Le 15 septembre dernier, le journal Progressistes organisait son débat “Les femmes dans les filières et l’emploi scientifique” à l’occasion du premier jour de la Fête de l’Humanité 2023. Le public de ce débat avait la chance d’avoir devant lui quatre invitées de grande qualité.
Quatre femmes, de différentes générations, avec des parcours scolaires et même politiques, eux aussi, très divers, mais qui portaient toutes une analyse critique claire sur la place des femmes dans les filières scientifiques.
Léna Raud Secrétaire nationale de l’Union des Étudiants communistes, Colette Guillopé mathématicienne et ancienne présidente de l’association Femme et Science, Sophie Binet Secrétaire générale de la CGT et enfin Hélène Langevin-Joliot, la doyenne de ce débat, Physicienne, membre du Parti communiste français et accessoirement fille d’Irène Joliot-Curie et petite-fille de Marie Curie.
Les constats de la place des femmes dans les filières scientifiques.
Avant toute chose, ce débat a été l’occasion pour les quatre intervenantes de poser des constatations sur la place des femmes dans les filières scientifiques.
D’abord à propos de la situation dans les lycées et notamment depuis la réforme “Blanquer” du baccalauréat. “Une catastrophe” comme l’a décrit la Secrétaire nationale de l’Union des Etudiant.e.s communistes, Léna Raud, avant d’être appuyée unanimement par la tribune. “En 2019, 83 % des filles en classe de première pratiquaient des mathématiques pour seulement 41 % en 2021”. Et même si le gouvernement est revenu sur cette erreur manifeste, l’articulation entre la spécialité mathématique et son tronc commun reste une aberration pour Colette Guillopé.
Malgré cela, nous retrouvons plus de femmes dans les filières scientifiques en licence. Nous pourrions nous en réjouir, mais cette tendance s’inverse en master et en thèse, pour que dans la recherche, il ne reste plus que 30 % de femmes.
Une situation expliquée par Colette Guillopé qui avoua, de sa propre expérience, ne pas avoir pu s’engager dans la maternité avant 32 ans. Car tomber enceinte avant équivaut à un sérieux coup pour la carrière en recherche. “Pour les postes de titulaires en recherche, il faut attendre minimum 32, 33, voire 35 ans.” Des postes de chercheurs qui sont en plus de cela de plus en plus précaires, pour cause : le sous-investissement dans l’enseignement supérieur et la recherche.
Mais cette sous-représentation des femmes dans la recherche n’est pas nouvelle. Hélène Langevin-Joliot, qui a passé sa thèse de doctorat en 1956, a eu l’occasion d’expliquer que, après la guerre, plus de femmes avaient eu accès à des carrières dans la recherche scientifique. Elle restait certes extrêmement minoritaire, mais cela avait nourri un grand espoir pour la féminisation des filières scientifiques. Un espoir vite déçu au vu de l’absence de politique de féminisation efficace jusqu’à aujourd’hui “Quand j’allais dans des congrès internationaux de physique, nous étions très peu de femmes, mais nous savions pourquoi nous étions là.”
Féminisation des filières scientifiques : une lutte aux multiples enjeux.
Cette invisibilisation des femmes dans les filières scientifiques est structurelle dans les métiers scientifiques. L’exemple donné par la secrétaire générale de la CGT est éclairant à ce sujet. Cet exemple, c’est le cas des métiers du numérique. Ils étaient dans un premier temps une filière à majorité féminine, car issus du métier de dactylo. Mais à partir de la révolution numérique, c’est-à-dire à partir du moment où ces métiers sont devenus attractifs, les métiers du numérique sont devenus un bastion masculin.
Les enjeux de la lutte contre l’invisibilisation des femmes dans ces filières sont nombreux. Rien que pour le problème d’intérêt général qu’est la finalité de la recherche. Comment les recherches actuelles sur l’endométriose auraient-elles pu avoir lieu sans que des femmes accèdent aux hautes instances de recherche scientifique ? La secrétaire générale de la CGT va même plus loin : “L’accès à la connaissance scientifique des femmes est un enjeu démocratique, la maîtrise scientifique ne doit pas rester exclusivement entre les mains des hommes.”
Dans le même temps “Quel gâchis de se priver de la moitié de l’humanité !” quand certains métiers des sciences comme l’enseignement des mathématiques reste le concours qui a le plus de mal à recruter ?
La question des violences sexistes et sexuelles est, elle aussi, centrale à ce sujet. En particulier dans les entreprises du numérique et du jeu vidéo comme Ubisoft où ces entreprises sont structurées “par des stéréotypes sexistes très forts.”
Quelles solutions pour une féminisation des filières scientifiques ?
Une fois les constats posés et les problématiques analysées, est venu le temps des solutions. Elles ont été nombreuses à être proposées par les quatre invitées à ce débat.
Pour l’Union des Étudiants communistes de Léna Raud le programme est clair : création d’un revenu étudiant, cadrage national du diplôme du baccalauréat général comme professionnel, création d’un service public de l’orientation, fin de la sélection à l’Université, et enfin une sécurité emploi formation pour que la formation tout au long de la vie soit accessible à toutes et tous.
Ces inégalités démarrent dès l’enfance, la formation des enseignants devra être centrale pour ne pas reproduire ces inégalités ainsi que pour éviter de faire peser sur les élèves le poids des stéréotypes.
C’est ensuite la féminisation des comités de sélection, principalement composés d’hommes, qui a été revendiquée unanimement. Colette Guillopé a eu l’occasion d’appuyer la suppression des critères de sélection dits “masculins”. “Quand nous valoriserons la qualité d’analyse à la vitesse de réflexion, je suis certaine que nous recruterons plus de femmes.”
Enfin, c’est à Hélène Langevin-Joliot qu’est revenu le mot de la fin de ce débat pour qui la féminisation devra nécessairement passer par une syndicalisation à marche forcée des filières scientifiques. “Le plus important sera de ne pas avoir peur de nos ambitions !”