« Nous ne pouvons pas être gouvernés depuis la France » martèle le Sénateur kanak Robert Xowie

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« Nous ne pouvons pas être gouvernés depuis la France » martèle le Sénateur kanak Robert Xowie

Robert Wienie Xowie a fait son arrivée au Sénat en septembre 2023. Après avoir dirigé durant près de 10 ans la mairie de Lifou, le Kanak devient le premier indépendantiste à siéger dans la chambre haute, au sein du groupe communiste. 

Fort d’un long parcours au service du peuple de Kanaky – Nouvelle Calédonie, il revient pour l’Avant-Garde sur les perspectives de l’Archipel, après les évènements qui l’ont secoué ces derniers mois. 

Pourriez-vous présenter votre parcours politique et ce qui vous a conduit à devenir le premier sénateur indépendantiste de Kanaky – Nouvelle-Calédonie ?

Ce fut un long combat, je suis en effet le premier Kanak indépendantiste à pouvoir intégrer le Sénat. Ça n’a pas été facile : en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, le pouvoir est concentré dans les mains d’une petite partie de la population. Nous avons néanmoins pu composer avec une partie des non-indépendantistes conscients des défaillances d’un système électoral pensé pour empêcher 40 % de la population d’accéder à la représentation au Parlement. 

Depuis l’annonce par Emmanuel Macron de l’abandon du projet d’élargissement du corps électoral, on parle beaucoup de « reconstruction » pour la Kanaky – Nouvelle-Calédonie. Comment évolue la situation sur l’archipel ?

Du 13 mai, marquant le début des émeutes à l’abandon du projet par le président de la République, il y a le sentiment d’un immense gâchis : nous avions alerté le gouvernement, et notamment le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, des problèmes qu’entraînerait un passage en force. Ce passage en force a réveillé des souvenirs douloureux et l’histoire de notre pays est marquée par des événements tragiques : je descends actuellement à Montpellier pour assister à la projection d’un film sur l’assassinat des frères Tjibaou… Pour nous, ce genre de pratiques renvoie à beaucoup de choses.  

Aujourd’hui, nous sommes particulièrement préoccupés par le sort de nos prisonniers politiques incarcérés en France. Nous ne considérons pas le peuple français comme ennemi du peuple kanak, mais il doit apprendre à l’écouter et le comprendre avec humilité.

Christian Tein, récemment élu président du FLNKS, est toujours incarcéré en France. Avez-vous des nouvelles sur sa situation ? Qu’incarne-t-il pour le camp indépendantiste ?

Christian Tein est le président du FLNKS et de la CCAT, c’est aussi un prisonnier politique et nous nous battons pour sa libération. Actuellement, aucun élément ne permet à la justice de justifier son incarcération. Il y a en Nouvelle-Calédonie une justice coloniale : on le voit quand des caldoches ayant tiré sur des kanaks n’ont aucune conséquence au nom de la légitime défense. Quand il s’agit de tuer des Kanaks, on est blanchi ; quand il s’agit de Christian Tein et des 6 autres prisonniers politiques, on les incarcère alors qu’ils n’ont pas de sang sur les mains.

Lors des débats qui ont animé la préparation du PLF de l’année 2025 par le précédent gouvernement, il a été évoqué le besoin de moyens supplémentaires pour permettre à l’archipel de se relever. Alors que nous sommes en attente d’un nouveau gouvernement, quelles sont vos attentes vis-à-vis du nouveau Premier ministre ?

D’abord, avec un budget 2025 toujours en suspens, la situation devient critique pour nous dès ce mois de janvier. Je voudrais également évoquer Mayotte qui est dans une situation gravissime et apporter toute ma solidarité au peuple mahorais qui a également besoin de moyens supplémentaires immédiats.

Les problèmes de Mayotte et de la Nouvelle-Calédonie ne peuvent attendre, la loi spéciale sur la continuité de l’État que nous avons voté peut aider et corriger des manquements, mais le Premier ministre doit rapidement nous permettre de mobiliser des moyens conséquents. C’est d’autant plus important que c’est une question de responsabilité : la situation de la Nouvelle-Calédonie a été provoquée avant tout par le président de la République et son ministre Darmanin.

Comment analysez-vous la mobilisation inédite contre l’élargissement du corps électoral ?

D’abord, avec la création de la CCAT, le peuple kanak a montré sa capacité à organiser des mobilisations pacifiques massives, en pavoisant tout le territoire du drapeau national et en organisant des rassemblements dans tout le pays. J’aimerais rappeler que, s’il y a eu des débordements et des violences, la CCAT a toujours su mobiliser pacifiquement dans le but de construire et non de détruire.

Si le sujet de la reconstruction semble être dans l’actualité pour la Kanak-Nouvelle-Calédonie, quelles sont les perspectives prioritaires pour le camp indépendantiste ?

Il y a beaucoup à faire. D’abord, une véritable reconstruction économique prioritaire : du fait des destructions, près de 20 000 personnes sont aujourd’hui sans emploi, nous ne pouvons rester inactifs. Ensuite, c’est une véritable reconstruction politique qui doit avoir lieu avec un retour du dialogue. Ce dialogue doit se faire sur une base politique solide ; si on veut éviter un retour des tensions, il nous faut un chemin institutionnel pour sortir de l’impasse et stabiliser le pays.

Pour nous, la seule solution qui peut pérenniser la situation politique est la souveraineté et l’indépendance. Nous sommes à 16 000 km d’ici, en plein Pacifique, nous ne pouvons pas être gouvernés depuis la France. La stabilité du pays, c’est la souveraineté, c’est l’indépendance.

Après avoir été repoussé à de nombreuses reprises, il semblerait que des élections provinciales aient finalement lieu en 2025. Comment abordez-vous cette séquence électorale ?

J’attends le prochain congrès du FLNKS devant définir nos orientations stratégiques pour me positionner. Le dégel du corps électoral qui a été au cœur de notre mobilisation concernait ces élections, l’enjeu est donc grand.

Pourquoi avoir choisi de siéger aux côtés des communistes au Sénat ?

Les communistes nous ont toujours soutenus dans notre combat et ont toujours lutté pour le droit à l’autodétermination des peuples dans le monde – je pense notamment au peuple palestinien. Il était logique de choisir ce groupe.


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