Dans une tribune publiée par Le Monde du 26 février 2021, Emmanuelle Bonnet-Oulaldj, présidente de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), alerte sur la situation du sport amateur. Celle-ci est en effet critique. Plus de 90 % des associations sportives françaises ont interrompu leurs activités et une grande partie d’entre elles pourrait avoir des difficultés financières au redémarrage.
Un enjeu social et sanitaire majeur pour la jeunesse
Les associations sportives représentent près du quart du tissu associatif français et fournissent un maillage territorial inégalé. Elles sont la principale porte d’entrée de la jeunesse dans le monde associatif. En 2016, près d’un.e jeune sur quatre était adhérent.e à une association sportive. Ce sont des lieux de sociabilisation absolument fondamentaux.
Les clubs de sports transmettent des valeurs de solidarité et de respect, et créent du lien partout. Au-delà des activités purement sportives, ils sont souvent des animateurs irremplaçables de quartiers ou de villages. Un affaiblissement de ce tissu associatif, qui comptait avant la crise plus de 16 millions d’adhérent.es, romprait un lien social essentiel.
Les 180 000 clubs de sports français assurent également une mission sanitaire particulièrement efficace. En fournissant un cadre régulier à la pratique sportive des jeunes, les associations sportives contribuent à la lutte contre la sédentarité. Cité par Le Monde, le cardiologue François Carré explique « Le manque d’activités physiques et sportives est une bombe à retardement sanitaire, notamment pour les enfants, qui va augmenter dans la durée les risques de pathologies ».
Une menace pour l’emploi des jeunes
En termes d’emplois, un affaiblissement du secteur sportif amateur serait terrible pour la jeunesse. Alors que les clubs amateurs emploient près de 100 000 personnes, la crise sanitaire fait peser un risque majeur de destructions d’emplois. Or, ce secteur d’emploi est extrêmement jeune. 20 % des salarié.es des associations sportives ont moins de 26 ans, 52 % ont entre 26 et 46 ans.
Les risques sur l’emploi sont d’autant plus élevés que le secteur est déjà fortement précarisé. A peine 40 % des salarié.es du secteur sont en CDI et plus de 70 % des contrats sont à temps partiels. Une grande partie des travailleurs et travailleuses est contrainte de cumuler plusieurs employeurs.
Avant la crise sanitaire, le secteur avait été très fortement touché par la fin des emplois aidés. Une nouvelle attaque mettrait à mal un secteur pourtant essentiel socialement. Contrairement à de nombreux autres secteurs, la qualification professionnelle ne fonctionne pas comme une protection efficace contre la privation d’emplois. Puisqu’il existe une obligation de certification professionnelle pour l’encadrement des activités sportives, 93% des salarié.es du secteur ont une formation professionnelle reconnue. Pourtant, leur statut est très souvent précaire. Il pourrait le devenir plus encore si le gouvernement persiste à considérer ce secteur comme non-essentiel.
Un secteur en grand danger
Le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) a réalisé fin 2020 une enquête auprès de 44 000 clubs. En moyenne, la perte d’adhérent.es constatée avoisine 26 %, ce qui représente une perte de cotisations d’environ 260 millions d’euros. Certaines fédérations sportives ont déjà communiqué des chiffres pour l’année 2021. Ceux-ci sont particulièrement inquiétants.
La Fédération française de handball, par exemple, annonce une perte de 30 000 pratiquant.es en 2020, et 130 000 en 2021 ! Avec un âge moyen des licencié.es de 21 ans, c’est la jeunesse qui est la première victime de cette crise. Avec les conséquences économiques et psycho-sociales de la crise, il n’est pas certain qu’elle reviendra d’elle-même sur les terrains.
Les associations souffrent également de la perte des recettes de billetteries, de l’annulation de nombreux évènements auxquels elles participent, de la fin d’un certain nombre de partenariats publicitaires ou d’équipements. Ces recettes manquantes, qui vont déstabiliser un grand nombre de clubs, représentent environ 116 millions d’euros.
Une aide insuffisante et inadaptée
Considéré comme non-essentiel par le gouvernement, le secteur sportif associatif a largement dépendu des efforts des collectivités territoriales pour sa survie dans la crise sanitaire. Malgré l’interruption d’activité, 92 % des collectivités ont maintenu voire augmenté leur soutien financier pour la saison 2020-2021. 78 % d’entre elles ont même voté des dispositifs exceptionnels de soutien.
Du côté de l’État, le soutien n’est pas au rendez-vous. En premier lieu, le gouvernement, totalement perdu dans la gestion de la crise, a enchaîné les annonces incohérentes quant à la reprise de la pratique. Souvent, les clubs ont repris des activités, adaptées aux exigences gouvernementales, et arrêté quelques semaines plus tard suite à des consignes antithétiques. Aujourd’hui, le plan de reprise concerne différemment les sports collectifs ou individuels, avec ou sans contact, en extérieur ou en intérieur. La reprise s’échelonnera entre le 9 et le 30 juin, avec de véritables casse-têtes pour les associations, qui vont parfois pouvoir reprendre… mais sans avoir accès aux vestiaires !
Financièrement, le soutien est plus qu’insuffisant. Il aura fallu du temps avant que le gouvernement ne prenne conscience des risques. Ce n’est qu’en novembre 2020 qu’Emmanuel Macron a annoncé les mesures de soutien au secteur. Avant cette date, seules les quelques associations employeuses ont bénéficié de dispositifs de soutien (chômage partiel et fonds national de solidarité). Pour ces associations employeuses, le gouvernement parie encore sur la précarité des jeunes en annonçant 5 000 services civiques dans le secteur sportif. C’est donc en appelant les jeunes à accepter des emplois au rabais que le gouvernement compte affronter la crise.
En plus d’être tardive, la réponse du gouvernement est de très faible ampleur. E. Macron n’annonce que 15 millions d’euros supplémentaires en 2021 pour le fonds d’urgence de l’Agence nationale du Sport (ANS). Celle-ci avait versé 900 000€ de soutien aux fédérations les plus touchées en 2020. Une broutille qui représentait environ 0,3 % des pertes subies. L’État prévoit également la création d’un fonds de compensation pour amortir les pertes de ressources dues aux baisses de licencié.es, mais il s’agît d’un effet d’annonce, puisque les moyens de ce fonds seront pris sur ceux déjà débloqués pour l’ANS dans le cadre du plan de relance.
Avec le Pass’Sport, on continuera de faire chauffer la Visa !
Le Pass’Sport, doté d’un budget de 100 millions d’euros, est présenté comme la mesure phare du gouvernement. Ce pass devrait concerner 1,8 millions de jeunes entre 6 et 16 ans en permettant une réduction du coût de la licence entre 50 et 80€.
Ce pass présente de nombreuses faiblesses. Tout d’abord, il est loin de couvrir l’ensemble des coûts, non seulement de la licence, mais de l’équipement nécessaire à la pratique du sport. Deuxièmement, il met de côté l’ensemble des jeunes de plus de 16 ans, pourtant largement frappés par la crise, et plus éloignés de la solidarité familiale. Troisièmement, il se superpose à des dispositifs déjà existants dans de nombreuses collectivités, souvent de plus grande envergure.
Enfin, la ministre Maracineanu a annoncé que le dispositif ne serait mis en place qu’en septembre… alors que les campagnes d’adhésion des clubs commencent en juin, pour un début de la pratique en septembre ! Il est donc devenu le symbole de la déconnexion entre gouvernement et acteurs de terrain.
Un vrai plan de soutien au secteur nécessite d’affronter le capital
Depuis de très nombreuses années, les communistes dénoncent le manque d’investissement public dans le secteur sportif. Ils portent depuis longtemps la revendication du 1 % sport dans le budget de l’État. Aujourd’hui , le Ministère des Sports est doté de 710 millions d’euros de budget et la mission « Sport, jeunesse et vie associative » de 1,2 milliards. Soit 0,25 % du budget. Il s’agît donc de multiplier par 4, de manière immédiate, les ressources du ministère et des institutions qui concourent au financement public du sport. Il s’agit également de rompre avec les politiques de destruction d’emploi. Derrière sa communication, le gouvernement n’a pas moins supprimé 120 postes de conseillers techniques sportifs en 2021. Ces agents de l’État, mis à disposition des fédérations sportives, sont pourtant primordiaux pour affronter la crise.
De nombreux clubs sportifs s’inquiètent, non pas de la volonté, mais de la capacité financière de leurs adhérent.es à reprendre une licence. Pour beaucoup, ils ont appelé leur fédération à renouveler gratuitement les licences 2020 en 2021. Cette revendication mettrait cependant en danger les fédérations. Pourtant, l’accès au sport pour toutes et tous passe bien par une baisse du coût des licences. Pour que cela soit tenable pour les fédérations, il faudra affronter le capital et notamment les banques et assurances.
Toutes les fédérations sportives sont obligées de souscrire à une assurance couvrant l’ensemble des adhérent.es. Celle-ci couvre notamment les risques liés aux blessures lors des entraînements ou compétitions. Or, avec la suspension de l’activité, ces risques ont disparu. Il s’agit donc de demander, immédiatement, un remboursement des dépenses d’assurance aux fédérations. À plus long terme, un pôle public constitué par la nationalisation des grandes compagnies d’assurances devra assurer à plus faible coût ce secteur essentiel et d’utilité publique.
De la même manière, le gouvernement se contente aujourd’hui de garantir les prêts des fédérations sportives auprès des banques, sans toucher aux taux d’intérêts, donc aux profits des grandes banques. Un pôle public bancaire, constitué autour de la banque postale et de la nationalisation de la Société Générale et BNP Paribas, serait capable de financer à taux d’intérêt nul ou négatif (avec des annulations de dette) ce secteur.
En développant les moyens du service public et en affrontant le grand capital des banques et assurances, le sport associatif français pourrait affronter cette crise et développer son rôle social déjà immense.