À la fête de l’Humanité, entre une insanité sur les communistes qui l’accueillaient et l’expression de son mépris pour la lutte des journalistes du Journal du dimanche, Jean-Luc Mélenchon a gratifié le public de son point de vue sur l’organisation de la lutte syndicale contre la réforme des retraites. Il s’en est violemment pris à la CGT, jusqu’à sous-entendre que les désaccords avec la FI expliquaient le changement d’orientation intervenu au dernier congrès confédéral.
Sophie Binet n’a manifestement pas mesuré à sa juste valeur l’expertise de l’ancien sénateur maastrichtien dans la construction d’une grève gagnante et l’a sèchement recadré dans une lettre dénonçant “l’absence totale de respect de l’indépendance des organisations syndicales”.
Construire la grève ou randonner le dimanche ?
Le 21 janvier 2023, dès le début de la mobilisation, la France Insoumise, sous le faux nez de différentes organisations de jeunesse, organise une randonnée dominicale pour protester contre la réforme des retraites. Cette sortie regroupe 12 000 personnes selon la police, 150 000 selon la FI, soit 15 à 100 fois moins que la journée de grève et de manifestation du jeudi 19 janvier estimée à 1,1M par la police et plus de 2M par l’intersyndicale. L’organisation de cette marche tombe dans le double écueil de donner une image groupusculaire à une contestation pourtant massive dans la population, et à diffuser un discours de désarmement des travailleurs, à l’heure où leurs organisations syndicales tentent de mettre en œuvre l’outil le plus efficace de la classe travailleuse : la grève.
C’est bien ce que lui reproche Sophie Binet qui écrit “si, comme vous l’aviez souhaité, nous avions appelé pour lancer la mobilisation contre la réforme des retraites à une manifestation un dimanche aux côtés des organisations politiques, rien de ce qui a fait la force de la mobilisation historique que nous avons construite n’aurait existé : ni l’intersyndicale, ni l’ancrage territorial, li la grève, ni le rassemblement très large du monde du travail autour d’un mot d’ordre clair et syndical”.
A-miens que… ?
Dans un retournement de la réalité aussi audacieux qu’inattendu, voici, aux Amphis et à l’Agora de l’Humanité, que le randonneur se change en chantre de la grève générale. Accusé de vouloir contourner les syndicats, ou leur forcer la main, Jean-Luc Mélenchon se défend. Il voulait seulement leur faire appliquer la Charte d’Amiens jusqu’au bout, dit-il, en les poussant à la grève générale. S’ensuit une charge contre les bureaucraties syndicales qui auraient empêché la grève générale alors que le peuple y était prêt ; une envolée digne de ses amours trotskistes de jeunesse.
En janvier, la grève était trop dure à construire, il fallait (se) défiler le dimanche, en août, les syndicats sont coupables de ne pas avoir appelé à la grève générale.
D’ailleurs, si les Insoumis ont refusé de retirer leurs amendements pour aller au vote à l’Assemblée sur le report de l’âge légal à 64 ans, c’est parce qu’ils voulaient donner le temps à la lutte des travailleurs de s’inscrire dans la durée. Et qu’importe ce qu’en disaient les organisations syndicales, dont on se demande par conséquent quel est le rôle que leur accorde la FI dans la construction de la lutte.
En bref, seuls et contre tous, les Insoumis, suivis par personne, avaient la solution. La preuve qu’ils avaient raison, c’est qu’on a perdu. Argument fatal usité par les parleurs contre les faiseurs.
En manque de congrès, la FI réécrit celui de la CGT
Voilà que Mélenchon aurait gagné un congrès. On le croyait pourtant immunisé, lui qui depuis sa défaite cuisante face à Hollande pour le premier secrétariat du PS, a systématiquement refusé toute instance démocratique dans les différents partis qu’il a créé, changeant de noms et de projets avec la régularité d’un consultant marketing.
Mélenchon aurait donc gagné le congrès confédéral de la CGT. À l’Agora de l’Humanité comme aux Amphis, le septuagénaire a ainsi estimé que sa mauvaise relation notoire avec Philippe Martinez avait entraîné le rejet de l’orientation proposée par la direction sortante. Il ajoute, au cas où le message ne serait pas passé, que la CGT est “sans doute le syndicat où il y a le plus d’insoumis au mètre carré”. Si 600 000 militant-es ayant conduit une lutte acharnée ont abouti à une orientation nouvelle au terme d’heures de discussion, c’est parce que la direction sortante n’avait pas entendu l’appel à la grève générale et dominicale de Jean-Luc Mélenchon.
Là aussi, Sophie Binet recadre la France Insoumise : “La CGT ne permet à aucune organisation politique de s’ingérer dans le déroulement et le résultat de ses congrès. (…) Laisser entendre que le résultat du 53ᵉ Congrès de la CGT pourrait être le résultat d’une stratégie de la France Insoumise est mensonger et insultant pour les délégué-e-s, les syndiqué-e-s, et les organisations de la CGT qui ne laissent personne d’autre que les travailleuses et les travailleurs leur dicter leur ligne de conduite.”