L’opération de rapprochement entre Alstom et Siemens a été approuvée Mardi 26 Septembre 2017 par les conseils d’administration respectifs des entreprises et officialisée dans la soirée.
Les dirigeants d’Alstom et de Siemens ainsi que les gouvernements français et allemand tenteront d’assurer le service après-vente pour défendre leur projet de mariage dans le domaine ferroviaire. En effet ce « mariage entre égaux » comme aiment à le présenter les pouvoirs publics français soulève de nombreuses questions et inquiétudes.
Alstom, un fleuron sacrifié de longue date sur l’autel du profit
Des années 60 à 80, Alsthom figurait parmi les pépites d’un grand groupe industriel : la Compagnie Générale d’Electricité (CGE), dirigée durant douze ans par Ambroise Roux, figure emblématique du capitalisme français. L’entreprise dépend à cette période principalement de la commande de grands groupes publics (RATP, SNCF ou EDF). C’est durant cette période, qu’Alsthom ajoute la construction navale à sa palette de métiers en rachetant, en 1976, les chantiers de l’Atlantique de St-Nazaire.
En 1982, la CGE est nationalisée et Ambroise Roux démissionne. Cinq ans plus tard un nouveau changement de cap est impulsé avec sa privatisation par le gouvernement Chirac, avant de prendre, en 1991, le nom d’Alcatel-Alsthom. Un double patronyme pour deux familles de métier très différentes, l’un dans les télécoms l’autre dans l’industrie.
En 1998, les manœuvres financières visent à la séparation des activités pour mieux valoriser les opérateurs à un seul métier, ce que certains assimilent à un démantèlement progressif. La direction entreprend donc de séparer les deux entités en introduisant Alstom en Bourse. Mais surtout, Alcatel et le Britannique GEC, tous deux actionnaires d’Alstom, siphonnent 1,2 milliard de francs dans sa trésorerie. Le français se retrouve donc plus fragile et sous-capitalisé.
Les difficultés s’amplifient lorsqu’Alstom s’aventure, au côté du suédois ABB, dans une coentreprise de turbines de nouvelle génération. L’affaire lui coûte 1,6 milliard d’euros. Et comme si une décision catastrophique ne suffisait pas, Alstom poursuit : la même année, le groupe vend à General Electric son activité de turbines à gaz de Belfort. Celle-là même qui cartonne aujourd’hui au sein du groupe américain… Les difficultés se poursuivent ensuite du côté des chantiers navals avec les attentats du 11 septembre 2001 qui tétanisent le marché des paquebots de croisière.
En 2003, Alstom, qui compte alors 118 000 salariés, est au bord du dépôt de bilan. Ses dettes atteignent 5 milliards d’euros, pour 900 millions seulement de fonds propres. L’Etat souhaite éviter que l’entreprise ne prenne le chemin du tribunal de commerce et convainc les banques d’apporter 2,5 milliards d’euros d’argent frais, tandis que Bercy lui-même se fend d’un chèque de 800 millions d’euros. En échange, Bruxelles exige qu’Alstom cède, en 2006, les chantiers navals de l’Atlantique.
Une nouvelle estocade vient en 2014, avec la vente des activités de construction de turbines électriques à l’américain General Electric. Depuis l’emblématique usine de turbines hydrauliques de Grenoble se mobilise contre la suppression de 345 postes décidée cet été par l’américain. Rappelons d’ailleurs que lors du rachat de la branche énergie du fleuron français, en 2015, des deux côtés de l’Atlantique, il était promis de créer 1 000 emplois nets dans l’Hexagone d’ici à 2018…
Une prise de contrôle plutôt qu’un « Mariage entre égaux »
Après les divers épisodes de vente à la découpe d’Alstom ces dernières années, l’entreprise allemande prend dans les faits le contrôle du nouvel ensemble. Certes, le groupe sera coté en France avec son siège installé en région parisienne tandis que la direction du groupe sera assurée par le PDG d’Alstom Henri Poupart-Lafarge. Cependant Siemens détiendra 50% du capital de la nouvelle entité dans un premier temps et l’accord prévoit que cette participation pourra monter au-delà de 50,5% du capital au bout de quatre ans.
Siemens contrôlera par ailleurs le conseil d’administration dans la mesure où, sur les 11 membres qui composeront le conseil de l’entreprise combinée, six seront désignés par Siemens, et notamment le Président. Le nom de cette nouvelle entité sera Siemens Alstom.
L’Etat français, en revanche, n’y siègera pas. Il est actuellement actionnaire d’Alstom via des actions prêtées par Bouygues et “confirme mettre fin au prêt de titres (…) au plus tard le 17 octobre 2017 et n’exercera pas les options d’achat”. Bruno Le Maire rappelant aujourd’hui que
“l’Etat n’a pas vocation à être assis sur un strapontin.”
Pas de strapontin donc et pas de siège du tout autour de la table du conseil d’administration in fine.
Un rapprochement pour contrer la concurrence chinoise ?
Cette manœuvre capitalistique trouve sa justification pour les dirigeants des deux groupes par une concurrence renforcée, notamment chinoise.
En effet, avec un chiffre d’affaires de 28 milliards d’euros en 2016, soit presque deux fois plus que le nouvel ensemble Siemens-Alstom, plus de 180 000 employés, 46 filiales et des produits vendus dans 102 pays, la China Railway Rolling Stock Corporation (CRRC) affiche un appétit vorace et des chiffres à donner le tournis.
Rien d’étonnant, car la CRRC est devenue le plus grand fabricant au monde d’équipements ferroviaires (wagons de métro et de trains, TGV, locomotives etc). Cependant, si l’on regarde les chiffres, on s’aperçoit que l’entreprise n’a pas remporté les méga-contrats attendus et que des accusations de dumping se font jour. En effet, si les projets internationaux de la CRRC se multiplient (+40% en valeur en 2016) ils ne représentent toutefois que 3% des nouvelles commandes, le reste étant absorbé par la Chine.
Les pouvoirs publics, face à cette concurrence réelle ont donc vanté la création d’un nouvel Airbus du ferroviaire et l’atteinte d’une « masse critique » selon le jargon libéral sans cesse rabâché.
Cela ressemble cependant plus à une capitulation de la France qui affaiblit son potentiel industriel. En réalité, ce projet n’a rien à voir avec le groupement Airbus industrie du secteur aéronautique, dans lequel trois pays – la France, l’Allemagne et l’Espagne –, ont chacun investi dans le capital. Ici, il n’y aura aucune participation publique et les actionnaires allemands seront seuls aux commandes.
« On est donc loin d’un accord européen équilibré, au service de l’emploi et de l’industrie »
comme le déclarait dans un communiqué Fabien Roussel, député du Nord qui réclame également la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire sur la vente et les négociations en cours et passées.
A l’inverse il exige
« que l’Etat intervienne pour empêcher cette casse de notre outil industriel. La France doit prendre toute sa part dans la constitution d’un véritable Airbus du rail, aux côtés d’autres pays de l’Union Européenne. L’opportunité existe avec les options d’achat dont dispose l’Etat sur les actions détenues par Bouygues dans le capital d’Alstom (…). Il y a trop d’enjeux pour l’avenir de notre filière ferroviaire pour que la France laisse faire une telle opération. Il faudra pour cela la mobilisation de tous, salariés et élus locaux, pour empêcher le carnage qui se profile. »
Cette inquiétude est partagée par les salariés qui déclarent par la voie d’un représentant de la CFE-CGC, premier syndicat d’Alstom :
“être inquiet car on est en choc frontal avec Siemens sur toutes nos activités : très grande vitesse, signalisation, trains régionaux, métros, tramways (…) il y aura malheureusement de la casse sociale à moyen terme, c’est incontournable”
Plus alarmiste, le représentant CGT (deuxième syndicat chez Alstom), Daniel Dreger, se dit :
«Très très inquiet. Dans une fusion, il y a toujours un gagnant et un perdant.[Il souhaite que Siemens]n’ait pas 51%[et que l’État] prenne les actions [NDLR : actuellement prêtées par Bouygues, soit 20% du capital d’Alstom]La presse allemande parle de 4 ans de maintien de l’emploi en Allemagne et en France [..] les garanties, c’est vite changé. Siemens sera là pour gagner de l’argent […] [Siemens a] encore annoncé des licenciements en Europe».
En mai dernier, l’industriel allemand Siemens, en pleine réorganisation depuis plusieurs années, avait en effet annoncé la suppression d’environ 1700 emplois en Allemagne dans les années à venir.
Face aux grandes manœuvres du capital, construire une réponse globale
Avec cette fusion entre Siemens et Alstom c’est bien toute la stratégie des manœuvres capitalistiques de rapprochements de grands groupes qui se trouvent questionnées. Au vu des choix des actionnaires, comme de l’Etat ces dernières années qui ont amené à des suppressions massives d’emplois malgré les engagements, force est de constater que seule la logique financière et court-termiste domine.
L’excellent rapport sur la situation de l’industrie ferroviaire française présidé par Alain Bocquet relevait d’ailleurs de façon argumentée les périls que ces stratégies purement financières faisaient peser sur l’ensemble du secteur. Était ainsi proposé d’inciter la SNCF et ses principales filiales à établir une claire définition de leur stratégie et de leur politique d’investissement, à l’inverse de la situation actuelle qui conduit à des creux de charge et à une non anticipation des besoins et défis à venir.
Nous le voyons, dans ces « deals » présentés ici comme des « mariages » là comme des « rapprochements mutuellement bénéfiques », la question de la participation des salariés aux choix stratégiques n’est jamais posée. Le sujet clef de la satisfaction des besoins des populations comme de leur souveraineté sur les moyens de production stratégique est lui aussi savamment éludée.
Dans la course à la constitution d’oligopoles toujours plus puissants, déconnectés de quelconque contrôle démocratique c’est systématiquement les salariés, les usagers et les territoires qui se trouvent sacrifiés sur l’autel d’une compétition et d’une rentabilité acharnée.
Face à cet état de fait, toutes les forces disponibles doivent s’agréger pour faire valoir un contre-projet industriel consolidé et crédibilisé en opposition franche à l’absence de politique industrielle de l’Etat Français. Comment d’ailleurs oublier le scandale du CICE et de ces milliards envolés pour grossir les marges de quelques groupes et qui n’a bénéficié qu’à la marge (20%) au secteur industriel alors qu’il était sois disant la cible visée ?
Celui-ci, en s’appuyant sur les revendications et propositions des organisations syndicales et politiques de progrès, pourrait promouvoir le contrôle, l’organisation et la planification démocratique de la production pour satisfaire les besoins, dans un contexte de crise écologique et sociale toujours plus prégnant. En ayant à cœur de défendre la constitution de filières d’avenir et de réelles coopérations arrachées des logiques de compétition des grands groupes transnationaux.
Au-delà, d’une simple question cocardière et de la nationalité des capitalistes aux commandes se pose donc le réel enjeu de la conquête de nouveaux pouvoirs pour les salariés et du projet industriel que nous voulons pour notre Pays. Oui, un autre scénario existe que celui du « mariage » qui se conclurait en « noces funèbres » !