En 1973, Salvador Allende, alors président du Chili, est renversé par un coup d’État militaire. Son programme socialiste a permis au pays de connaître, trois ans durant, de réelles avancées et réussites économiques et sociales.
Que reste-t-il aujourd’hui, dans le Chili et dans le monde, de cette expérience socialiste sur un continent gangrené par le capitalisme et l’impérialisme états-unien ? Retour sur l’héritage de la voie chilienne vers le socialisme.
Trois années de construction populaire et sociale
Le 11 septembre 1973, le Palais de la Monedad, à Santiago au Chili, est pris d’assaut par l’armée, conduite par le général Augusto Pinochet. Pris en otage dans son bureau, Salvador Allende diffuse alors un ultime message radiophonique aux citoyens chiliens, avant de mourir — assassiné ou en se suicidant, la question ne sera jamais officiellement élucidée.
Pendant les 3 années qui ont précédé ce putsch militaire, le programme de l’Unité Populaire (la Unidad Popular, coalition de différents partis de gauche allant de la gauche chrétienne aux communistes) a mené une réelle révolution dite “légale”, c’est-à-dire en utilisant et en transformant le fonctionnement de la société et de ses institutions.
Aussi, les nationalisations, notamment des mines de cuivre, dont le Chili est la première ressource mondiale, s’opèrent via un dédommagement des entreprises expropriées de leurs capitaux. Cependant, celles-ci étant majoritairement étrangères et ayant réalisé des profits incommensurables, le gouvernement d’Allende décide finalement que la compensation annoncée n’est pas justifiée et les congédie simplement du pays.
Cette décision aura un poids non négligeable dans la condamnation de l’Union Populaire par Richard Nixon, président des États-Unis.
Socialement, la gouvernance du “camarade-président” a permis de développer de manière drastique le taux d’alphabétisation et le nombre de logements sociaux dans le pays.
Dans le documentaire La Bataille du Chili, de Patricio Guzman, une Chilienne explique que grâce au gouvernement d’Allende, elle ne vit plus dans une “cahute” mais dans un logement décent et qu’elle et ses 4 enfants ont de quoi manger à leur faim ; un retraité témoigne qu’avant 1970, aucun gouvernement n’avait autant fait pour lui.
Un coup d’arrêt brutal
En effet, souvenons-nous que le Chili, comme la plupart des pays d’Amérique Latine au 20ᵉ siècle, était alors un pays en grave crise sociale et économique et dans lequel les inégalités étaient particulièrement profondes.
Le coup d’État du 11 septembre 1973 mit brutalement fin à l’expérience socialiste de l’Union Populaire pour laisser place à une dictature militaire de 17 longues années. La répression, les emprisonnements, les tortures, les disparitions et les exécutions furent systématisées. La violence physique et psychologique et la volonté d’effacer toutes traces de la société chilienne d’Allende, basée sur la justice et l’égalité, sévirent jusqu’en 1990.
La communauté internationale faisant pression sur le général Pinochet pour répondre à des exigences de démocratie et de respect des droits humains, celui-ci proposa un référendum aux Chiliens, afin qu’ils puissent exprimer leur volonté — ou non — de le voir se maintenir au pouvoir. Sans surprise, le peuple chilien décide de l’éviction du dictateur et d’une transition démocratique.
Quand dictature et libéralisme se marient
En 17 ans, Pinochet a remis à nouveau le pays aux mains des capitalistes, notamment grâce aux actions des célèbres Chicagos Boys, des économistes chiliens ayant étudié les principes du libéralisme aux États-Unis. Aujourd’hui, la majorité des établissements scolaires et des universités restent privées et mènent une véritable politique discriminatoire auprès des élèves et des étudiants chiliens.
Après 1990, une coalition de différents partis, allant du centre à la social-démocratie, se réunit au sein de la Concertation des pays pour la démocratie (la Concertación). Les quatre présidents et présidentes qui suivent en sont issus. Un “apaisement” de la société et une démarche dite progressiste sont alors mis en place.
Quelques mesures visant à condamner la dictature voient le jour, comme le musée de la Mémoire et des droits de l’Homme, à Santiago. Pourtant, celui-ci est considéré pour beaucoup comme omettant une très large partie de l’Histoire, en représentant la dictature comme un clivage entre “méchants militaires” et “gentil peuple chilien”, sans considérer les collaborations, internes et externes au pays, mais aussi et surtout sans intégrer le contexte des années de l’Union Populaire et la destruction que la dictature en a fait.
À la recherche de la rupture
De la même manière, la critique majeure qui est faite aux gouvernements successifs est l’insuffisant changement qui est opéré ; par exemple, la constitution, changée par Augusto Pinochet en 1980, ne subit que quelques modifications légères.
Du fait de cette “légèreté”, la crise sociale et économique frappe le Chili, qui se traduit par de fortes mobilisations dans les années 2000 et 2010 pour lutter contre le coût de la vie. Ces manifestations massives et populaires et leur répression par les forces armées reflètent les manquements des gouvernements qui ont suivi au retour de la démocratie. Ceux-ci n’ayant pas relevé le défi de la fin des injustices financières et sociales.
Ainsi, malgré un semblant de volonté de remettre les droits humains en vigueur dans le pays, la Concertation compte encore beaucoup d’oubliés. Parmi eux, les droits des Amérindiens, qui restent encore bafoués et peu ou pas reconnus ; comme beaucoup d’autochtones, ces populations ont notamment été spoliées de leurs terres, sans perspective de retour ou de compensation, et restent parmi les grands exploités de la société, les marginaux au sein même des classes populaires.
La reconnaissance de leurs droits, comme ceux d’autres minorités, des femmes, des personnes LGBT et handicapées, fut d’ailleurs un des leviers de la campagne de l’actuel président, Gabriel Boric, élu en mars 2022, anciennement engagé dans les mobilisations étudiantes qui réclamaient un changement du système éducatif au Chili. Dès le début du mandat, une assemblée constituante rédigea une proposition de nouvelle constitution pour le pays ; constitution qui fut rejetée à plus de 61 %.
Un chemin est tracé, mais reste sinueux
Entre les diverses causes plausibles de cet échec : les pinochetistes demeurant au gouvernement et ayant tout tenté pour bloquer les propositions de l’assemblée constituante et certaines régions, notamment au sud, dont les terres sont revendiquées par les indigènes.
En novembre dernier, les jeunes communistes chiliens nous accordaient un entretien et nous expliquaient que l’hégémonie capitaliste sur les médias, qui a accompagné la campagne de délégitimation du processus constitutionnel, et la crise économique, incombée directement au gouvernement, ont aussi favorisé ce rejet massif.
À la suite de cet échec, une nouvelle assemblée constituante est votée, et la grande majorité la composant est représentée par les partis de droite, profondément opposés à l’écriture d’une nouvelle constitution. Celle-ci sera votée en novembre prochain.
Le 11 septembre 2023 commémorait ainsi les 50 ans de la fin de l’expérience socialiste d’Allende et de l’UP, à l’heure où la volonté de s’attaquer aux fondements de la société voulue par Allende se voit se faire barrer la route par les mêmes intérêts capitalistes qui ont récupéré le pouvoir de manière autoritaire en 1973.
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