Où va le Mexique de Claudia Sheinbaum ?

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Où va le Mexique de Claudia Sheinbaum ?

Cela fait plus de cent jours que Claudia Sheinbaum dirige le Mexique. Largement élue à l’été dernier, la présidente mexicaine affiche déjà une popularité remarquable : 78 % selon le quotidien El Financiero. Sheinbaum n’hérite pas pour autant d’une situation facile : guerre des cartels, féminicides, tensions avec Washington… des chantiers colossaux attendent ses six années de mandat. Pour l’instant, où en est-on ?

Une continuité des années AMLO

Claudia Sheinbaum a succédé le 1ᵉʳ octobre dernier au très populaire Andrés Manuel López Obrador, au pouvoir depuis 2018. Leur proximité est ancienne : tous deux membres du Parti de la révolution démocratique avant de fonder le Morena (Mouvement de régénération nationale), Sheinbaum a été membre du cabinet d’AMLO à la mairie de Mexico, avant d’y être elle-même élue.

Son discours du 9 janvier a été l’occasion, entre autres, d’affirmer la continuité politique et idéologique avec son prédécesseur. Sheinbaum a particulièrement insisté sur le projet de « deuxième étage de la quatrième transformation » du Mexique. Comme l’explique le chercheur Jean-Jacques Kourliansky, « comprendre la ‘4T’ suppose l’examen préalable des trois précédentes transformations prises comme points relais du projet ‘4T’ d’Andrés Manuel López Obrador. Ces trois moments sont d’évidence les marqueurs de moments historiques forts pour le Mexique : l’indépendance, la Réforme libérale et la Révolution ». Témoignage de la volonté de la nouvelle présidente d’inscrire son action dans le temps long et dans ce nouveau roman national initié par AMLO.

Plus concrètement, Sheinbaum entend poursuivre plusieurs mesures entreprises par López Obrador. L’« austérité républicaine », programme d’éradication de la corruption, apparaît comme l’une de ses priorités. Adoptée trois semaines avant le début de son mandat, une réforme constitutionnelle devrait permettre en 2025 l’élection des magistrats au suffrage universel direct. Sheinbaum a enfin salué plusieurs réformes adoptées fin 2024 et qu’elle entend approfondir : reconnaissance des droits des peuples indigènes, nationalisation des secteurs du pétrole et de l’électricité, augmentation du salaire minimum et son indexation sur l’inflation…

Le « bien-être » comme priorité

Claudia Sheinbaum a d’ores et déjà commencé à approfondir les politiques sociales de son prédécesseur, au travers de trois nouveaux « programmes de bien-être ». Le premier consiste en un accompagnement des femmes de 63 et 64 ans, qui devrait concerner environ un million de Mexicaines et s’élargir à terme à la tranche d’âge 60-64 ans. Alors que le pays compte en moyenne 10 féminicides par jour, le gouvernement semble vouloir prendre à bras-le-corps les enjeux spécifiques aux femmes : en août, le premier ministère des Femmes de l’histoire du Mexique était créé, et en novembre le droit à l’égalité salariale était inscrit dans la constitution.

Autre programme : la création d’une bourse pour l’ensemble des élèves, de l’école maternelle à l’enseignement secondaire. Appliquée à partir du premier semestre 2025, elle concernera d’abord les parents de lycéens, avant de s’élargir à terme à l’ensemble des élèves. D’un montant de 1900 pesos (≃90 euros), elle pourra être majorée de 700 pesos (≃33 euros) par enfant à partir de 2 enfants. Selon le gouvernement, « 5,6 millions d’adolescents seront bénéficiaires de cette bourse ».

Du côté de l’enseignement supérieur, le gouvernement a annoncé en octobre la construction de 330 000 places, dont des antennes universitaires. L’accès aux études supérieures devrait également être facilité avec la suppression des examens d’entrée dans plusieurs universités.

Enfin, le programme Salud Casa por Casa (la santé de maison en maison) vise les personnes âgées ainsi que les personnes handicapées. Concrètement, il prévoit, à partir de février 2025, des visites à domicile régulières chez les bénéficiaires du dispositif. Le gouvernement estime que 21 500 personnels de santé seront mobilisés dans les visites, le suivi et les soins.

Quelles perspectives ?

Au-delà des mesures déjà mises en place, d’autres chantiers devraient voir le jour. Face au mal-logement, Claudia Sheinbaum a annoncé en janvier la construction de 125 000 logements pour 2025, ainsi que la rénovation de 100 000 autres. Un « plan national de l’eau » a par ailleurs été présenté, devant permettre d’ici à 2030 d’assainir les rivières les plus polluées, de garantir un accès à l’eau à l’ensemble des citoyens et le développement des infrastructures énergétiques et d’irrigation.

Autre défi de taille : la lutte contre la violence, étroitement liée à celle contre le trafic de drogues. Si le mandat d’AMLO a permis d’endiguer quelque peu le phénomène, la « guerre contre la drogue » atteint depuis 2006 le terrible bilan d’au moins 400 000 morts. Tout en annonçant une augmentation des moyens alloués à la police et aux renseignements, Sheinbaum veut explorer une autre voie que celle du tout-répressif, avec le lancement d’un ambitieux programme de désarmement. L’idée : inciter les propriétaires d’armes à les rendre, anonymement, sans poursuites et moyennant une certaine somme d’argent. Vaste programme, et dont la réussite dépendra en partie de la relation avec Washington, premier consommateur mondial de cocaïne.

Relation avec l’encombrant voisin du nord qui s’annonce pour le moins houleuse : outre les habituelles provocations trumpiennes, la révision de l’ACEUM (accord de libre-échange Canada–Etats-Unis–Mexique), prévue pour 2026, s’annonce particulièrement délicate pour Mexico. Dans le viseur de Washington : les investissements chinois, d’autant que Pékin est devenue le deuxième fournisseur du Mexique, notamment concernant l’automobile et l’électronique.

Du côté des communistes, si le Parti populaire socialiste du Mexique salue la politique de Claudia Sheinbaum, il appelle les travailleurs mexicains à ne pas baisser la garde et à poursuivre leurs efforts « vers la pleine indépendance nationale avec justice, démocratie et bien-être social ».


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