Travailler gratuitement pour sortir du chômage ? La pilule ne passe pas !

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Travailler gratuitement pour sortir du chômage ? La pilule ne passe pas !

Face à la montée de l’extrême pauvreté de la jeunesse, Macron nous propose d’élargir le dispositif de la garantie jeune. Derrière le slogan accrocheur « un jeune = une solution » se cache pourtant des dispositifs de mise au travail gratuit des 18 -25 ans

« Ça m’a sorti de la rue » témoigne Quentin au journal Le Parisien, « il y a eu un déclic en moi, donc je me suis lancé » ajoute Nelson au micro de RTL. La solution au chômage et à la précarité des 18 – 25 ans semble alors toute trouvée : la Garantie Jeune deviendra bientôt « universelle » annonce l’exécutif !

Une mise au travail… au service d’une recherche d’emploi

Aux problèmes anciens, solutions anciennes. La crise du coronavirus a révélé l’intensité de la précarité d’une jeunesse condamnée aux sous-emplois, écrasée par le coût de la vie étudiante. Pourtant, la « Garantie Jeune » est loin d’être une idée nouvelle. Depuis plusieurs dizaines d’années les Missions Locales accompagnent vers l’emploi les jeunes de moins de 25 ans sans contrat de travail ni formation. Initialement pensée pour sortir du gouffre des jeunes en situation d’extrême pauvreté, la Garantie Jeune devient à présent le système miracle censé répondre aux revendications d’une tranche d’âge touchée en plein fouet par la pandémie. Pourtant, derrière ce que le gouvernement présente comme « un plan de relance » en direction de la jeunesse, se cache de nouvelles formes de mise au travail en deçà de tous droits salariaux.

La Garantie Jeune, qu’est-ce que c’est ? Un engagement entre un jeune de moins de 25 ans sans emploi ni formation et la Mission Locale, une structure associative qui accompagne vers l’emploi des jeunes souvent en situation de chômage longue durée. Aujourd’hui, cet engagement permet d’accéder à une aide mensuelle de 497 euros. Pour conserver cette aide le jeune doit tenir un certain nombre d’objectifs fixés entre lui et son conseiller en Mission Locale : se rendre à des ateliers de réalisation de CV, suivre une formation, postuler à des offres d’emploi, se construire une expérience dans le monde de l’entreprise…

Mais comment se construire une expérience en entreprise lorsque l’on est en situation de chômage ? La phrase publiée dans la vidéo de présentation du dispositif sur travail-emploi.gouv.fr laisse songeuse : « multiplier les expériences en entreprise pour trouver un emploi ». À 25 ans, on a passé l’âge des stages d’observation, ce dont il s’agit ici c’est bien de travailler…pour obtenir du travail.

Lorsque le travail gratuit se substitue au salariat 

Mais comment en est-on arrivé là ?  Voilà quelques années déjà que le détricotage du droit du travail et la multiplication de statuts d’emplois masqués ont rendu possible ce fabuleux tour de passe-passe. Volontariat International en Entreprise (VIE), Service Civique, Corps Européen de Solidarité et surtout Période de mise en situation en milieu professionnelle (PMSMP), définie aux articles L-5135-1 à 5135-8 du Code du Travail. Elles constituent une « période de découverte et de confirmation d’un projet professionnel ou de recrutement » et peuvent être « prescrites » dans le cadre « d’un contrat d’accompagnement dans l’emploi » tant qu’elles ne constituent pas plus de 25% de la durée totale dudit contrat. La pilule qu’essaye de nous faire avaler le gouvernement ne passe pas : travailler gratuitement sous prétexte de lutte contre le chômage en échange d’une aide publique encore inférieure à tous les minimas sociaux.

Plusieurs décennies de néolibéralisme ont creusé le gouffre de plus en plus dense entre emploi et formation, additionnant les statuts de sous-emplois supposés accompagner et former les jeunes vers le monde du travail. Ce que la sociologue Maud Simonet nomme « travail gratuit » devient aujourd’hui un passage obligé de la jeunesse avant l’accès à un emploi stable. Depuis le stage universitaire nécessaire à l’obtention de nombreux diplômes jusqu’au service civique, passage obligé pour intégrer des secteurs associatifs ou culturels à bout de souffle, se multiplient des statuts se substituant à de véritables emplois salariés. 

Un travail dissimulé… qui conditionne les aides sociales des 18-25 ans

Et vers où va-t-on ? La multiplication de ces statuts offre d’abord une main d’œuvre quasiment gratuite pour le secteur privé comme public. La rémunération qui leur est associée est infiniment plus faible que le salaire minimal et le plus souvent majoritairement versée par les pouvoirs publics. L’Etat est ainsi amené à maintenir sous perfusion des secteurs exsangues en leur finançant une main d’œuvre à bas coût, voire à sous payer des jeunes en situation de grande précarité afin qu’ils puissent travailler quelques semaines au sein de grandes entreprises privées. 

Sous prétexte de sortir hors de l’eau la tête de jeunes chômeurs, la Garantie Jeune et les dispositifs d’accompagnement vers l’emploi permettent aujourd’hui leur exploitation à un niveau inconnu des sphères du salariat. Le néolibéralisme nous montre ici son véritable visage, celui d’un retour vers une exploitation de la survaleur absolue : on augmente la valeur dégagée du travail par le patronat en réduisant drastiquement la paie. Pour reprendre les expressions du camp du Capital le travail ne « coûte » ici plus rien. 

Du côté de l’Etat bourgeois ces dispositifs permettent de contourner le caractère inconditionnel de l’aide sociale, pourtant réaffirmé par le tribunal administratif de Strasbourg en octobre 2016 : il est interdit en France de conditionner une aide sociale à un des formes de travail, fussent-elles bénévoles. Face à une population jeune en situation d’extrême pauvreté n’ayant pas droit au Revenu de Solidarité Active (RSA), on développe un système de workfare qui ne dit pas son nom. L’aide sociale de la garantie jeune est ici conditionnée d’abord à ce que les sociologues du travail nomment « auto activation », c’est-à-dire à la performance d’une recherche d’emploi et à la mise en disponibilité de soi dans les institutions de cette recherche, ensuite à des formes de travail bénévole, associée à l’insertion professionnelle ou la formation. 

Alors que faire ? L’extension d’une Garantie Jeune « universelle » est ici bien plus qu’un simple cache misère mais bien le nouveau jalon d’une mise au travail gratuite des jeunes précaires. Il ne s’agit pas ici de s’attaquer au travail associatif d’accompagnement vers l’emploi mais bien de lui donner les outils nécessaires à sa réussite : la fin des emplois dissimulés pour tous les jeunes qui n’ont pas attendu de signer leur premier contrat pour travailler.


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