En 1964, il y a maintenant un demi-siècle, la fédération de la Corse du Parti communiste Français publiait « Pour une Corse heureuse dans une France démocratique » montrant par ce texte sa volonté de reconnaître le caractère singulier de la Corse.
Elle a donc accompagné les différents processus de décentralisation, qu’il s’agisse de la Loi Defferre en 1982, du statut Joxe en 1991 ou des accords de Matignon en 2002.
Aujourd’hui, il n’est plus question de décentralisation, mais d’autonomie que certains souhaiteraient « de plein droit et de plein exercice ».
Vers une nation corse ?
« Ayons l’audace de bâtir une autonomie pour la Corse et dans la République » déclarait Emmanuel Macron lors de sa venue à Ajaccio le 28 septembre 2023. Ce cadre républicain a été accepté par la majorité territoriale autonomiste qui a annoncé qu’elle respecterait les lignes rouges tracées par le chef de l’État. Ce qui a poussé le FLNC à organiser une série d’attentats et à déclarer dans un communiqué : « Nous n’avons pas de destin commun avec la France ».
En effet, au sein de ceux que d’aucuns nomment « le mouvement national », il n’est pas question d’autonomie, mais de « projet national ». C’est dans cet esprit qu’en 2015, au moment de la victoire des nationalistes à l’élection territoriale, que Jean-Guy Talamoni déclarait : « Ce gouvernement national, le premier depuis le XVIIIe, sera celui de tous ! ». Ce sont des discours comme celui qui diffuse l’identité de « Nation Corse » au sein de la population.
Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si au mois de janvier 2024, un nouveau mouvement nommé « Nazione » a vu le jour. Il a immédiatement tourné le dos au concept historique de « Communauté de Destin » tout en évoquant « un risque de dilution et de disparition » du peuple Corse.
Mais avant même d’envisager ce qu’est la Nation corse, il serait peut-être opportun d’avoir une réflexion sur ce qu’est la Nation française.
Une adhésion historique au projet républicain
Mirabeau disait de la France prérévolutionnaire qu’elle était « un agrégat de peuples désunis ». La Nation Corse a bien existé de 1755 à 1769. Elle disposait d’éléments matériels, linguistiques et symboliques. Jean-Jacques Rousseau proposa même un projet de constitution. L’historien Roger Martelli explique que l’éphémère République de Corse n’a pas été vaincue par la France, mais par la Monarchie Absolutiste.
Ainsi, il serait faux de dire que le peuple corse est devenu français à la suite de la bataille de Ponte Novu. Le peuple corse est devenu français par conquête, mais par son adhésion à la Révolution de 1789 et à la jeune nation française. En ce sens, le 22 avril 1791 Pascal Paoli déclarait devant la Constituante qui venait de l’accueillir chaleureusement :
« Ce jour est le plus heureux et le plus beau de ma vie. Je l’ai passé à rechercher la liberté et j’en vois ici le plus noble spectacle. J’ai quitté ma patrie asservie, je la retrouve libre ; je n’ai rien à désirer… en retournant dans ma patrie, mes sentiments ne peuvent vous être douteux… J’ose dire que ma vie entière a été un serment à la liberté, c’est déjà l’avoir fait à la constitution que vous établissez… ».
« Depuis la Révolution de 1789, deux France se sont succédé ou ont coexisté : la France humaniste et la France réactionnaire. La campagne pour l’élection présidentielle de 2022 montre combien la seconde a aujourd’hui pris le pas sur la première. L’identité même du pays est devenue problématique. Or, l’histoire nous révèle clairement la nature une et multiple de l’identité française » écrivait Edgar Morin. Or, depuis près de deux siècles, la Corse a prouvé son attachement à une Nation Française, humaniste, héritière des idéaux des Lumières dont Pascal Paoli était un illustre représentant.
En 1993, dans son discours prononcé à l’occasion du 50ᵉ anniversaire de Libération de la Corse, Arthur Giovoni, un des principaux chefs de la Résistance insulaire, déclarait en parlant de celles et ceux qui ont participé à l’insurrection populaire du 9 septembre 1943 : « Personne n’est autorisé à dire ce qu’ils penseraient aujourd’hui. Ce que je crois pouvoir dire sans trahir leur pensée, parce que j’ai connu la plupart d’entre eux, c’est que leur combat était un combat pour que la Corse reste française. Et deuxièmement, leur combat pour la démocratie et la liberté, c’était un combat pour les droits de l’homme, pour la Révolution française à laquelle la Corse a adhéré librement le 30 novembre 1989. Je crois que c’est cela qu’on peut affirmer sans crainte de se tromper. ».
Cela ne doit pas pour autant nous faire oublier les lois discriminatoires contre les langues régionales, les pendus du Fiumorbu ou encore le traitement des soldats corses pendant la Première Guerre mondiale. Une Nation n’est grande, que si elle sait revenir sur les erreurs du passé et regarder sereinement vers l’avenir.
Le problème ne serait-il pas le capital, plus que la Capitale ?
En revenant sur le fait que le peuple Corse n’était pas une nation politique, en mettant en avant une « corsisation des emplois » qui n’a rien à envier à la Préférence Nationale, certains nationalistes reprennent le narratif d’une extrême-droite qui n’a de cesse de croître en profitant des failles du capitalisme en crise. On peut aussi se questionner sur ce slogan qui proclame « le peuple corse, seule communauté de droit sur sa terre ». Celui-ci n’est pas sans rappeler la loi « Israël, État-nation du peuple juif » promulguée par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et son gouvernement d’extrême-droite. L’actualité nous a hélas démontré que cette doctrine n’était génératrice que de discrimination et d’exclusion. On est finalement très loin de « vivre et travailler au pays » ce vieux slogan syndical porté également par le Parti communiste dans les années 1960-1970. Il existe une différence notable entre le fait de défendre le droit de pouvoir travailler et vivre dignement dans sa région d’origine et les thèses citées ci-dessus qui visent à rassembler par le plus petit dénominateur commun.
Dans son livre, « Qu’est-ce qu’une nation ? Une histoire mondiale », Pascal Ory affirme que « L’ethnos participait d’une transmission, tandis que le demos est le sujet d’un nouveau récit qui en fait un projet politique, une projection dans l’avenir, où un peuple devient le Peuple. ». En l’état, le projet d’autonomie proposé par la majorité territoriale ne trace pas de lignes claires, elle n’affirme pas un projet politique lisible. Les quelques informations qui parviennent au public ne montrent pas forcément une évolution démocratique, un changement social, mais un simple transfert de compétences sans carte de route. Alors comment pourrait-on construire une Nation Corse sans réel projet d’avenir ?
Quel projet peut-on espérer pour une île de 350 000 habitants dans un monde où la finance n’a pas de frontières et dicte sa loi aux nations souveraines ? Dans un sondage SOPRA-STERIA datant de 2021, on nous dit que la principale préoccupation des Corses est de très loin le pouvoir d’achat (37 %), suivi des transports (28 %), le système de santé (24 %) ou encore le chômage (24 %). Au vu de ces préoccupations, on peut se demander si le problème de la Corse, n’est pas le Capital, plus que la Capitale ?