Y a-t-il assez de militaires en France ?

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Y a-t-il assez de militaires en France ?

La France compte aujourd’hui 200 000 militaires et 40 000 réservistes.

Selon le ministère des Armées, 30 000 militaires ont été engagés dans diverses missions en 2021. Le chef d’état-major de l’armée de terre affirmait au début de l’année pouvoir déployer 20 000 hommes en 30 jours, en cas de besoin.

Ces capacités de mobilisation sont-elles suffisantes ? La réponse dépend de la mission qu’on donne aux armées.

S’il s’agit, comme le voulait le président Chirac, de disposer d’une armée professionnelle capable de « projeter », de faire des expéditions à l’étranger, alors ces effectifs peuvent suffire. Dans cette définition, les forces armées défendent les intérêts économiques et géostratégiques du pays sur des théâtres d’opération lointains, souvent par des patrouilles et des raids.

En revanche, si, comme la République l’avait conçu, les armées assurent une défense nationale « tous azimuts », c’est-à-dire tournée contre tout le monde et personne en particulier à la fois, et par tous les moyens, alors il semble que la dissuasion militaire visée nécessite une concentration de forces un peu plus importante.

Regardons les ordres de grandeur d’un conflit armé interétatique actuellement.

Un pays comme l’Ukraine, qui comptait 45 millions d’habitants dans la décennie 2010, déploie 700 000 soldats sur 800 kilomètres, et en avait engagé immédiatement 450 000 début 2022. En face, la Russie a mobilisé progressivement de 100 000 à 500 000 hommes en Ukraine, tout en maintenant des forces en présence ailleurs.

Prenons le cas d’un pays plus petit et dans un conflit asymétrique. Il y a un an, Israël a mobilisé plus de 300 000 réservistes en quelques jours.

Certains prétendent que la France peut se défendre dans le cadre d’une défense européenne, mais les quatre plus grandes armées européennes additionnées comptent moitié moins de militaires que les États-Unis, la Chine ou la Russie séparément. Par ailleurs, se reposer sur une alliance pour assurer sa défense, c’est risquer d’être embarqué dans une guerre sans y avoir directement intérêt, sans aucune garantie réelle de ne pas être abandonné à son tour.

Mais au-delà du nombre de militaires mobilisables dans une situation où il faut défendre le territoire national, c’est aussi l’équipement, les capacités logistiques et industrielles qui importent. Là-dessus, il est évident que l’Europe comme la France dépendent en grande partie de l’industrie d’armement états-unienne et donc du soutien politique de ce pays.

On pourra objecter que la France détient l’arme atomique, qu’elle est entourée d’alliés (encore que c’est seulement le cas sur le continent européen), et qu’il n’y a pas de menace très concrète d’invasion de son territoire (encore que, encore une fois, uniquement pour ce qui concerne l’Europe, et il est évident qu’il y a de multiples menaces d’autres natures : terrorisme, cyberattaques, catastrophes naturelles ou industrielles, etc.).

En fait, le problème de ne pas assurer de manière autonome sa défense nationale est double.

D’abord, c’est risquer de ne pas dissuader suffisamment pour éviter les conflits armés. Surtout, c’est risquer de ne pas avoir les moyens de défendre sa volonté et ses intérêts, et de se faire imposer les desseins d’autres. En somme, c’est une perte de souveraineté.

On continuera à aller aux urnes, mais la parole de la France ne sera pas écoutée par grand monde hors de nos frontières et se limitera à de vaines incantations et protestations.

Enfin, tendre à limiter ses capacités militaires à une sorte de corps expéditionnaire professionnel, c’est créer une situation où les citoyens se désintéressent de la défense nationale, perdent leur culture militaire et historique et laissent le seul président de la République, accompagné d’experts, prendre des décisions qui engagent l’avenir du pays.

Sans démocratie sur les questions militaires, la démocratie sur la politique extérieure de la France devient un vrai mirage.


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