Le dimanche 22 avril dernier, les députés adoptaient la loi Asile Immigration, nous revenons dessus avec Elsa Faucillon, députée communiste des Hauts-de-Seine qui a combattu le texte.
Il y a quelques jours, l’assemblée nationale a adopté la loi Asile et Immigration. Vos critiques contre la loi ne sont pas passées inaperçues. Comment avez-vous vécu les choses avec le groupe communiste ?
Ça a été une sacrée bataille parlementaire. Face à une majorité toujours écrasante, ce qu’on a voulu faire, c’est porter une autre politique de l’accueil.
Pendant plusieurs mois, on a travaillé de très près avec les associations, les bénévoles, qui font vivre au quotidien la solidarité avec les réfugiés, mais aussi les magistrats et fonctionnaires mobilisés. Ils ont fait un travail impressionnant de décryptage de la loi et de ses conséquences qui a été une ressource incroyable pour nous et un véritable guide de ce que vivent réellement celles et ceux qui se battent sur le terrain aux côtés des demandeurs d’asile et des migrants.
À chaque intervention, je crois qu’on avait en tête les rencontres que l’on a pu avoir avec des migrant·e·s, les visites qu’on a fait en centre de rétention et les très nombreux échanges qu’on a eu avec tous les acteurs de l’accueil. C’est sans aucun doute ce qui nous a permis de ne rien lâcher.
Cette loi va concerner des milliers de personnes, impacter leur vie souvent au détriment de celle-ci. Pourtant, le choix du gouvernement pour le travail parlementaire est relativement expéditif et restreint. Pouvez-vous nous en dire plus ?
On a étudié en 7 jours une loi qui aurait dû l’être en 15. Vu la conduite autoritaire des débats -refus d’un vote solennel qui permettent au maximum de députés d’être présents, temps de parole limité, séances toutes les nuits- on a bien senti que la majorité En Marche! voulait en finir vite parce qu’ils n’étaient pas à l’aise avec le texte. Et comment l’être ! Par exemple, il prévoit la possibilité de placer en rétention des enfants pendant 90 jours. Des enfants, avec leur famille, parfois en très bas âge, derrière les barbelés ! C’est profondément révoltant, parce que c’est une atteinte considérable aux droits fondamentaux.
L’équilibre « humanité et fermeté » qu’ils se sont acharnés à afficher en boucle s’est fracassé sur la réalité de ce qu’ils ont voté. Se vanter de protéger le droit fondamental à l’asile en bafouant tous les autres, il fallait oser. Certains passages ont été votés ensemble par le FN, la droite et En Marche. Et quand on voit des députés appuyer sur le bouton pour voter ça, on a la rage et on est ému, parce qu’on sait que des hommes, des femmes, des enfants arrivants vont voir leurs conditions de vie déjà extrêmement difficiles se durcir encore, leur espoir d’une vie meilleure se briser.
De nombreux droits juridictionnels sont aussi atteints : droit de recours, échanges à distance avec les juges, procédure dans une langue inadaptée…
La philosophie de ce texte a peu à envier à ce que la droite et l’extrême-droite ont porté pendant cette semaine dans l’hémicycle, qui leur a offert une tribune révoltante pour déverser leur haine. Cette philosophie, elle n’est malheureusement pas nouvelle : c’est celle de la peur de l’étranger, fondée sur le mythe de la submersion migratoire. Mais la crise qu’on connaît aujourd’hui, disons-le nous bien : ce n’est pas une crise migratoire, mais une crise de l’accueil !
Dans tout ça, il y a-t-il des choses intéressantes, positives, qui ont été adoptées ?
Le positif dans tout ça se résume à de l’infiniment petit. Le gouvernement se vante d’améliorer les conditions de l’asile. Quelques dispositions ont permis de faciliter certains regroupements familiaux et la délivrance de titres de séjours aux personnes bénéficiant de protections particulières. Et puis En Marche s’est félicité partout d’avoir enfin abrogé le délit de solidarité. C’est une fake news !
En réalité, ils n’ont fait que aménager ses conditions pour permettre de ne pas condamner… les personnes qui aideraient des migrants en péril imminent ! Sauf que ça s’appelle la non-assistance à personne en danger, rien de nouveau. On est donc loin d’en avoir fini avec ça. Cédric Herrou et les autres bénévoles ne seront hélas pas les derniers à être poursuivis.
Même au moment où l’on a appris qu’une bande d’identitaires bloquait illégalement nos frontières dans les Alpes, repoussant des pauvres gens en sandales dans la neige, le gouvernement n’a pas été capable de donner un signal fort de condamnation de ces pratiques de l’extrême-droite. Dans ces moments-là, on a un vraiment honte de l’image donnée par le gouvernement de ce que beaucoup de gens dans le monde appellent encore « le pays des Droits de l’Homme ».
On sait que les communistes, malgré un rapport de force très compliqué, ne lâchent rien et proposent des amendements. Que proposaient les communistes ?
Porter une autre vision de l’accueil, des migrations, ça voulait effectivement dire porter une alternative, au mieux ! et au minimum tenter de limiter la portée de cette loi. Parce qu’il faut bien prendre conscience de quelque chose : avec ou sans cette loi, les conditions de l’accueil sont indignes dans notre pays.
Le Conseil d’Etat a parlé d’un projet de loi « inutile ». C’est la plus faible critique que l’on puisse adresser à des mesures aussi dures, qui ne seront même pas efficaces au regard des objectifs d’expulsion que se donne le gouvernement. Tout cela ne servira qu’à dégrader un peu plus les conditions de vie des migrants, qui sont déjà lamentables dans un pays qui est déjà très loin de respecter ses engagements dans l’accueil des demandeurs d’asile.
Nos principales propositions étaient souvent appuyées et doublées par celles de toute l’opposition de gauche, voire du Modem : interdiction du placement en rétention pour les enfants et leurs familles, abrogation réelle du délit de solidarité, limitation de la rétention à 32 jours, rétablissement du droit commun au recours devant les juridictions administratives pour les déboutés de l’asile… Mais aussi régularisation de celles et ceux qui ne sont ni expulsables, ni régularisables !