Voilà deux semaines que l’Avant-Garde revient sur les spécificités du cinéma français ainsi que sur ses mutations. Un système de production et de consommation qui suscite des mécontentements, mais qui laisse également planer un plafond de verre pour les classes populaires. S’il faut se réjouir de certaines spécificités, nul doute qu’il est possible d’aller plus loin dans la démarche.
La démocratisation du cinéma
La culture amène la culture. Plus nous nous y immergeons, plus nous sommes stimulés et poussés à aller plus loin dans notre recherche d’émotions, de sentiments, d’idées et d’histoires.
Le cinéma semble un art très accessible en apparence. Pourtant, il est parfois difficile d’accepter la lenteur d’un film ou certains styles lorsque l’on n’y est pas initié, ou habitué. Dans ce domaine, rien n’est acquis de façon innée. Lorsque l’on s’intéresse au cinéma, pour certains films, on a besoin d’avoir le contexte historique pour mieux comprendre certains choix narratifs.
Pour certains auteurs, il vaut mieux avoir une connaissance des codes du courant artistique auxquels ils appartiennent pour accepter les propositions du film. Et, fondamentalement, pour accepter les émotions des films les plus étranges, il faut avoir l’esprit ouvert.
Le rôle de l’école publique
Si certaines personnes s’y prédisposent plus que d’autres, c’est quelque chose qui s’apprend. Il faut donc que l’école puisse fournir à ses élèves provenant des familles les plus précaires des sorties scolaires au cinéma – pour y découvrir des films inhabituels, mais touchants, recherchés, mais accessibles. Il faut que l’école puisse enseigner la littérature, la poésie, la compréhension de la musique à ses élèves, pour que ces derniers comprennent mieux pourquoi le cinéma est tant lié aux arts qui le précèdent.
Cela ne doit pas être réservé aux élèves des meilleures écoles, collèges et lycées. Il faut donc du budget, de la formation, et surtout de la volonté politique. Par les films, ces élèves peuvent se voir offrir des perspectives, une meilleure compréhension de leur vie, du monde, avoir accès à lieux, endroits, événements, qu’ils n’imaginaient pas, sans oublier, bien sûr, la pure joie de voir un bon film.
L’entre-soi contre la démocratisation
Cette problématique se dédouble dans l’enseignement de la création cinématographique, encore trop cloisonnée aux familles déjà dans le milieu – et ce, par ailleurs, à quasiment tous les niveaux.
Il est certes difficile d’apprendre à faire du cinéma, mais les quelques écoles publiques subsistent dans un entre-soi petit-bourgeois. Les écoles privées, n’en parlons même pas. De plus, cela reste un milieu dans lequel le réseau a une importance capitale. Difficile donc de démocratiser la création cinématographique, alors que bien des jeunes en ont l’esprit, l’envie, ou la passion, mais n’ont pas les codes sociaux, les bonnes méthodes, tout simplement les bons profils, ou qui s’autocensurent par stigmate social ou mépris de classe.
C’est compliqué en particulier pour les femmes – qui restent très minoritaires comme directrices photos, réalisatrices, cheffes électros, ingénieures du son, scénaristes. Si certaines réalisatrices réussissent à s’imposer, nous constatons que les budgets sont toujours moins élevés pour les films réalisés par des femmes.
Toute l’industrie le dit, il est difficile de débuter dans ce milieu, de trouver des subventions, c’est encore plus le cas lorsque l’on a un profil différent des standards. C’est aussi cela qui est en jeu dans le discours de Justine Triet : le droit à l’erreur. Si l’on ne se base que sur la rentabilité, nous aurions raté beaucoup de grandes et grands artistes qui eurent du mal à faire beaucoup d’entrées. Faire du cinéma prend du temps, et nécessite de faire des erreurs.
Les films proposés et le retour de l’épopée dans le cinéma français
Les nombreux clichés faciles sur le cinéma français affirment qu’il n’y aurait que des comédies stupides et des films d’auteurs ennuyeux. C’est en partie vrai dans la mesure où ce sont les genres qui trouvent le plus de financement – dites-vous alors que si nous perdions le combat de l’exception culturelle contre les majors, nous n’aurions plus que ce type de films. Néanmoins, toutes les comédies ne sont pas mauvaises, tous les films d’auteurs ne sont pas ennuyants : au contraire ! Malgré tout, la critique sous-jacente, c’est que les films français comportent peu de films de genre ; comprendre : des films historiques, des films d’aventure, des films de science-fiction, etc.
Démêlons tout cela. Il est juste que la France a une certaine frilosité à produire des types de films différents, plus coûteux, en partie, car il y a la peur que le public ne suive pas, en partie par un certain dédain pour ces films.
Il ne faut pourtant pas être aussi catégorique dans ce diagnostic, et citons quelques films : L’Innocent, réalisé par Louis Garrel, avec lui-même, Noémie Marlant, Roschedy Zem. Un film d’amour en même temps qu’un film de braquage, avec une intrigue à la fois touchante, hilarante et surprenante. (L’auteur regrette par ailleurs de ne pas l’avoir vu à sa sortie en salle, sans quoi il l’aurait mis dans son top de films en 2022). Pacifiction, avec Benoit Magimel, traitant de l’impérialisme français en Polynésie, un film d’espionnage détourné, décalé, sombre, doté d’une photographie magnifique et d’un protagoniste unique. L’Envol, de Pietro Marcello, un film historique, féministe, d’amour, avec des passages de comédie musicale, doté d’une mise en scène inspirée, romantique et sensuelle, et d’une bande-son marquante. Nous pourrions en citer des dizaines d’autres.
Le succès de ces films est relatif. Certains sont repérés, trouvent leur public, gagnent des prix, d’autres non. Ils restent malgré tout encore à la marge économique de ce qui est produit. Pourtant, ce sont des films qui ont le potentiel d’être profondément populaires.
Ce qui ne rime pas toujours avec réussite
Malgré tout, attention : il ne suffit pas de faire un film historique ou de science-fiction pour que ce soit un bon film, voire qu’il ait de l’intérêt. Le dernier Astérix et Obélix en est la preuve. Le film – produit par Pathé et Jérôme Seydoux – a coûté 65 millions d’euros pour un résultat vraiment mauvais, à tel point que l’on peut légitimement affirmer qu’il prenne les spectateurs pour des abrutis. De la même manière, Apaches, un film historique de gangster, est l’un des pires films français de l’année. Comme quoi, avant de vouloir faire des films de genre, il faut avoir quelque chose à dire.
Mais, quel est le lien de tout cela avec les classes populaires ?
Il y a dans l’épopée – héritière des contes du folklore populaire — quelque chose d’intrinsèquement populaire, prolétarien même. Certes, ce type de films prend toujours comme protagonistes des personnages peu communs, exceptionnels, mais qui possèdent en eux une envie et un besoin d’émancipation qui les rendent souvent prédisposés à la révolution, à la critique du système, à une scène finale où – comme dans les contes de fées – les héros deviennent tous symboliquement des princes et des princesses.
Dans Peaky Blinders, Thomas Shelby représente les deux versions ce que peut devenir un peuple pauvre jeté en pâturé à la guerre et à la pauvreté : il commence comme gangster assassin, violent, traumatisé par la guerre, mais termine comme combattant anti-fasciste et retrouve un sens à son existence.
Traditionnellement, les idéaux révolutionnaires sont la liberté, l’égalité et la fraternité. Les deux premiers sont souvent la spécialité de la comédie. La fraternité, quant à elle, est le don des épopées, des récits romanesques, de la fiction méprisée par la bourgeoisie, car, à la fin du film, ses héros conquièrent la dignité et le respect de leurs congénères, non pas parce qu’ils sont bien nés, mais parce qu’ils sont, tout simplement, nés. Nous l’affirmons ici haut et fort, c’est ce genre de cinéma qui doit renaître en France.