Le cinéma français en mutation 2/3

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Le cinéma français en mutation 2/3

La semaine passée, nous revenions sur les spécificités du cinéma français, de son système industriel de production à sa diffusion en passant part son fonctionnement sur la consommation. Si ce système suscite des mécontentements de la part de firmes et de puissances étrangères, c’est parce qu’il promeut une vision du septième art toute particulière. 

Un système qui déplaît 

Il faut avant tout garder en tête que le capital des plus grandes sociétés de productions – surtout internationales – aimerait avoir accès à de plus grandes parts du marché français. 

Nous pouvons viser ici l’infâme famille Seydoux – nous y reviendrons – mais également Disney, les grands majors étasuniens. L’enjeu est économique et esthétique : mettre fin à ce système serait tuer bon nombre de projets indépendants, de films dangereux à produire, car audacieux. Nous nous plaignons des bêtes comédies françaises à la mord-moi-le-nœud, mais nous n’aurions plus que ça dans un tel monde. 

Notre système n’est pas idyllique : même avec une politique différente, laissant le droit à l’erreur et aux “petits” – le terme est ici utilisé pour une dimension économique et pas esthétique – souvent le CNC ne lâche ses subventions et ses aides que lorsqu’un grand acteur a accepté de tourner pour le film. Il reste encore un stigmate certain pour les projets les plus décalés, romanesques, et surtout pour les films de genre.

Le plafond de verre pour les classes populaires et travailleuses

Nous avançons ici l’idée qu’il est difficile pour les classes populaires et travailleuses d’accéder aux expériences esthétiques fantastiques que propose le cinéma français. Si l’on peut doublement applaudir Justine Triet – pour sa récompense et pour son discours – il ne reste que tout ce beau monde baigne dans un entre-soi qui, au mieux, est assumé, au pire est nié ou moralement absout par de fausses approches populaires. 

Pour reprendre le discours d’un éminent dirigeant communiste à propos des bibliothèques, ce qui devrait faire la fierté d’une salle de cinéma, ce n’est pas la quantité de copies en pellicules rares, de versions remastérisées ou d’éditions interdites, mais le nombre de films vus par le peuple, le nombre de nouveaux spectateurs, la qualité du service, les discussions qui agitent le public, le nombre d’enfants gagnés à la cinéphilie et fréquentant le cinéma. Or, plusieurs obstacles s’opposent à ce projet. 

Le prix du billet et les conditions de visionnage

Chaque salle de cinéma ne se vaut pas, et l’auteur de cet article l’avoue, il dépense plus de dix euros pour aller voir Avatar 2 au cinéma dans les meilleures conditions de grand spectacle, quand il préfère des salles plus petites – mais toujours de grande qualité – pour les autres types de films que les blockbusters. Plusieurs cinémas de quartiers proposent des places moins chères, bien que ce ne soit pas toujours le cas. 

Toujours est-il qu’en France, un billet de cinéma coûte en moyenne entre 5 et 7 euros, en tenant compte de toutes les réductions qu’il peut y avoir. De là, il n’est pas étonnant de constater qu’une grande part du public est majoritairement étudiante ou retraitée. Ils possèdent en plus le temps d’y aller. Pour les enfants, ça peut être compliqué, car une sortie en famille au cinéma peut rapidement atteindre les 25/30 euros avec des prix raisonnables. Surtout dans le contexte actuel, il faut garder en tête que la culture est le premier budget personnel à être mis de côté lorsqu’on atteint une situation de précarité ou de pauvreté.

Le prix n’est pas le seul facteur. Si quelques villes – et quelques villages fortunés – sont très bien fournis en matière de salles de cinéma, ce n’est pas le cas des zones périurbaines et rurales. Cela mène à une baisse de la fréquentation. Il n’est pas rare de devoir faire parfois des dizaines de kilomètres en voiture pour arriver à un cinéma, ce qui peut certes transformer la chose en événement spectaculaire, mais ne favorisera pas sa familiarisation pour ces populations. Enfin, même dans les villes urbaines moyennes et leurs périphéries, les salles sont parfois de mauvaises qualités ou offrent une programmation peu variée.

L’exemple de Montreuil 

La ville de Montreuil, gérée par les communistes, propose une solution avec le cinéma LeMéliès, classé “art&essai”, et acheté par la ville à Gaumont en 1986. Il s’agit d’un cinéma extrêmement dynamique, proposant des prix abordables et des formules avantageuses, qui chaque semaine organise des rencontres avec des réalisateurs parfois de renommée mondiale, comme Wes Anderson ou Dario Argento. 

De nombreuses sorties s’organisent en partenariat avec des écoles de quartiers. Tout cela va de pair avec une politique offensive de la part de la ville par rapport à la culture. Il y a là une véritable démocratisation du cinéma, de ses codes, avec aussi bien des films de grand divertissement que des œuvres indépendantes. Sur la seule année 2019, 370 000 tickets furent vendus : un record pour un cinéma du genre. De plus, les salles sont d’excellente facture.

C’est une politique de classe. Face à Pathé et à la famille Seydoux, menée par le milliardaire Jérôme Seydoux qui souhaite une mainmise du cinéma par le marché, par les grandes entreprises de productions, la ville de Montreuil propose à ses couches les plus populaires, aux familles travailleuses, des salles de cinéma de grande qualité, avec une programmation variée offrant de grandes expériences esthétiques aux spectateurs. Au-delà de la rentabilité, nous arrivons à l’émancipation. 


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