Grève à la SNCF : ce qu’il faut savoir 

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Grève à la SNCF : ce qu’il faut savoir 

Depuis l’annonce du préavis de grève des contrôleurs ce week-end, les commentaires de la classe politique ont été bon train, dénonçant notamment une privation de vacances de la part des cheminots. Parce que naturellement, les fédérations syndicales CGT des Cheminots et SUD-Rail, qui ont appelé à la grève, agissent par méchanceté pure. C’est pas gentil. 

Un article donc, pour comprendre ce qui a poussé jusqu’à 60 % de membres d’une profession à cesser de travailler, pour briller pendant les repas de familles, et pour convaincre votre oncle de droite que ce qui se déroule est relativement éloigné d’une prise d’otages.

Pourquoi cette grève ?

À l’origine de cette grève, des promesses non tenues. À l’issue d’un mouvement social en 2022, la direction de la SNCF avait pris des engagements pour améliorer les conditions de travail de son personnel, et notamment des contrôleurs.

En premier lieu, il s’agissait d’embaucher, pour atteindre un effectif de deux contrôleurs par TGV en 2023. Le principe est simple : le travail de ces agents ne se limite pas au contrôle des titres de transport, tâche qui a donné son surnom aux “Agents du Service Commercial Train”. Il s’agit également d’assurer la sécurité des passagers à bord du train, d’être à disposition des voyageurs pour les informer, d’accompagner le conducteur en cas de problème, de faire la liaison avec les équipes sédentaires en gare, etc. C’est pour cette raison qu’un train ne peut pas partir en l’absence de contrôleur. Cette promesse de recrutement a été repoussée en 2025, exposant notamment les agents à certaines situations d’insécurité.

Ensuite, la lutte avait permis d’obtenir des négociations sur un dispositif de cessation progressive d’activité (CPA) amélioré, revendication de la CGT. Être cheminot, c’est parfois, selon le métier ; ne pas pouvoir rentrer chez soi tous les soirs pour profiter de sa famille. Ainsi, en 35 ans de carrière, un contrôleur passera en moyenne cinq ans loin de chez lui et de ses proches. Le CPA vise à compenser cet état de fait, en permettant aux cheminots de disposer de plus de temps de repos quand approche leur fin de carrière. Là encore, les revendications, pourtant acceptables et accessibles, ont été simplement balayées par la direction de la SNCF.

Enfin : les primes, sujet de tous les délires. Fin 2022, il était question d’augmenter la prime de travail, qui est prise en compte dans le calcul des retraites. Des primes ont effectivement été accordées par la direction de la SNCF, mais ne sont pas prises en compte dans ce calcul, et sont ponctuelles. C’est pourquoi la CGT avait proposé en septembre 2021 un projet pour recalculer les primes de travail de tous les cheminots. Plus de 60 % des contrôleurs avaient alors appuyé cette démarche en signant une pétition. Dans sa tradition du dialogue social, la direction de la SNCF a dû s’en servir pour caler un bureau.

Des nantis ?

Ces quelques revendications ne viennent pas de nulle part, mais sont le fruit d’une demande de plus en plus pressante pour améliorer concrètement les conditions de travail dans ce secteur de métier. Exposés à des situations de tension et au danger, que ce soit en présence des voyageurs ou autour des trains, les contrôleurs fournissent un travail d’une grande importance pour garantir nos déplacements. C’est pourquoi des contrôleurs moins nombreux, ou qui exercent leur métier avec pénibilité, ont une incidence directe sur nos conditions de voyage.

Depuis quelques jours, un discours poussiéreux a refait surface, exposant toutes sortes de fantasmes quant à la condition des contrôleurs, qui seraient grassement payés, avec des durées de travail particulièrement favorables, etc. À croire que les salariés font grève par plaisir.

Coutumier du fait, le chef de meute des chiens de garde, Pascal Praud, a trouvé de bon goût de se lancer dans une croisade contre cette profession. Dans le même style, le directeur de la SNCF a feinté l’incompréhension quant aux raisons qui ont déclenché cette grève. En bref : circulez, il n’y a rien à voir. C’est pourtant cette même direction de la SNCF qui n’a pas donné suite aux revendications, connues et obtenues, de ces travailleurs.

Nous nous trouvons aujourd’hui dans un exercice désormais banal de division des travailleurs, que la presse libérale, le patronat et les responsables politiques de droite pratiquent à chaque mouvement social sectoriel : on accuse les grévistes de ne penser qu’à leur nombril en les faisant passer pour des privilégiés, car c’est toujours plus simple que de donner une suite aux revendications, et d’améliorer les conditions de travail. Hier, il s’agissait du corps enseignant, aujourd’hui ce sont les cheminots, demain ce seront les facteurs.

Ne nous laissons pas diviser : si la situation des contrôleurs était si enviable, on se bousculerait pour exercer ce métier. Pour rappel, un contrôleur touche en moyenne 3000 € brut (soit 2400 € net), là où l’INSEE indique que le salaire moyen était, en France et en 2022, de 3 466 € brut (soit 2630 € net). Ajoutez à cela un travail qui empêche régulièrement de rentrer chez soi le soir, qui vous demande de travailler les week-ends, des emplois du temps irréguliers, et vous aurez une idée de la nature des privilèges des cheminots.

Le droit de grève attaqué

Un autre vieux (et rance) débat a été relancé à l’occasion de ce mouvement social : celui du droit de grève. Le festival réactionnaire s’est lancé, Gabriel Attal n’hésitant pas à parler de « devoir » pour le travail, dans un fin cynisme. Rappelons-lui que le travail est un droit, qui encore aujourd’hui est une chimère pour de trop nombreux Français.

Les sénateurs de droite ont pour leur part activé le mode roue libre, en proposant que le droit de grève soit encadré, afin qu’il ne puisse être mis en œuvre seulement aux moments de l’année où cela dérange le moins le patronat du ferroviaire. Astucieux.

Ces attaques contre le droit de grève s’appuient sur une rhétorique simple : celle de la « prise d’otages » des vacanciers, impactés par la suppression des trains. Au-delà de l’indécence notoire qu’il y a à appeler « prise d’otages » l’exercice d’un droit prévu par notre constitution, il faut noter que cette indignation est à géométrie parfaitement variable. Pour rappel, l’Observatoire des inégalités a relevé en août 2023 que le taux de départs en vacances est de 54 % en France, avec 72 % des plus aisés partant au moins une fois par an, et 37 % des plus modestes. Par ailleurs, ce sont les raisons financières qui contraignent les Français à rester chez eux. C’est ici que se trouve le scandale, la source du blocage des vacances. L’instrumentalisation des vacanciers, malheureusement empêchés par la grève, relève donc d’un fantasme selon lequel la majorité des Français s’apprêtait à voyager (en train qui plus est), ce qui est loin d’être le cas.

À nouveau, il ne faut pas flancher. Faisons preuve de toute notre solidarité de classe à l’égard des contrôleurs en lutte. En tant que voyageurs, car cette lutte est aussi une lutte pour l’amélioration de nos conditions de transports. Et en tant que travailleurs, car lorsque le patronat lèse un secteur de métier, il ne tarde jamais à réduire les droits de tous les autres. Dans ce sens, le droit de grève lui-même doit être défendu, car il s’agit du dernier moyen de pression des salariés quand toutes les autres formes de négociation n’ont pas suffi. Alors oui : un train annulé est toujours pénible. Mais prenons sur nous et relativisons : ce train annulé est dans notre intérêt collectif, et nous avons désormais un peu plus de temps pour lire l’Avant-Garde. 


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