L’enlisement dans la crise économique conforte Erdogan dans une fuite en avant militariste.
La Turquie traverse depuis de nombreuses années une crise économique. Cette dernière s’est considérablement accentuée ces derniers mois. L’inflation a atteint 36 % en un an sur l’année 2021, un record depuis 2002. C’est une conséquence de la politique menée par le gouvernement du président Erdogan, qui a dévalué la livre turque — la devise du pays — à de multiples reprises ces dernières années dans le but de limiter l’inflation. Nous constatons aujourd’hui l’échec de cette stratégie économique lorsque le taux d’inflation n’a jamais été si élevé et la valeur de la livre turque si basse. Sur toute l’année 2021, la valeur de la livre turque a chuté de 45 % par rapport au dollar étatsunien. Cette baisse de la valeur de la livre turque pousse de nombreuses et nombreux citoyens turcs à posséder des comptes bancaires en devises étrangères. Erdogan promettait en décembre dernier d’augmenter le salaire minimum de 50 %, ce qui restait inférieur au seuil de pauvreté une fois converti en dollar.
Le nombre de foyers turcs ayant recours à l’aide alimentaire ne cesse d’augmenter. Les ménages se ruent sur les distributions de pain dit « du peuple » dont le prix plafonné à environ la moitié du prix du pain en boulangerie leur permet d’économiser quelques centimes. En effet, si l’inflation générale est déjà affolante, l’inflation des denrées alimentaires a elle atteint plus de 43 %, pénalisant toujours plus les foyers les plus modestes.
Erdogan face à la contestation populaire
Si la crise économique en Turquie a connu une augmentation record ces derniers mois, le problème est plus ancien. Déjà en 2019, année d’élections municipales en Turquie, le peuple et plus particulièrement les étudiantes et étudiants du pays s’étaient mobilisés contre la politique du président Erdogan. Ils étaient des centaines à Istanbul, à Ankara et dans d’autres grandes villes turques à s’opposer à la hausse des loyers et des denrées alimentaires. Erdogan s’était vanté de diriger le pays ayant le plus grand nombre de résidences universitaires publiques, mais sa politique ne permet pas au service public de répondre correctement aux besoins de la population. La répression du gouvernement avait été brutale avec de nombreuses arrestations.
Les revendications sociales d’aujourd’hui font échos à celles des étudiantes et étudiants en 2019, mais se trouvent amplifiées par l’enlisement du pays dans une crise économique qui semble sans fin.
Erdogan se trouve dans une position peu confortable et perd de plus en plus sa popularité. L’opposition veut anticiper les élections présidentielle et législatives prévues pour 2023. Pas question pour le président déjà désavoué de céder à cette demande. En effet l’AKP — le parti politique d’Erdogan — avait essuyé une défaite lors des élections municipales de 2019, perdant Istanbul et Ankara au profit du Parti républicain du peuple (CHP). Si l’AKP reste le premier parti de Turquie, Erdogan est forcé de changer de stratégie face à la contestation grandissante du peuple turc. Il a déployé à maintes reprises la violence à l’égard des Arméniens, mais aussi aux Kurdes qui représentent une grande partie de l’électorat dans certaines villes. Ses récentes tentatives d’apaisement intéressées ne permettent pas au peuple turc d’oublier la forte répression des mobilisations contre le régime d’Erdogan.
La politique internationale d’Erdogan
Les citoyens turcs sont bien conscients des répercussions quotidiennes de la politique d’Erdogan qui assoie son autorité par la menace et la peur. Cependant, le président turc essaie de convaincre à nouveau la population de son pays en l’unissant autour de la nation, de la turcophonie ou encore de la religion. En décembre dernier, il rappelait aux Turcs que sa politique continuerait de suivre les principes du Coran, faisant référence à l’usure.
C’est pour ces différentes raisons que la Turquie se rapproche de certains de ses voisins. Cela s’amplifie depuis le regroupement de différents pays proches — en termes de culture et de linguistique — au sein de l’Organisation des États Turciques (OET).
À ce titre et pour faire face à la Russie, la Turquie resserre ses liens avec le Kazakhstan. Au nom d’une « alliance du monde turc », les deux gouvernements n’hésitent pas à collaborer. La Turquie a vendu l’année dernière des drones et des blindés au Kazakhstan et a vivement soutenu le président kazakh lors des émeutes qui ont secoué le pays ces derniers mois, et l’agression militaire au Haut-Karabagh.
La stratégie d’Erdogan consiste à unir le « monde turc » autour de lui avec comme arguments la religion, la culture turque et — à l’intérieur de son pays — la nation. Les intérêts économiques et militaires communs entre la Turquie et certains de ses voisins de l’Asie Centrale et du Caucase laissent entrevoir un potentiel enlisement de la crise économique en crise militaire.