Le 28 juillet dernier se terminait à Kingston, en Jamaïque, le sommet de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) commencé deux semaines auparavant.
Si aucune décision majeure n’a finalement émergé des discussions, la réunion a permis de dresser un état des lieux des positions des différents pays. Elle a aussi permis de dessiner une dynamique globale sur le sujet de l’exploitation minière des grands fonds marins.
La prise en compte moderne des enjeux liés aux fonds marins
Le plancher océanique, comme l’environnement terrestre, est composé de chaînes montagneuses, de plateaux, de pics volcaniques, de canyons et de vastes plaines abyssales. Il renferme de nombreux minéraux que l’on trouve également sur terre, en plus de minéraux qui lui sont spécifiques.
On connaît l’existence de dépôts minéraux dans les parties les plus profondes de l’océan depuis les années 1860. Il faudra toutefois attendre les années 1960 pour qu’une attention particulière soit portée sur les ressources des fonds marins.
À la suite de la publication de l’ouvrage The Mineral Resources of the Sea, où le géologue américain John L. Mero expliquait que les fonds marins pourraient devenir une source importante d’approvisionnement pour couvrir nos besoins en minéraux, l’ambassadeur maltais Arvid Pardo a prononcé un discours devant la Première Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies au cours duquel il a demandé que les ressources des fonds marins soient considérées comme le « patrimoine commun de l’humanité ».
Arvid Pardo a vivement recommandé la création d’un système de réglementation internationale pour éviter que les pays les plus avancés sur le plan technologique ne colonisent les fonds marins. L’enjeu principal était qu’aucun monopole ne soit constitué sur ces ressources au détriment des pays en développement.
De l’Autorité à la Zone : quelle juridiction sur les espaces maritimes ?
C’est ainsi, 24 ans plus tard, qu’est née l’Autorité. Tous les États parties à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer en sont membres, portant donc le total à 168 États.
La principale fonction de l’Autorité consiste à réglementer l’exploration et l’exploitation des ressources minérales des grands fonds marins situées dans « la Zone ». Cette dernière est définie par la Convention comme étant le fond des mers et son sous-sol au-delà des limites des juridictions nationales.
La Zone représente un peu plus de 50 % de l’ensemble des fonds marins.
À toutes fins utiles, rappelons que le littoral est divisé en trois parties. Tout d’abord, les eaux territoriales placées sous la souveraineté absolue de l’État, jusqu’à 22 km au large de ses côtes.
Au-delà débute la zone économique exclusive (ZEE), jusqu’à 370 km des côtes et sur laquelle les États n’ont pas la pleine souveraineté. Ils disposent de droits souverains permettant d’en exploiter les ressources.
Sous la ZEE se trouve le plateau continental, sur lequel les États ont des droits exclusifs pour l’exploitation des ressources. Le contrôle sur le plateau peut être étendu au-delà de la ZEE, selon certains critères géomorphologiques, jusqu’à 648,2 km des côtes.
C’est ensuite que se trouvent les eaux internationales et la Zone.
Un statut particulier pour préserver l’environnement
L’exploration et l’exploitation dans la Zone ne peuvent être entreprises que dans le cadre d’un contrat avec l’Autorité internationale des fonds marins et sont soumises à ses règles et ses procédures. Les contrats peuvent être conclus à la fois avec des entreprises minières publiques et privées, à condition qu’elles soient parrainées par un État partie à la Convention. Elles doivent remplir certains critères en matière de capacités technologiques et financières.
Aujourd’hui, seule l’exploration des grands fonds marins est autorisée avec 29 contrats actuellement approuvés, aussi bien avec des États membres qu’avec des entreprises parrainées par ceux-ci.
L’exploitation connaît, de la part du secteur privé et des gouvernements, un regain d’intérêt essentiellement dû aux avancées technologiques d’extraction et de traitement des ressources des grands fonds marins. L’augmentation de la demande de minerais, suscitée par la mondialisation et l’industrialisation progressive de certains pays, participe aussi de ce regain d’intérêt.
Les gisements minéraux terrestres sont aujourd’hui soumis à des pressions croissantes. Elles ont notamment pour origine les besoins d’une population mondiale en constante augmentation, et l’expansion des classes moyennes.
Bien que de nouvelles ressources existent probablement dans la couche intermédiaire ou dans des lieux éloignés, l’exploitation minière des gisements terrestres nécessite de grandes quantités d’énergie et a des conséquences sociales et environnementales importantes.
Le recours aux ressources minérales des grands fonds marins semble donc salvateur, en particulier pour les pays qui ne possèdent pas de sources sûres d’approvisionnement terrestre. Les petits États insulaires, disposant de faibles possibilités de développement économique, sont particulièrement concernés.
En tant qu’organisme de réglementation, la principale préoccupation de l’Autorité est d’établir un équilibre entre les avantages qu’offre l’exploitation minière des grands fonds marins et la nécessité de protéger l’environnement. L’accès aux minéraux essentiels, le non-déplacement de communautés, l’étude approfondie des fonds marins et le développement technologique sont autant de variables prises en compte.
Le fait qu’aucune partie de la Zone ne puisse être exploitée sans l’autorisation de l’Autorité permet de s’assurer que les effets environnementaux de l’exploitation minière seront surveillés et contrôlés par un organisme international. Ce mécanisme consacre l’application d’un principe de précaution en matière d’utilisation des fonds marins.
Il est toutefois évident que l’exploitation minière a des conséquences sur l’environnement marin, en particulier à proximité des sites d’extraction. Par exemple, elle peut entraîner la destruction d’organismes vivants, la disparition des habitats et la formation de panaches sédimentaires, sans parler des pollutions acoustiques et lumineuse.
Une grande partie des activités menées par l’Autorité donc consistent, à ce jour, à s’assurer que les contractants recueillent des données de base, en particulier sur la composition et la répartition des espèces vivant dans les fonds marins. Elle vérifie aussi que des recherches scientifiques sont menées pour mieux comprendre les effets à long terme de l’exploitation minière des sols et des sous-sols.
Des intérêts économiques divergents exprimés au sein de l’Autorité
Parmi les membres de l’Autorité, deux grandes visions s’opposent. La première est celle des États soutenant un moratoire sur l’exploitation des ressources des grands fonds. Parmi eux, on retrouve les îles Fidji, Palaos et Samoa, l’Allemagne, le Chili, la Nouvelle-Zélande ou, plus récemment, le Canada, l’Irlande, le Brésil ou le Portugal. Certaines industries soutiennent aussi un moratoire, comme celle de la pêche par exemple.
De l’autre côté du spectre, plusieurs pays font pression en attendant avec impatience de pouvoir exploiter les ressources minières marines. On y retrouve Nauru, la Chine, la Norvège, la Grande-Bretagne, mais aussi le Mexique.
Pendant la réunion de travail du mois de juillet, une décision a fait consensus. Les parties se sont accordées sur le fait de ne pas délivrer de permis d’exploitation en l’absence d’un code minier, qui régirait les activités dans la Zone. Un accord a été donné pour établir une feuille de route, avec en ligne de mire la réunion de 2025.
Problème : en plus d’être difficiles à contrôler, les activités sur les fonds marins ne contribueront pas à la transition écologique, contrairement aux arguments avancés par le secteur.
Par exemple, l’intérêt des gisements de cobalt, de nickel ou de manganèse destinés aux batteries est limité, l’industrie des véhicules électriques s’éloignant de plus en plus de ces métaux. D’autant plus qu’il reste du temps avant que les technologies nécessaires ne soient prêtes pour que commencent les extractions : pas avant 2030, estime l’ONG.
L’adoption d’un débat formel sur une éventuelle pause de précaution – demandée par la France, le Chili, Vanuatu, Palaos, rejoints par le Costa Rica – a été bloquée toute la semaine par la Chine. À la toute fin, un consensus a finalement été trouvé et ce point devrait être à l’ordre du jour de la prochaine Assemblée générale, à l’été 2024.
Et la France dans tout ça ?
La position de la France au cours de cette réunion intrigue particulièrement.
Initialement, le rapport “Levet” à l’origine de la Stratégie nationale pour l’exploration et l’exploitation minérales des grands fonds marins percevait dans ces activités un levier économique opportun et une réponse aux besoins en métaux. Il justifiait notamment le fait de “valoriser tout ou partie d’une filière exploration/exploitation, qui soit pertinente sur le plan économique et géostratégique”.
Mais, à contre-sens de cette proposition, le secrétaire d’État à la Mer Hervé Berville s’est exprimé en faveur d’une interdiction totale et définitive de l’exploitation des fonds marins internationaux. Il rejoint ainsi la position du Vanuatu.
Comment expliquer un tel changement de stratégie ?
Dans un premier temps, cette annonce permettrait à la France de renforcer sa position comme figure incontournable dans la lutte pour la protection de l’environnement et pour le multilatéralisme. L’annonce sur les fonds marins fait suite à la tenue en mars du One Forest Summit, que la France a organisé avec le Gabon. Elle s’inscrit directement dans la perspective de la Conférence des Nations unies de 2025 coorganisée avec le Costa Rica.
D’autre part, cette diplomatie environnementale permettrait d’anticiper une possible législation au niveau européen. Pour l’instant, l’UE ne s’intéresse que de loin aux fonds marins. La France gagne donc à se positionner clairement et à développer une expertise sur ce sujet.
Enfin, dans le contexte plus large de la stratégie française sur l’Indo-Pacifique, cette déclaration rapproche la France des États du Pacifique dans une voie résolument différente de celle proposée par les États-Unis ou la Chine.
Bien que le Gouvernement se veuille clair sur la question de l’exploitation minière — au moins s’agissant des eaux internationales — il faut mettre en lumière ce qu’il ne dit pas. La France ne propose pas de sanctuariser les fonds marins et, de fait, ne tourne pas encore le dos à cet espace. Au contraire, il s’agit de faire de l’océan une nouvelle frontière de coopération, comme le fut l’espace.
La comparaison laisse à réfléchir : si les ressources spatiales sont inexploitées, peut-on pour autant qualifier cet environnement de préservé ?
S’il faut saluer une proposition qui contribue à la protection de l’environnement, n’oublions pas pour autant les stratégies géopolitiques questionnables ayant motivé cette décision.
Les cadres d’échange internationaux sont-ils encore adaptés aux enjeux environnementaux ?
L’urgence climatique à laquelle nous faisons face nous amène à questionner le cadre diplomatique historiquement d’usage pour ces problématiques. Le temps de la diplomatie est très long et les menaces écologiques complexes et globales auxquelles nous faisons face (en termes de climat, de biodiversité, de ressources, etc.) nécessitent de réunir le plus d’États possible, en un laps de temps de plus en plus réduit.
Ce décalage entraîne le développement et la mise en place d’outils de droit dit « souple », comme dans le cas du Cadre mondial pour la biodiversité adopté lors de la COP de Montréal en décembre 2022.
S’il n’a pas la force juridique d’un traité, il présente l’avantage d’être immédiatement applicable sans besoin de ratification.
Mais pouvons-nous nous satisfaire de demi-mesures souvent entravées par les intérêts propres à chaque état ?
Que reste-t-il aujourd’hui de la vision de « patrimoine commun de l’humanité » qui était au cœur de la diplomatie environnementale des années 60 ?
Les discussions autour de l’exploitation minière des fonds marins font ressurgir nombre d’interrogations sur la construction historique des relations internationales et la conception que nous devons nous en faire aujourd’hui s’agissant des sujets environnementaux.