Minutes Rouges : “La culture politique est toujours bonne à prendre, même si ce n’est pas exactement celle de ton bord”

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Minutes Rouges : “La culture politique est toujours bonne à prendre, même si ce n’est pas exactement celle de ton bord”

Créée en 2019, la chaîne YouTube “Minutes Rouges” est vive de 29 épisodes et plus de 7000 abonnés. Rencontre avec Nizan et Ventre Jaune, deux jeunes vidéastes qui se sont donnés le défi d’aborder l’histoire et les débats du mouvement ouvrier en 5 minutes.

Le concept de vos vidéos est clair : 5 minutes pour parler du mouvement ouvrier. “Minutes Rouges”, donc ?

Faute d’être original, le nom a le mérite d’annoncer le programme. Le format est délibérément court, parce que ça force à être limpide et synthétique. On sait que le temps d’attention du spectateur sur YT ne va pas excéder 10 minutes en moyenne, c’est pas un jugement, on consomme de la vidéo pareil.

On s’adresse aux noobs et aux curieux, tout le monde doit pouvoir “rentrer” dans la vidéo sans beaucoup de connaissances préalables. C’est toujours mieux de lire la théorie soi-même, mais si t’as pas le temps y’a nous.

A l’époque du courant anarcho-stalinien, on avait déjà réalisé quelques vidéos consacrées à des sujets militants. C’était sympa à faire mais l’animation de la page était assez prenante et le projet vidéo s’est rapidement retrouvé à l’arrêt. Quand on a stoppé le courant anarchostalinien, on a eu avant de continuer à produire du contenu sur le web tout en proposant autre chose. On a donc ressorti du placard nos idées de vidéo mais en accentuant davantage sur l’aspect “vulgarisation”.  

Le choix du titre “Minutes rouges” est aussi une manière de nous contraindre à rester sur un format relativement bref. C’est nécessaire à la fois pour le confort des spectateurs et pour nous car nous avons un taff, une vie privée et une activité militante à côté, hors de question de tout sacrifier pour produire des vidéos fleuves et barbantes !

Vous vous connaissez et créez ensemble bien avant “Minutes Rouges”, on vous connaît depuis un moment aussi, notamment avec une légendaire page Facebook que vous évoquez et qui avez elle-même sa chaîne YouTube. La constante dans toutes vos créations, c’est la lutte des classes et la culture web ?

La culture web on s’y intéressait très vaguement, notre truc c’était plus le détournement, le roman photo parodique, les trucs de fanzines gauchistes. On en a fait une page dont le succès nous a étonné, on a fait le bon format au bon moment. Si ça n’avait pas été nous, d’autres l’auraient fait, il y avait besoin de pages de memes d’extrême-gauche.

Avant de produire du contenu web, on a commencé par faire des tracts, des affiches, des autocollants et des banderoles. Et on continue toujours à le faire. La constante, c’est la lutte des classes.

En revanche, la culture web c’est vraiment secondaire. On est plus dans la culture pop au sens large. Et il ne faut pas oublier que le ton qu’on a progressivement amené avec le Courant anarchostalinien puis avec Minutes Rouges, c’est aussi un pur produit de la culture des organisations politiques “jeunes” et des syndicats étudiants. Une culture tiraillée entre le souci boulimique de s’approprier tout un tas de références militantes ancestrales et un iconoclasme vis à vis de nos glorieux (et parfois pompeux) aînés.

Vous vous êtes lassés des memes internet à la fin du Courant Anarchostal ? 

On tournait en rond. Au bout d’un moment “vroum vroum le tank” et “boum le bourgeois”, ça devient usé. D’autres (qui sont bien plus dans la culture meme que nous d’ailleurs) font désormais le taf.

Si on avait continué, on aurait été de plus en plus déphasé avec les nouvelles pages de meme militantes et on serait peut être devenu les “boomers” du web de gauche. On a bien fait d’arrêter avant !

Dans vos vidéos, l’humour n’est plus dans le discours, qui est pédagogique, sérieux et même critique, mais il s’est déplacé dans le montage vidéo et les illustrations. Par exemple, une tête de Robert Hue se colle sur Fabien Roussel quand vous expliquez le concept d’aristocratie ouvrière dans la dernière vidéo…

L’humour ce n’est plus le but, contrairement au Courant. C’est un outil parmi d’autres pour défendre une vision politique. On a peut-être trop privilégié l’éclat de rire au fond avec le Courant, si c’était à refaire, les blagues sur le goulag je m’abstiendrais. Bon, ça me fait quand même encore marrer, mais je cringe.

Ça tient aussi à l’élaboration des vidéos à 2 mains. Je fais les scripts et Nizan pose sa voix et fait le montage. Conserver un ton à peu près sérieux dans le script permet d’aller au bout de l’exposé sans dévier et risquer de rendre le truc incompréhensible. Ça ne m’empêche pas d’insérer de temps quelques vannes ou indications dans le montage.

Si Nizan se charge de l’essentiel de l’apport humoristique, ça serait une grave erreur de croire que les animations ne sont là que pour placer des vannes. Elles servent aussi grandement la compréhension du sujet : l’image permet de clarifier le texte. Essayez donc d’écouter une de nos vidéos sans regarder ce qui se passe à l’écran, on pige beaucoup moins bien.

Minute Rouge

Avec “Minutes Rouges”, vous gardez le côté “patchwork” de toute la gauche révolutionnaire, qu’elle soit communiste ou anarchiste. Les sujets sont variés : fondamentaux du marxisme, événements historiques marquants, courants de pensée, idées reçues sur la société capitaliste…

On essaie de traiter tous les sujets qu’un-e militant-e pourra croiser, quel que soit son bord. Ça se ressent dans notre public, qui, quand on lui pose la question, se revendique à 50% anar et 40% coco. La culture politique est toujours bonne à prendre, même si ce n’est pas exactement celle de ton bord.

Quand tu commences à te former politiquement, tout t’arrive en pleine gueule : les grands auteurs, les controverses historiques, la diversité des courants, les notions théoriques, l’économie, les idées reçues… Et il est difficile de faire le tri car tout se recoupe : Marx s’appuie aussi bien sur l’économie que sur la philosophie ou l’histoire. Du coup il est assez normal de brasser large question thématiques.

De même, chaque courant se construit et se définit par rapport aux autres. Pour saisir le socialisme scientifique de Marx, il est bon de connaître un tant soit peu les socialistes “utopiques” que Marx combattait. Pour comprendre Lénine, il faut avoir en tête le naufrage de la social-démocratie européenne… Et ce n’est pas juste une question de culture historique ou “révolutionnaire” : même le réformisme actuel doit être étudié. Comment peut-on reconstruire à gauche aujourd’hui et rejeter les errements sociaux-libéraux si on ne prend pas au moins quelques minutes pour dire ce qu’est le social-libéralisme?

Bref, touche à tout car une bonne formation militante impose d’aller butiner un peu partout. C’est d’ailleurs pas par hasard si la JC appelle traditionnellement ces ateliers de formations et d’échanges des “ruches”.

Vous faîtes aussi des formats un peu différents : des lives, des petits montages drôles… ça semble assez naturel, vous voulez faire rire et être proches de votre communauté ? ça vous a aidé l’année dernière ?

Les lives permettent de continuer les vidéos, c’est un moyen de discuter en direct avec notre communauté. Pour les montages marrants, il n’ y a pas forcément de raison, juste l’appel du shitpost : Blanquer qui déblatère devant un fond vert, c’est limite une provocation au montage rigolard. 

Comparé à la merde noire dans laquelle on a pu se trouver à l’époque du Courant, matériellement maintenant ça va, donc le confinement ça allait. 

On n’est plus étudiant depuis quelques années et on a un taff et une vie de couple ou de famille, ce qui fait qu’on n’a pas traversé les mêmes galères que beaucoup de jeunes ont connu. On n’était donc pas ceux qui avaient le plus besoin “d’aide”

Côté bande-son, c’est ambiance techno ou hip-hop, mais toujours tranquille. C’est un élément important pour vous ?

La bande son, c’est un décor, c’est un truc assez secondaire, ça enrobe le discours. Donc il ne faut pas que ça interfère avec le propos, que ça devienne un bruit parasite. En ce moment on met pas mal de hip hop parce que ça pose facilement une ambiance et que, de base, une instru de rap c’est fait pour que quelqu’un pose dessus. 

Puisqu’on parle son, un conseil pour ceux et celles qui voudraient se lancer dans la vidéo : avant de chercher à avoir des visuels chiadés, assurez-vous d’avoir un bon son, c’est ça qui fait que les gens restent ou pas. Nous, on l’a compris un peu tard.

C’est une règle radio : pas de “blanc” à l’antenne. Or, dans une vidéo où on expose des sujets parfois un peu complexes, il est aussi nécessaire de laisser quelques moments de respiration pour ne pas noyer le spectateur dans un flot de paroles. Le recours à une ambiance sonore de fond permet aussi de concilier les deux impératifs.

Vous pensez quoi des contenus proposés sur YouTube et de la plateforme plus généralement ? Est-ce que les créations de vulgarisation scientifique ou plus politiques sont suffisamment mises en avant ?

Non, mais en même temps le boulot de Youtube c’est pas d’instruire les gens, c’est de capter du temps d’attention pour y intercaler de la pub. C’est à nous de trouver des feintes pour être plus visibles, en essayant de pas trop succomber à la facilité. Ou alors de créer nos propres plateformes pour éviter ces logiques, au risque d’être un îlot largement ignoré du grand public. Nous on a plutôt choisi d’aller là où les gens sont, mais l’autre option se défend quand même.

Y’a quand même pas mal de chaînes assez bien foutues pour parler de politique. Mais trop souvent, on en reste à des sujets ancrés dans l’actualité qui esquivent les questions théoriques. Or, tonton Lénine nous a rappelé que “sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire”. On aime évidemment bien ce que fait Usul mais, à côté de ce type de vidéos qui rendent accessibles les questions politiques, il faut aussi des vidéos  plus centrées sur la formation militante.

Certes, en farfouillant bien, ça peut se trouver mais on en reste trop souvent au stade de “l’exposé filmé”. Le format web impose de travailler sur l’image (qui ne doit pas se limiter à une succession de diapos), sur l’animation, sur le dynamisme du montage… Et, bien qu’on ne soit pas le meilleur (le meilleur ce serait Lénine s’il avait une chaîne Youtube), c’est le fait qu’on essaye de combiner un travail de formation avec une forme plus adaptée aux exigences “Youtube” qui nous permet un peu de nous distinguer

Un mot pour les “jeunes centristes (JC)” ?

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Franchement, comment t’espérais vraiment qu’on sorte un mot de la fin correct sur une question basée sur une vieille référence à la vidéo FAQ ?


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