4 février 1794, première abolition de l’esclavage : le résultat du combat des esclaves eux-mêmes

publié le dans
4 février 1794, première abolition de l’esclavage : le résultat du combat des esclaves eux-mêmes

Le 4 février 2024, nous fêtions les 230 ans de l’abolition de l’esclavage. Bien que réintroduit par Napoléon en 1802, avant d’être définitivement supprimé en 1848, l’esclavage fut aboli une première fois, en France et dans ses colonies, le 4 février 1794. 

Cette première abolition est liée à deux histoires. Celle de la Révolution Française, et celle d’une île, Saint-Domingue, aujourd’hui connue sous le nom d’Haïti. 

Saint-Domingue, une colonie esclavagiste française

En 1789, la révolution débute en métropole. Saint-Domingue est alors une île composée d’environ 500.000 habitants et, parmi eux, 450.000 esclaves, 30.000 libres de couleur. Située dans l’Océan Atlantique, elle est au centre du système capitaliste atlantique. Politiquement, elle est alors dominée par les nobles blancs, propriétaires d’esclaves. Les libres de couleur n’ayant pas de droits. L’économie de l’île repose essentiellement sur l’esclavage. 

Si le système esclavagiste était critiqué par différents courants des Lumières, son abolition n’était pas à l’ordre du jour. Certains clubs, parfois très puissants comme le Club Messiac, défendent au contraire les intérêts des propriétaires et de la bourgeoisie commerçante, attachés à l’esclavage. Si l’esclavage fut aboli cinq ans plus tard, ce n’est pas dû au seul changement de mentalités, mais bien plus à la lutte politique des esclaves de Saint-Domingue. 

Dans la nuit du 22-23 août 1791, une révolte d’esclaves éclate dans la partie française de l’île. Celle-ci s’étend rapidement. Afin de garder le contrôle de l’île, l’Assemblée Constituante vote, en mars 1792, les droits civiques aux libres de couleurs. L’idée qui sous-tend cette décision est de limiter la révolte en octroyant quelques droits, sans remettre tout le système en cause.

L’aristocratie esclavagiste et la défense de ses intérêts.

Pour faire effectuer cette mesure, des commissaires civils sont envoyés dans la colonie. Sur place, ils font face à l’opposition des aristocrates blancs. Ces derniers craignent pour leurs intérêts : si des libres de couleurs ont des droits, ils risquent de réclamer la fin de l’esclavage, eux qui en ont été libérés. 

C’est cette opposition de classe, pour défendre des intérêts aristocratiques qui expliquent que l’un des commissaires, Sonthonax, décide d’abolir l’esclavage entre août et septembre 1793. Pour lui, qui craint une trahison des aristocrates, de plus en plus opposés à la Révolution, il s’agit de s’assurer du soutien de la population, essentiellement composée d’esclaves. Cela fonctionne.

Les aristocrates décident de livrer l’île aux Britanniques en Automne. Ils voient dans l’Empire britannique un allié contre la France Républicaine. Quant à elle, alors en guerre contre ces mêmes britanniques, elle y voit une trahison. C’est pourquoi, pour éviter de perdre le soutien de la population des colonies contre les Anglais, elle décide d’abolir l’esclavage dans toutes ses colonies, le 4 février 1794. Ce sont 700.000 esclaves qui deviennent libres. Ce qui, quelques années plus tôt était inimaginable, fut réalisé. 

Quand la bourgeoisie libérale luttait contre la liberté

Si la Révolution s’est propagée à Saint-Domingue, c’est en partie grâce à l’exportation des idées des Lumières. Parmi elles, le libéralisme, une philosophie qui met au centre de sa doctrine la liberté individuelle. De fait, on pourrait penser que les libéraux, qui considèrent que tous les êtres humains sont égaux, appliquent cette liberté à toutes et tous, esclaves et libres de couleur compris. On s’attendrait donc à voir tous les libéraux lutter contre l’esclavage. Cela semble d’autant plus logique que parmi les arguments du libéralisme utilisés contre la monarchie absolue se trouvait celui de l’absolutisme comme un “esclavagisme politique”. 

Ce n’est pourtant pas le cas. En métropole, l’aristocratie libérale et la grande bourgeoisie n’étaient pas démocrates : ils s’opposaient aux droits politiques du petit peuple, des “sans-culottes”. Il en allait de même dans les colonies. Lorsqu’ils mobilisent des arguments en faveur de la “liberté” contre la monarchie absolue, c’est, dans un sens, restreint. Liberté, pour eux, ne signifiait rien de plus que le droit de commercer, rien de plus que le droit du propriétaire à faire ce qu’il veut de sa propriété. Et les esclaves étaient considérés comme des biens, de la propriété mobilière.

Ainsi, dans les colonies, lorsqu’il était revendiqué la liberté politique, c’est bien la liberté de commercer pour les seuls esclavagistes qui était réclamée, et non les droits politiques pour les libres de couleurs, encore moins l’abolition de l’esclavage. Étendre le concept de liberté à tous les hommes, à toutes les femmes, aurait signifié abolir l’esclavage et, de fait, remettre en cause la propriété privée. 

Certes, l’esclavage fut rétabli dans les colonies par Napoléon en 1802. Mais Saint-Domingue, par la lutte des esclaves, est devenue indépendante, sans esclavage. Comme le disait l’Abbé Grégoire “la République Haïtienne, par sa seule existence, aura peut-être une grande influence sur la destinée des Africains du Nouveau Monde. Une République noire au milieu de l’Atlantique est un phare élevé vers lequel se tournent leurs regards. Les oppresseurs rugissent, les opprimés soupirent. À son aspect, l’espérance sourit à 5 millions d’esclaves, épars dans les Antilles et le continent américain”. 


Édition hebdomadaire

Mêmes rubriques