La place des femmes dans les jeux vidéos : épisode 1

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La place des femmes dans les jeux vidéos : épisode 1

Episode 1 : Du no wowen’s land à la représentation partielle et partiale

Max et Chloé dans Life is Strange, Ellie, Springs, Tiny Tina et Athena dans la franchise Borderlands, Hibana ou Frost dans Rainbow 3 Siege, Sayla dans Far Cry Primal… Ces noms de personnages féminins puissants et non sexualisés de jeux-vidéos ne vous disent peut être rien, mais ils signifient énormément pour des générations de gameuses, habituées à évoluer dans des univers… peuplées surtout d’hommes.

En effet, dans de nombreux jeux vidéos, on peut parfois passer plusieurs heures de jeu –quand ce n’est pas la totalité du jeu – sans apercevoir un personnage féminin digne de ce nom. J’entends par là pas un simple « PNJ » (personnage non-joueur) pris en otage ou non-influent dans l’histoire.  Mais depuis la Lara Croft de 1996, qui, malgré son hyper-sexualisation, restait un de premiers personnages féminins non PNJ, il y a eu du neuf dans les personnages de jeux-vidéos.

Une évolution radicale de la place des femmes dans les jeux vidéos

Le Skyrim de Bethesda, sorti il y a maintenant 5 ans, montre cette évolution radicale survenue dans les jeux vidéos en 15 ans seulement. Il suffit d’y comparer les visuels d’Arena, dans les années 90, pour comprendre que l’on revient de loin. A cette époque, le jeu vidéo en plein essor est le territoire exclusif d’hommes, et leur développement se fait en bonne partie autours de notions potaches et d’easter eggs (« œufs de pâques », aka des faux bugs ou « mystères » glissés dans les jeux par les programmateurs) qui les truffent. Parmi ces blagues rituelles, le dénudement excessif des femmes et « l’irréalisme sexy », la prise de pouvoir sur l’apparence et l’habillement des corps féminins sont très courants et constituent l’identité du jeu vidéo (Cf. ce super article ici de Nioutaik sur cette question).

Comme pour les personnages féminins, un argument pseudo-historique est souvent mobilisé pour légitimer l’absence rituelle de personnages non-masculins, blancs, cisgenres et hétérosexuels. De tels personnages seraient « naturellement » absents de nos gameplays parce qu’ils n’existeraient pas à telle ou telle époque. La mauvaise foi d’un tel argument est évidente, et se décline à plusieurs niveaux. En effet, un argument d’historicité, dans un univers fictionnel, est déjà bien mis à mal

Loin de l’image du « geek chic », les nerds des 90’s sont encore des marginaux très moqués, pour lesquels la prise en main par le code du corps féminin constitue une blague aussi bien qu’un exutoire social et viril. Mjoll la Lionne mais aussi d’autres nombreux personnages féminins de Skyrim donnent aujourd’hui le change. Malgré des armures et tenues parfois excessivement genrées, l’évolution est « frappante », sans mauvais jeu de mot. Les armures genrées des jeux de fantasy sont un leitmotiv dont certains jeux particulièrement « progressistes » dans leur facture n’hésitent d’ailleurs pas à se moquer. Borderlands 2 donne ainsi à sa Ellie, une jeune mécanicienne blonde passionnée de grosses caisses, obèse et pas complexée pour un sous, le choix entre une armure « metal bikini » (réplique de la tenue d’esclave de la princesse Leïa dans Star Wars) ou l’armure « complète », légendée « solide et protectrice -comme les armures devraient l’être n’est-ce-pas- ». Tu souhaites qu’Ellie soit bien protégée et tu en as marre des armures genrées ? Tu penses qu’une jeune femme obèse qui aime son corps doit pouvoir le montrer et en jouer ? Borderlands 2 t’as entendu.

De l’apparition à la multiplication et à la complexification de leur personnage

Plus récemment encore, les personnes jouables et non jouables femmes ont fait beaucoup parler d’eux dans les jeux-vidéos et dans nos journaux ; on se félicite – à juste titre – de leur multiplication, mais aussi de leur complexification. Elle n’est pas sans remuer le milieu du gaming et poser des problèmes à certains ; on se souvient de la polémique levée par le dernier Fifa 16 de EA Games, qui propose aux joueurs de jouer avec 12 sélections féminines et qui avait fait le choix de faire figurer deux footballeuses sur les visuels de promotion du jeu.

Une avalanche de réactions hostiles ne s’était pas fait attendre : entre les « J’espère que leurs seins rebondiront » / « OMG NICHONS » et  autres « RIP FIFA » / « est-ce que ces « pros » s’arrêteront en plein match pour se recoiffer ?? », d’autres joueurs avaient cependant courageusement pris la défense de l’initiative, toujours avec humour.

L’évolution du personnage de Lara Croft depuis les 90’s est, à ce titre, emblématique… Cette dernière est certes toujours blanche, mince, faite pour être agréable à l’œil du mec hétérosexuel moyen, mais elle n’est plus uniquement cela. C’est une « vraie » personne, avec ses forces, ses faiblesses, son histoire et ses objectifs personnels. C’est une personne plein d’empouvoirement, ouvertement féministe dans ses paroles et dans ses actions.
“Il suffit qu’une femme ait du pouvoir pour qu’elle passe pour une sorcière” Lara Croft, Tomb Raider (2013)
Peu de personnages gros ( cf. Ellie et Motor Momma dans Borderlands 2) et non-blancs (depuis la Jade de Beyond good and evil…) sont cependant développés dans nos jeux, qui souffrent en réalité d’une pénurie de personnages féminins non « normés », exactement comme sur nos publicités. Néanmoins, la représentation des personnes noires, métisses ou maghrébines avance un peu : cf. Battlefield 1 et la controverse historique intéressante des soldats noirs américains dans le premier conflit mondial. Un buzz soulevé pour la simple présence dans une courte séquence de jeu de soldats du 369ème régiment d’infanterie des Etats-Unis aussi surnommé « Harlem Hellfighters », « Black Rattlers » (« serpents à sonnette noirs ») et « Men of Bronze » car il était constitué d’hommes noirs pendant la première guerre mondiale.
Pour plus d’informations, Dice s’explique ici sur ce choix dans son Battlefield 1, sorti le 21 octobre 2016.
L’année dernière, un cap a été cependant franchi avec Far Cry Primal, sorti le 23 février 2016. La franchise Far cry, qui regroupe 5 jeux transforme son essai (après le jeune asiatique du 4) et nous pond un jeu dénué de personnages blancs. A défaut toujours d’un personnage jouable féminin dans cette franchise, Far Cry 4 nous avait également donné malgré tout le personnage d’Amita, jeune cheffe asiatique redoutable d’un groupe de rebelles et Batari, Sayla ou la Chasseuse de Far Cry primal, toutes trois des personnages forts, de pouvoir, non blancs et peu sexualisés.

Les personnes LGBT: une sous-représentation rituelle

Un autre souci, peut être encore plus aigu que la sous-représentation des femmes, celui de la sous-représentation rituelle des personnes LGBT. Très peu de romances de ce type existent également, preuve d’un malaise encore rampant de notre société envers les personnes à la sexualité non binaire ou agenrées. Quelques exceptions existent néanmoins, notamment le fameux Dragon Age, la série des Borderlands, et A phone game ou Life is Strange pour les amateurs de jeux indie d’exploration et d’énigmes. Il est notable cependant que de plus en plus de développeurs font l’effort d’ajouter des objets d’identification de genre et d’orientation sexuelle dans leurs jeux. Ce sont surtout les jeux de rôle (RPG) à la première personne qui « tirent » les gameplays vers le haut dans ce domaine-là. C’est également la catégorie de jeux la plus « sensible » à ce genre de questionnements. Une certaine « bonne volonté » transparaît donc dans le milieu jeux-vidéo ludique sur cet aspect. Le plus dur reste à faire : ouvrir le multijoueur à tous-tes et en assurer la modération…
Comme pour les personnages féminins, un argument pseudo-historique est souvent mobilisé pour légitimer l’absence rituelle de personnages non-masculins, blancs, cisgenres et hétérosexuels. De tels personnages seraient « naturellement » absents de nos gameplays parce qu’ils n’existeraient pas à telle ou telle époque. La mauvaise foi d’un tel argument est évidente, et se décline à plusieurs niveaux. En effet, un argument d’historicité, dans un univers fictionnel, est déjà bien mis à mal. On pense au dernier Battlefield 1, qui met en scène de nombreux prototypes d’armes, courants et nombreux dans le jeu, alors qu’ils ont été produits de manière très marginale et jamais portés sur le front à cause de leur coût de production. On pense également au fameux Tankgewehr M1918, premier fusil antichar de l’histoire, développé pour l’armée allemande dans les derniers mois de la Grande Guerre, que l’on peut servir seul-e (une équipe de 2 ou 3 artilleurs –des soldats plutôt costauds en général-  était nécessaire en réalité) et dès le début du conflit dans le jeu. Ainsi, aucune femme, aucun personnage LGBT, aucun personnage noir n’aurait légitimité à apparaître dans les gameplays. Une historicité à géométrie variable et sans grand cohérence, donc, si ce n’est d’exclure la représentation d’un certain type de personnages. D’aucun répondrait –à raison- que le jeu vidéo n’a pas nécessairement le projet d’être un reflet réaliste du monde. Ce qui n’empêche pas d’être critiques face aux tabous et aux totems qu’on s’y auto-inflige.
Cet article s’inscrit dans le cadre d’une série de quatres articles autour du thème “Jeux-vidéos, identités et collectif”


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