danger la santé des joueurs avec les 14 matchs (minimums) qu’elle y ajoute.
Un projet fermé
Le projet de Super Ligue se vante d’être ouvert. Or, si aujourd’hui, il est possible pour un club de passer de la 2ᵉ division de son championnat à la Ligue des champions en 2 ans, avec la Super Ligue, il en faut au moins 4 : une pour être promu en 1ʳᵉ division, puis accéder aux premières places et se qualifier en 3ᵉ division de Super Ligue, puis monter en 2ᵉ division de Super Ligue, pour, enfin, atteindre la 1ʳᵉ division de Super Ligue.
La même inertie est présente pour la rétrogradation alors que, dans le format actuel, il est possible de descendre en 2ᵉ division, donc de ne disputer aucune compétition européenne, en 1 an seulement. Ainsi, chaque saison est imprévisible — ce qui renforce les enjeux des matchs.
La tendance au monopole en lame de fond
Ce projet ne vient pas de nulle part. Depuis trente ans, nous assistons à un phénomène de monopolisation dans le foot sur deux aspects : les joueurs et les clubs.
La multiplication des matchs entraîne des recettes supplémentaires pour les clubs qui, à chaque palier franchi en championnat, en coupe ou en Europe, reçoivent des sommes plus ou moins élevées en fonction du prestige de la compétition et de ce qu’elle rapporte, d’où l’immense richesse des clubs anglais dont les droits de diffusion du championnat s’élèvent à 7 milliards d’euros pour cette saison. Cette somme est à partager entre les 20 clubs au prorata du classement. Cet argent leur permet d’acheter toujours plus de joueurs, pillant ainsi les championnats de toute taille de leurs meilleurs éléments.
Notons aussi la multiplication du phénomène de multipropriété des clubs, initié par le groupe Red Bull entre 2005 et 2009 (3 clubs), suivi par le City Group à partir de 2008, de loin le plus grand pôle avec ses 12 clubs à travers le monde. Ce phénomène vise à réaliser des économies d’échelle dans les transferts, car, lorsque deux clubs appartiennent au même propriétaire, il est bien plus aisé de s’arranger sur le montant de la vente d’un joueur que lorsqu’il y a concurrence.
Ainsi, si un transfert entre le Red Bull Salzburg et le Red Bull Leipzig doit avoir lieu, les montants auront tendance à être sous-évalué. À l’inverse, pour un transfert entre clubs rivaux comme Liverpool F.C. et Manchester United, la tendance sera à la surévaluation. Cela n’obéit qu’à un seul impératif : la volonté d’hégémonie sur un marché concurrentiel, auquel s’ajoutent la liberté de circulation des travailleurs en Europe et l’interdiction de discrimination sur la base de la nationalité pour les ressortissants européens, matérialisé dans le sport par l’arrêt Bosman de 1995.
Cette jurisprudence met fin aux quotas de joueurs nationaux dans les clubs européens entre eux, puis plus tard entre pays signataires de conventions avec l’UE, principalement des Caraïbes et d’Afrique. En clair, depuis cet arrêt, les grands clubs ont un droit au pillage et n’ont plus à investir dans la formation de leurs propres joueurs puisque d’autres clubs s’en chargent. C’est donc une nouvelle forme de division internationale du travail qui apparaît.
Le projet de Super Ligue s’inscrit pleinement dans cette dynamique. La Super Ligue, c’est la fin de l’imprévu qui fait le charme du beautiful game.
