Cette année nous commémorons le 75e anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv. La déclaration de M. Macron réaffirmant la responsabilité de la France a de nouveau soulevé des critiques. Retour sur l’histoire de la reconnaissance d’un crime.
Qu’est ce que la rafle du Vel d’Hiv ?
Le 16 et 17 juillet 1942, alors qu’une partie de la France est occupée par l’armée allemande et par les nazis, la police française, sous les ordres du secrétaire général de Police René Bousquet, et à la suite de négociation avec l’occupant par Pierre Laval, chef du gouvernement sous Pétain, plus de 13.000 juifs dont plus de 4000 enfants sont arrêtés.
Une partie est envoyée à Drancy, les autres, majoritairement des familles, sont emmenés au Vélodrome D’Hiver. Au Vel’ d’Hiv’, comme on l’appelle. Ce sont plus de 8.000 personnes qui sont entassées dans des conditions inhumaines : ni eau, ni nourriture, ni nécessaires sanitaires adéquates.
Beaucoup se tueront, quand ils ne sont pas abattus en tentant de s’échapper. Tous, seront transférés dans les camps de Drancy, Beaune-la-Rolande, et Pithiviers, avant d’être déportés vers Auschwitz. Tous n’ont pas été arrêtés en zone occupée. La police française ira traquer des familles juifs jusqu’en zone dite libre.
Effectuée à la demande du Troisième Reich, cette rafle des juifs de France est une réussite surprenante pour les nazis, un désastre pour la France, pour ses valeurs. 7.000 policiers et gendarmes français, aidé par plus de 300 militants du Parti populaire français de Jacques Doriot, participeront à ce crime.
Une lutte pour faire reconnaître le crime
Pendant des années le silence régna sur cette rafle. Pendant des années la France évita cette question.
Sous l’impulsion des travaux de plusieurs personnalités : l’avocat Serge Klarsfeld, l’historien Robert Paxton, les cinéastes Alain Resnais, Claude Lanzmann et Marcel Ophuls, le secret commence à être brisé dans la décennie 1970/1980. Le point d’orgue intervient en 1992 lorsque 11 personnes – rescapées, historiennes, familles de victime, politiques… juives ou non – créèrent l’association « Comité Vel’ d’Hiv’ 42 ».
Le 15 juin 1992 une lettre ouverte au Président de la République François Mitterrand est écrite afin de lui demander – et dans le cadre du 50ème anniversaire de la Rafle – qu’il reconnaisse que « l’Etat français de Vichy est responsable des persécutions et crimes commis contre les juifs de France ». Plus de 200 personnalités et résistants, puis plusieurs milliers de personnes signent l’appel, il n’est plus possible de faire silence sur ce crime.
Une reconnaissance difficile
Le 14 juillet 1992, François Mitterrand réagit à ce propos sur un plateau télévisé :
“En 1940, il y eut un Etat français, c’était le régime de Vichy, ce n’était pas la République. Et c’est à cet État français, qu’on doit demander des comptes. Ne demandez pas de comptes à cette République, elle a fait ce qu’elle devait !”
Sa réponse déclenche une vague de colère et d’indignation. Il calmera la situation en annonçant sa partition à la commémoration, jusque là non reconnue par l’Etat et simplement faite par les associations de mémoire et par la communauté juive. C’est la première fois qu’un Président de la République assister à cette commémoration.
A son arrivée, il est hué par une partie de l’assistance, et on entend des “Mitterrand à Vichy”. Il y déposera une gerbe, mais n’y prendra pas la parole, ce qui sera très mal vu, surtout que le 11 novembre suivant, une gerbe au nom du Président sera déposée – comme chaque année – sur la tombe de Pétain.
Suite à la situation, aux polémiques des jours qui ont suivi la commémoration, un décret est promulgué le 3 février 1993 instituant une journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite « gouvernement de l’Etat français » (1940-1944).
Un débat toujours d’actualité
Le discours du chef de l’Etat, ou de son représentant, concernant la Rafle du Vel d’Hiv’ a été – et est encore, preuve en est de la récente polémique Macron – Le Pen – Mélenchon – sujet à de nombreux désaccords, de nombreuses tensions dans les rangs politiques.
Comme le dit si bien Serge Klarsfeld dans Le Monde en juillet 2012 :
“Pour François Mitterrand, comme pour ses prédécesseurs, il s’est agi de “l’autorité de fait dite gouvernement de l’Etat Français.”
“Le discours de Jacques Chirac le 16 juillet 1995, a marqué une profonde rupture : “Ce jour-là, la France, patrie des Lumières et des droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, accomplissait l’irréparable”, a-t-il déclaré. Ces paroles ont été saluées dans le monde entier comme une courageuse et salutaire reconnaissance, celle de l’existence simultanée de deux France antagonistes entre 1940 et 1944 : la France de Pétain, celle de la soumission et des persécuteurs, et celle de De Gaulle, la France de la Résistance et des Justes.”
En 2012, François Hollande va suivre le même sillage que Jacques Chirac, mais donne à la France toute l’entièreté de la responsabilité :
“La vérité est dure, elle est cruelle. Mais la vérité, c’est que pas un soldat allemand, pas un seul, ne fut mobilisé pour l’ensemble de cette opération. La vérité, c’est que le crime fut commis en France, par la France. (…) Mais la vérité est aussi que le crime du Vél’ d’Hiv fut commis CONTRE la France, contre ses valeurs, contre ses principes, contre son idéal.”
Macron dans la continuité d’Hollande
Emmanuel Macron poursuit la position de F. Hollande : reconnaître la responsabilité de la France et évincer celle de l’Allemagne.
“Oui, je le redis ici, c’est bien la France qui organisa la rafle puis la déportation et donc, pour presque tous, la mort des 13.152 personnes de confession juive arrachées les 16 et 17 juillet à leur domicile […] Les 16 et 17 juillet 1942 furent l’œuvre de la police française. Pas un seul Allemand n’y prêta la main.”
A ce propos, l’historienne Annette Wieviorka, répond à la question “quelle est la responsabilité de la France dans ces arrestations ?” posée par le journal L’Humanité du 16 juillet 2012 :
“La politique de déportation et de Solution finale est une politique allemande. Ce sont les nazis qui décident. Mais l’administration française collabore. C’est donc la police française qui a la charge des arrestations. Il ne faut pas croire qu’elle souhaite se débarrasser des juifs, ce n’est pas du tout ça. L’obsession de Vichy est de garder la souveraineté administrative sur la France alors que l’obsession de Bousquet, le secrétaire général de la police française, est de maintenir l’ordre par l’action de la police française. On assiste donc à une sorte de logique perverse de lutte pour la souveraineté qui fait que la participation de la France à la rafle est une tâche indélébile.”
Il est historiquement faux et politiquement dangereux de retirer à l’Allemagne, ou à la France, une responsabilité dans cette rafle : que ça soit de la décision à l’application, de l’idéologie à la logistique.