Depuis une semaine, la Turquie connaît un mouvement social inédit qui frappe l’ensemble des centres urbains du pays. L’arrestation d’Ekrem Imamoglu, maire d’Istanbul (CHP) et figure populaire de l’opposition kémaliste aura été l’étincelle d’une mobilisation qui ne cesse de s’élargir.
Un retour des grandes mobilisations sociales ?

Maire d’Istanbul
Privé de son diplôme d’université lui permettant de se présenter aux prochaines élections et accusé de corruption et de proximité avec le PKK sur des bases douteuses, M. Imamoglu apparaît clairement comme une menace pour l’AKP. Il faut dire que l’élection présidentielle de 2028 approche et le doute plane concernant la capacité de Recep Tayyip Erdogan à maintenir la légitimité d’un système installé à Ankara depuis 2003.

Président de la république de Turquie
Cette mobilisation spectaculaire malgré les interdictions et la répression n’est pas sans rappeler le mouvement social de 2013 qui avait fragilisé un régime sauvé in extremis par une mobilisation de ses réseaux politico-économiques. Si l’échec du coup d’État de 2016 avait permis à Erdogan de se redonner une légitimité populaire, il semble désormais chancelant face à une opposition élargie. On trouve aiensi dans la rue des kémalistes, des communistes, syndicalistes, des organisations de défense des droits des kurdes et des alévis, mais aussi des conservateurs et nationalistes déçus. Les universités pourtant corsetées par des décennies de répression politique sont également très mobilisées.
Un lent déclin du système AKP
Ce mouvement témoigne, en réalité, d’un pourrissement du régime islamiste-nationaliste au pouvoir depuis plus de 20 ans. Le parti présidentiel est marqué par un ralentissement économique et la perte de plusieurs municipalités comme Ankara, Istanbul, ou Bursa, pourtant au cœur de son fonctionnement clientéliste. L’AKP montre de plus en plus des signes de fébrilité. Tandis que chaque échéance électorale depuis 2023 est marquée par un recul du « Parti Clair », la base sociale du régime ne cesse de se réduire au gré des répressions. Les quelques réussites géopolitiques d’Ankara en Syrie et au Haut-Karabagh ainsi que sa répression du mouvement kurde ne semblent donc que peu profiter à un régime visiblement essoufflé.
Force bourgeoise ayant gouverné le pays pendant plusieurs décennies et s’appuyant sur les élites économiques de la côte, le CHP semble désormais déterminé à engager un rapport de force avec l’Etat turc. Il faut dire que le « Parti aux Six Flèches » peut se targuer de rapports cordiaux avec les pays occidentaux et la principale organisation patronale du pays, la TÜSIAD… S’il est donc une force qui ne remet pas en cause la place de la Turquie comme une puissance moyenne du Centre capitaliste, il devra composer avec un mouvement social déterminé à lutter pour des institutions démocratiques et débarrassées des pratiques autoritaires marquant la présidence d’Erdogan.

À l’image des forces de l’Alliance du Travail et de la Liberté, créée en 2022 et regroupant organisations progressistes kurdes et communistes, qui se mobilise dans ce mouvement social qui peut marquer un tournant de la vie politique turque.