“Pauvres créatures”, un film résolument misogyne

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“Pauvres créatures”, un film résolument misogyne

« En tout cas, c’était original » s’exclament mes voisines de rang en sortant de la salle de cinéma. Effectivement, « original » est sûrement l’un des qualificatifs applicables à « Pauvres Créatures ». S’agissant ici du nouveau film de Yorgos Lanthimos qui a été ovationné à Cannes pendant de longues minutes. 

Original, ce film fait le récit initiatique d’un enfant à naître, dont le cerveau est placé dans le corps de sa mère suicidée par un scientifique Frankenstein. 

Que les lecteurs imaginent : Emma Stones bégayant « papa » en noir et blanc sous les regards libidineux de son maître démiurge et son assistant. Emma Stone, se masturbant à table, absolument ravie de sa découverte, sous le regard terrifié de sa gouvernante. Une femme adulte avec le cerveau d’un enfant. Une femme-enfant qui baise compulsivement avec n’importe quel homme qui voudra bien la toucher, mais qui peine à trouver son équilibre en marchant. À ce stade du développement, peut-être que le lecteur en a déjà assez. 

Devons-nous encore, pour la énième fois, décortiquer un film à succès résolument misogyne, pire encore, assumant sans difficulté son penchant pour la pédophilie ? Oui. D’abord, parce que l’autrice de ce brûlot y a perdu 8,50 euros, son vendredi soir et une partie conséquente de sa santé mentale. 

Une construction scénaristique rétrograde

Le film interroge une modalité paradoxale de la mise en récit de la haine des femmes : celle du parcours d’émancipation. 

Un récit d’émancipation dérangeant

La communication autour du film n’est, elle, pas tout à fait originale. Yorgos Lanthimos a tourné un film « d’émancipation » « dérangeant ». Nous retrouvons dans « Pauvres Créatures » le leitmotiv d’une sexualité pervertie, de relations amoureuses en zone grise déjà en gestation dans « The Lobsters » ou « La favorite ». 

Le développement scénaristique est très simple : la créature s’émancipe du scientifique démiurge par un voyage initiatique sexuel jusqu’à découvrir son identité véritable et la construction d’une vie libre. « Pauvre Créature » serait ainsi un film pseudo-féministe  en ce qu’il montre une femme conquérant sa liberté. 

Des modèles anciens

À y regarder de plus près, le motif n’est ni novateur, ni particulièrement féministe. Yorgos Lanthimos reprend grossièrement le modèle des « revenge porn », notamment popularisé auprès du grand public par les deux « Kill Bill » de Quentin Tarantino. 

Le principe est simple : comme son nom l’indique aux anglophones, les « revenge porn » filment des femmes initialement blessées qui trouvent leur libération dans une vengeance plus ou moins sanglante. On se rappelle par exemple que la mariée de « Kill Bill » poursuit les tueurs d’élite qui ont assassiné ses proches et son fiancé le jour de son mariage, sous les ordres de son ancien mentor et amant. 

Dans « Pauvre Créature » la protagoniste, Bella ( « originale » ), s’échappe de la maison où elle est enfermée pour parcourir le monde. À la fin de son voyage, elle se venge de son ancien mari, qui est également techniquement son père, et pardonne à son créateur de lui avoir caché ses origines. 

Derrière le succès, la misogynie, pédophilie et les violences faites aux femmes

Rien n’est épargné à Bella. La découverte de ses premiers plaisirs génitaux devient immédiatement l’expression d’une sexualité débordante qu’elle ne comprend pas tout à fait. Le film inflige ainsi aux spectateurs de longues scènes où une enfant de 5 ans d’âge mental réclame « des bons furieux » à l’homme avec qui elle s’est enfuie. Le film est une suite de scènes dérangeantes et remplies de violences faites aux femmes. 

Des sévices sexuels normalisés

L’unique projet scénaristique semble finalement de torturer Bella. Celle-ci deviendrait une icône féministe sous prétexte de sa victoire finale et de sa résilience. Pour autant, les sévices subis ne sont jamais analysés depuis une perspective féministe. Ils n’ont aucun impact sur la protagoniste, ni transformé, ni traumatisé. 

Pire encore, ils sont naturalisés comme éléments du parcours d’une femme dans un monde d’homme. Loin de dénoncer les violences faites aux femmes, Yorgos Lanthimos joui des sévices qu’il impose à sa protagoniste. 

Enchainer les procédés cinématographiques pour finalement filmer un fantasme masculin de violence et de surpuissance sur une femme-enfant, objet sexuel et nymphomane, on aura vu plus « originale » et progressiste. 

Une position voyeuriste

Le voyeurisme de la scène, la gratuité de la représentation morbide, la laideur des images de synthèse et la grossièreté du scénario laissent le spectateur stupéfait. Seule trouvaille filmique : le redoublement d’un regard masculin exacerbé par l’usage du grand-angle. 

De nombreux plans donnent ainsi aux spectateurs le loisir d’observer la scène depuis un œil-de-bœuf. Peut-être que Yorgos Lanthimos voulait-il accentuer la sensation d’enfermement du début du film, déjà assenée par l’usage du noir et blanc ? 

Le dispositif place en tout cas le spectateur dans une position de voyeur durant les scènes les plus dérangeantes du scénario ou une enfant dans le corps d’une femme est présentée par les hommes qui l’entourent comme l’ultime objet de désir.

Un discours réactionnaire

Le cinéma aura produit au fil de sa longue histoire des chefs-d’œuvre de jeux, d’écriture et d’esthétisme, au projet politique néanmoins fondamentalement réactionnaire. Il est possible de filmer ou de jouer intelligemment un film misogyne. De la même manière que de nombreux grands romans cantonnent les femmes à un rôle purement sexuel ou esthétique. 

Oui, le cinéma et la culture doivent représenter la sexualité des femmes dépouillée de préceptes moraux. Oui, la libido et le désir sont des objets intrinsèquement dérangeants, tortueux, indicibles. 

Le film de Yorgos Lanthimos ne répond pourtant à aucun de ces défis : il écrase d’un regard masculin réifiant sa protagoniste. Le discours féministe fait paradoxalement office de justification à une perspective puissamment réactionnaire sur les femmes et la sexualité.

Son succès critique indique le refus des institutions du cinéma légitimes à voir les femmes autrement que comme objet d’une caméra masculine. 


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