La semaine dernière, un événement sans précédent est survenu dans le monde du hip-hop. En effet, Pone, ancien architecte sonore de la Fonky Family, atteint de la maladie de Charcot a sorti Kate & Me, un album réalisé intégralement grâce à un logiciel de reconnaissance rétinienne
Il ne faut que quelques secondes pour que les têtes commencent à hocher, même en 2019, lorsque commencent les premières notes du morceau Art de Rue. Il ne faut toujours que quelques secondes, pour que la rage monte au ventre en entendant la voix de Sat clamer « De Mars on part en croisade, contre l’état avare, représente les quartiers dit sensibles en France et Navarre ». Enfin, quelques secondes suffisent pour avoir envie de rapper avec Le Rat Luciano « Tant que les gens de la rue dansent ils peuvent offenser » sur le fameux album Mode de vie béton style.
Ces trois œuvres ont un architecte, une signature bien particulière et historique en commun, celle de Pone.
Pone, c’est l’une des colonnes vertébrales de la Fonky Family, célèbre groupe marseillais, tenant indiscutablement toute sa place dans le patrimoine du hip-hop hexagonal. Il est également le producteur de nombreux morceaux sur l’album solo du Rat Luciano, Vapeurs Toxiques de Don Choa ou encore d’autres morceaux pour Sat, Diam’s, Rohff…
Atteint de la maladie de Charcot depuis 2015, alité et ayant perdu l’usage de beaucoup de ses membres et capacités, Guilhem Gallart de son vrai nom, vient de sortir un album instrumental, entièrement réalisé avec l’aide d’un logiciel de reconnaissance rétinienne.
Depuis l’annonce de sa maladie, Pone n’a cessé de la combattre et d’être une figure emblématique de la lutte contre ses ravages, de l’accompagnement des proches et de la pédagogie autour de celle-ci. Très actif sur les réseaux sociaux, l’artiste pour qui un concert de soutien pour l’aider à lutter contre sa maladie en 2015 a été organisé, a également créé une association qu’il promeut à travers le site http://laslapourlesnuls.com/ .
Sur le site dédié à l’album, kateandme.73bpm.com on peut d’ailleurs lire ces quelques mots de sa part :
« C’est un immense privilège de pouvoir donner un peu d’espoir là où il n’y en a plus. J’aurais tant eu besoin de ça quand j’étais dans l’ouragan de la SLA. Vu que c’est probablement le premier album de l’histoire à être composé, réalisé et mixé uniquement avec les yeux, il ne pouvait être que gratuit. »
Avec Kate & Me, le ton est posé et il est dans la lignée des quelques morceaux sortis dernièrement par le toulousain d’origine et marseillais adoptif, notamment « als7 » sorti au mois de janvier qui marquait son grand retour avec émotion.
Dans ce voyage marqué par un hommage prononcé à Kate Bush, Pone nous plonge dans un album extrêmement mélancolique. Parfois vaporeuses, parfois rythmées comme il a pu nous y habituer auparavant, les mélodies de cet album ont en elles la force d’une émotion, d’un parcours et d’une sagesse inqualifiable. C’est peut-être en ça que ressort le plus sa patte, cette signature propre, ce côté inclassable qu’il a toujours su manier à la perfection. Les clins d’œil au passé sont d’ailleurs assumés à l’image du morceau « Not Tonight ».
De ses multiples samples, à ses boucles inspirées de la pop des années 80, jusqu’à cet album il existe une continuité dans cette volonté d’apporter quelque chose de singulier et de l’assumer.
Il serait impossible de retracer le parcours et l’importance qu’a Pone pour le rap phocéen, français, voire bien plus, d’autres l’ont déjà fait comme en témoigne l’excellent récit qu’il a pu livrer pour l’Abcdr du son, « Pone de la furie à la foi », en 2015. Mais il est indéniable que la sortie de cet album à quelque chose d’exceptionnel, d’historique.
« Plus que de la musique, cet album est un message d’espoir. Une démonstration de force. Une leçon de courage. La preuve que tout est possible »
« Plus que de la musique, cet album est un message d’espoir. Une démonstration de force. Une leçon de courage. La preuve que tout est possible » selon les mots de son ex-compère de le FF, Sat.
Réalisé par un homme atteint d’une maladie dégénérative irrémédiable, sorti le jour anniversaire de la mort d’un autre de ses compères et ami, DJ Mehdi, cet album transpire pourtant plus que jamais la vie.
Et pas n’importe quelle vie.
La vie de celles et ceux qui dans les combats de la dureté du quotidien, de la galère clamaient « Faut qu’on sorte de là, J’touche du bois, je croise les doigts, Tu sais, ça viendra pas en se croisant les bras, d’ici là, on a le temps de crever dix fois ici-bas » sur des notes composées par Pone dans Les Chroniques de Mars.
La vie de celles et ceux qui luttent quotidiennement contre des maladies terribles, de leurs proches qui endossent les coups durs, qui restent debout. La vie de celles et ceux qui ont déjà perdu beaucoup trop, pour qui Pone aurait pu composer l’instrumental de « Aux absents ».
La vie de celles et ceux qui s’évadent et tiennent tous les jours grâce à la musique même quand tout s’acharne, de celles et ceux qui, comme Sat, auraient pu s’écrier « Seul, ou entouré de tous durant toutes ces années, connu ce mal à m’endormir comme si j’allais passer devant le juge, ce besoin de traîner dehors même sous le déluge, ces soirées qui durent jusqu’à l’aube, à parler de tout, de nous, du monde, jusqu’à ce que les larmes nous montent, ces moments de joie, ces pleurs de rires, ce sentiment de bien-être qui n’enlève rien à notre mal de vivre » avec Pone à la manette depuis la vitre de la cabine d’enregistrement.
La vie de celui qui aura tout donné jusqu’à réussir à produire cette prouesse, cet exploit qu’est Kate & Me. S’il y a bien une note que Pone maîtrise encore mieux que toutes les autres, c’est celle de l’espoir. En espérant, à l’inverse, que le dernier morceau « Loin de tout ça » ne soit pas composé pour lui, car nous avons plus que jamais besoin de Pone.