Applaudis tous les soirs pour leur rôle en première ligne face à l’épidémie de Covid-19, les soignants racontent leur quotidien. Le prénom utilisé est un pseudonyme.
Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Hugo, je suis étudiant infirmier en première année dans un IFSI (institut de formation en soins infirmiers) rattaché à un hôpital de l’APHP de la région parisienne. Je suis militant au MJCF depuis une dizaine d’années.
Qu’a changé la pandémie du covid dans ta formation ?
J’ai été réquisitionné comme beaucoup de mes camarades de promotion, de mon école, toute année confondue et comme bon nombre d’étudiant·e·s en soin infirmiers de l’Île-de-France.
Les réquisitions ont commencé au mois de mars, nos formateurs nous plaçaient dans différentes structures et dans différents services (hôpital, EHPAD, service covid, réa, urgence, etc.). Cela s’est passé extrêmement vite et avec très peu d’informations.
Cette réquisition s’est-elle faite sur la base du volontariat ?
Non. La réquisition en clair, pour moi, s’est passée comme ça : « Allô, vous êtes affecté aux services brancardages de l’hôpital X, de nuit (21h-7h). Rendez-vous à 9h demain à l’hôpital pour la formation Covid et rencontrer vos équipes, est-ce que tu es disponible dès cette après-midi, car on risque d’avoir besoin de toi ? »”
L’école nous a envoyé un mail en nous disant que toute personne qui n’honorait pas sa réquisition ou qui ne se manifestait pas verrait sa première année invalidée. Bon nombre de mes camarades de promotion, un peu plus d’une dizaine, ont été touchés par le virus pendant leurs réquisitions, ils ont été testés positifs au Covid 19.
Cela fait un peu plus d’un mois que nous sommes réquisitionné·e·s. Je travaille 50h par semaine. Au début ça a été très dur psychologiquement, car on se prend tout dans la figure sans réelle formation. On nous a dit qu’en tant qu’étudiants de 1re année nous ne serions pas au contact de patients Covid. J’ai pourtant passé toutes mes nuits à brancarder des patients Covid. Nous travaillons avec les urgences, donc avec tous les patients qui rentrent à l’hôpital, la majorité des patients viennent donc pour des suspicions de Covid.
Comment vis-tu cette situation ?
Heureusement, ou malheureusement, on s’habitue à ces rythmes. Au début c’était très dur, voire littéralement étouffant. Il m’est arrivé d’en faire des cauchemars, comme beaucoup de mes camarades. Voir des patients en détresse respiratoire, les yeux pleins d’angoisse, très durement touchés par la maladie, voire condamnés… Les conditions des familles qui ne peuvent pas venir voir leurs proches, qui ont très peu d’informations et qui parfois risquent de ne plus jamais les revoir… L’ambiance morbide qui plane… Nous dois brancarder les patients décédés jusqu’à la morgue et nous avons un rythme de deux décès par nuit en moyenne. Tout ça est très pénible et très lourd à porter, nous sommes « habitués » à voir des décès, cela fait partie du métier et de la vie, mais à ce rythme-là c’est très difficile, pour nous, étudiant·e·s, mais aussi pour nos collègues de l’hôpital qui ont beaucoup d’années de pratique.
Nous avons l’impression de tout sacrifier. Je suis logé dans un hébergement financé par l’AP-HP pour préserver ma famille de ce virus, je ne les vois que très rarement, je sacrifie ma santé, nos partiels vont avoir lieu. Je dois donc en plus de ma réquisition de nuit travailler tous mes cours du 2e semestre sur internet.
À cela s’ajoute le manque de matériel.
Peux-tu détailler les difficultés rencontrées concernant le matériel ?
Dans mon service nous n’avons pas de stocks, nous sommes obligés d’aller de service en service pour trouver des tenues, des surblouses, des charlottes. Nous vivons au jour le jour, avec du matériel qui change en permanence de provenance, de qualité et en nombre. Je dois garder le même matériel toute la nuit… Ce qui est scandaleux du point de vue de l’hygiène pour les patients, mais aussi pour nous. Garder une surblouse ou une charlotte contaminée toute la nuit ce n’est pas normal dans un hôpital public et en France. L’hôpital refuse de me fournir des masques FFP2, seule garantie d’une bonne protection. Les autres services en ont peu et gardent leur stock. Je travaille avec des patients Covid avérés avec un simple masque chirurgical qui est une vraie passoire face au virus. Durant la dernière nuit que j’ai faite, j’ai mis une demi-heure à trouver une surblouse pour brancarder un patient qui m’attendait, on m’a même proposé de prendre une surblouse déjà utilisée par un collègue.
Des primes sont promises aux soignant·e·s mobilisé·e·s, qu’en est-il pour vous, étudiant·e·s ?
Nous n’aurons pas le droit à la fameuse prime d’exposition au covid ni à des primes de nuit, de dimanche, etc. Les indemnités restent très floues et on ne sait pas sur quoi elles se basent. Nous sommes considérés comme étudiants en stage. Je rappelle au passage qu’un étudiant de première année en stage est payé 28€ la semaine de 35h, ce qui fait à peu près 0,8 centime de l’heure.
Quel est réellement notre statut ? Il faudrait que nous ayons un statut clair, avec un contrat clair et une rémunération claire et ça pour tout étudiant réquisitionné, quel que soit le service.
As-tu une dernière chose à nous dire ?
Ce système et ces gouvernements ont participé à la « chosification » de l’être humain dans tous les domaines. À l’hôpital, on ne comprend pas comment ça peut se passer comme ça. La gestion, l’organisation et la prévention sont désastreuses. Pourtant encore l’hiver dernier le personnel hospitalier est sorti une énième fois dans la rue pour se faire entendre, pour protéger le personnel, pour protéger l’hôpital public, mais aussi pour protéger les patients. Sans réponse.
Malgré tout cela, nous serons là ! Aux côtés de nos collègues de l’AP-HP, aux côtés des patients, aux côtés des familles en détresse ! Nous sommes tous engagé·e·s dans ce que nous faisons, nous donnons et nous donnerons tout ! Il n’y a pas de plus petit ou de plus grands, c’est bien grâce à tout le monde que cela fonctionne : grâce aux travailleurs qui font fonctionner le pays sans relâche, grâce à vous qui êtes pour la plupart confiné·e·s. C’est un travail d’équipe et j’espère que tout le monde aura conscience de la dimension collective de ce travail ! L’individuel n’est rien sans le collectif. Notre engament politique nous aide à ne jamais subir, mais à se battre ! Certes c’est une crise sanitaire, mais derrière tout ça se cache une crise politique. Comme le dit Christophe Prudhomme, médecin urgentiste de Seine–Saint-Denis et secrétaire de la CGT santé, nous fonctionnons comme un pays du tiers-monde.
Demain ils auront des comptes à rendre… Nous serons là !