Depuis le 17 novembre 2018, la mobilisation des gilets jaunes anime la vie politique française. Après plus de 5 mois de mobilisation, il nous semble important de faire un état des lieux de la répression effrayante qu’a pu déployer le gouvernement à l’encontre des GJ et de leurs soutiens.
Pour ce faire, il nous semble primordial de faire un focus sur les armes utilisées pour le maintien de l’ordre public, de faire un bilan des blessés pendant la mobilisation et aussi de résumer le processus d’adoption de la loi « anti-casseurs » qui est un bel exemple des différentes facettes que peut prendre la répression.
L’arsenal de la police
Les armes à main (tonfas, matraques, taser, gazeuses)
Le « bâton » classique a été remplacé par des bâtons de défense (tonfas), puis, plus récemment, certains corps de police (BAC, forces anti-émeutes) se sont équipés de matraques télescopiques plus facilement dissimulables.
Les gazeuses à main peuvent être utilisées par les forces de l’ordre pour disperser une foule à courte portée. Elles contiennent en général du gaz CS (2-chlorobenzylidène malonitrille) qui est aussi présent dans les grenades lacrymogènes tirées depuis des lanceurs de grenades.
Le TAZER X26 est un pistolet à impulsion électronique utilisées par les forces de police françaises depuis 2004. Il propulse deux électrodes reliées à deux filins isolés à une vitesse de 50 m/s qui libèrent à l’impact une forte décharge électrique bloquant le système nerveux. Cette arme est énormément critiquée, elle a causé plus de 500 décès aux USA entre 2001 et 2012.
Flashball et LBD 40
Depuis 1995, les forces de l’ordre peuvent utiliser une arme « non-létale » qui propulse des balles de caoutchouc de 44 mm à grande vitesse : le flashball. L’utilisation de cette arme a été généralisée par Nicolas Sarkozy entre 2002 et 2005 qui en a fait une distribution massive. Les flashballs ont cependant vocation à être tous remplacés par des lanceurs de balles de défense (LBD) qui sont plus précis et ont une plus grande portée. Ils propulsent des projectiles de caoutchouc combinés à du plastique dur de calibre 40 mm à une vitesse de 92 m/s. Cette arme a causé un nombre important de mutilations diverses (yeux, mâchoire, fracture boite crânienne) ainsi que des décès (Mustapha Ziani décédé d’un tir de flashball au thorax).
Les grenades et les lanceurs
Deux types de lanceurs de grenades différents sont utilisés par la police française, le lanceur « chouka » qui a une portée maximale de 100m et le lanceur « cougar » qui a une portée maximum de 200m. Un 3ème type de lanceur a été aperçu à plusieurs reprises dans les manifestations, il s’agit du lance-grenades multiples PGL65-40, une arme qui peut tirer des lacrymogènes mais qui peut aussi se transformer en LBD à répétition en changeant les projectiles. Contrairement aux deux autres lanceurs, il est prévu pour le tir tendu et non le tir en cloche ce qui augmente encore sa dangerosité potentielle.
Les grenades sont divisées en plusieurs catégories, les grenades lacrymogènes dites classiques (PLMP 7C et CM6 et MP7) qui sont tirées en cloche depuis les lanceurs (ou lancées à la main) et qui se divisent en l’air pour libérer des capsules actives de poudre CS (les palets de lacrymo). Il existe aussi les grenades lacrymogènes à effet sonore, les fameuses grenades lacrymogènes instantanées (GLI F4) qui produisent une forte détonation et libèrent un nuage de gaz CS. Ces grenades contiennent 25g de Tolite (dérivé du TNT) et sont responsables du décès de Rémi Fraisse en 2014. Pour finir, les forces de l’ordre utilisent depuis 2004 des grenades de désencerclement qui explosent en projetant des projectiles en caoutchouc ainsi que des éclats métalliques. Elles ont également causé de nombreuses blessures depuis leur introduction dans l’arsenal répressif par Nicolas Sarkozy.
Bilan des blessés durant la mobilisation
Depuis le 17 novembre, le ministère de l’intérieur recense 2200 blessés chez les manifestants et 1500 côté des forces de l’ordre. D’après un bilan fait par Mediapart, 234 blessures à la tête, 23 éborgnés et 5 mains arrachées ont été recensés.
On peut y a ajouter une morte, Zineb Redouane, 80 ans a reçu une grenade lacrymogène en plein visage alors qu’elle essayait de fermer ses volets au 4ème étage de son appartement à Marseille. Elle est décédée au bloc opératoire le 2 décembre des suites de ses blessures. Le 28 janvier Emmanuel Macron notait pourtant que sur les 11 décès liés au mouvement des gilets jaunes « aucun d’entre eux, aucun, n’a été la victime des forces de l’ordre ».
Des manifestations ont toujours lieu à Marseille, 3 mois après son décès, pour obtenir la justice et la vérité. Devant l’inaction des pouvoirs publics et de la justice, les collectifs travaillent à recenser, informer et accompagner les victimes. Les collectifs « Face aux armes de la police » ([email protected]) et « Désarmons-les » (dé[email protected]) mettent à disposition des conseils juridiques pour les victimes et leurs proches. On peut noter également le travail de David Dufresne (« allo @placebeauvau, c’est pour un signalement ») qui regroupe des vidéos de violences policières ou d’abus de pouvoir et qui signale au ministère de l’intérieur les manquements graves des forces de l’ordre.
La loi anti-casseurs
De son vrai nom « loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs », ce que nous appelons la loi « anti-casseurs » est un texte législatif à la base promu par les sénateurs LR qui a été, par la suite, défendu par le gouvernement comme réponse au mouvement des gilets jaunes. Le parlement a adopté définitivement le 12 mars ce texte. Le gouvernement entame une nouvelle phase de sa lancée autoritaire et transfère aux préfets des pouvoirs jusque-là détenus par les juges d’instruction. En effet, ce texte prévoit, par exemple qu’un préfet, puisse prononcer une interdiction administrative de manifester envers une personne pour une durée d’un mois et sur tout le territoire français. La loi dispose également de la création d’un délit de dissimulation du visage ainsi que de la possibilité pour les forces de l’ordre de procéder à des fouilles en amont de la manifestation. Le Président de la République avait pris les devants sur les parlementaires en saisissant le conseil constitutionnel. Il craignait notamment que certains parmi sa majorité joignent leurs voix aux parlementaires communistes, insoumis et socialistes dans un recours. Ce dernier a rendu son avis validant la majorité de la loi mais censurant son article 3 qui prévoyait l’interdiction administrative de manifester.
On peut voir clairement que le gouvernement continue dans sa lancée autoritaire et qu’il déploie tout l’arsenal en sa possession qu’il soit juridique ou médiatique. Les déclarations sur la présence de l’armée dans la capitale pour les manifestations ainsi que les multiples interdictions de se rassembler et de défiler vont dans ce sens : le gouvernement ne souhaite pas répondre aux interrogations que soulève la mobilisation des gilets jaunes autrement que par la violence et le mépris.